Au coeur des royaumes du Nil

01 Janvier 1900 | par

La Nubie, région soudanaise peu connue du grand public, a été le lieu de grandes civilisations précédant celles de son prestigieux voisin égyptien. L'Institut du Monde arabe nous propose de la découvrir, de la préhistoire au royaume de Méroé, christianisé au VIe siècle.

Un ensemble de petites figures féminines datant du néolithique accueille le visiteur. L'une d'elles dessine les courbes douces et épurées d'un corps féminin, elle semble sortie tout droit de l'atelier de Brancusi! La beauté simple et émouvante de ces quelques sculptures constitue la première heureuse surprise de l'exposition. Il y en aura beaucoup d'autres: de magnifiques pièces jalonnent le parcours conçu de manière chronologique.

Dans la première salle, réservée à la préhistoire, sont également présentés des objets de la vie quotidienne: des vases, des écuelles, des passoires et même une bouteille... Les décors, géométriques, très finement réalisés, diffèrent à peine de ceux que les villageois de l'Afrique contemporaine continuent à dessiner sur leurs poteries, tissus et même habitat.

A l'étage, la statue d'un homme qui marche attend le visiteur. Liée par la forme et l'iconographie aux conventions égyptiennes, c'est néanmoins une œuvre stylistiquement indépendante qui illustre une évolution artistique autonome, propre à la Haute-Egypte, dans une direction qui la rapproche de celle de la Nubie, le royaume des pharaons noirs, le principal sujet de l'exposition.

Le royaume des pharaons noirs. La Nubie, portion de la vallée du Nil située entre la troisième cataracte, au sud d'Assouan, et Khartoum, capitale de l'actuel Soudan, était appelée par les Egyptiens le pays de Koush. Les égyptologues ont longtemps recherché au sud de la première cataracte les sources ou les prolongements de la civilisation pharaonique. Aujourd'hui, sans remettre en cause l'influence du puissant voisin, c'est plutôt vers l'originalité de la culture nubienne, ses traits distinctifs, sa continuité à travers les millénaires que s'orientent les nouvelles études.

Les préhistoriens ont démontré la précocité des cultures du Soudan après la découverte sur le site de Khartoum et dans la région de la sixième cataracte, des céramiques du VIIIe millénaire sans équivalent dans la vallée égyptienne du Nil.

Plus au Nord, en amont de la troisième cataracte, les nécropoles de Kadruka témoignent d'une société déjà fortement hiérarchisée entre le VIe et le IVe millénaire. C'est dans cette région que naît le royaume de Kerma (2500-1500 av. J.C.), l'un des premiers d'Afrique.

Un raffinement extraordinaire. L'architecture de la capitale Kerma est caractérisée par des bâtiments ronds. Un très joli récipient rond à couvercle, peint en noir, rouge et jaune sur fond blanc, représente un modèle de hutte ronde. Le couvercle en particulier rappelle un toit de paille. Toujours issu de Kerma, deux extraordinaires vases zoomorphes évoquent l'un une autruche, l'autre un hippopotame.

Toute la production de ce royaume est d'un raffinement extraordinaire. En témoignent encore des plaquettes ornementales en mica et en ivoire dessinant les silhouettes de tout un bestiaire familier (girafe, éléphant, hippopotame...) et de quelques divinités qui étaient soit incrustées dans les meubles ou cousues sur les vêtements. Elles sont ravissantes et pourraient bien inspirer quelques unes de nos modernes stylistes!

La chute du royaume de Kerma ne modifie en rien un souci permanent de la beauté. La Nubie est occupée par les Egyptiens. Son administration est confiée à un vice-roi appelé Fils-du-Roi-de-Koush. L'un d'eux, Sétaou, est représenté agenouillé derrière une chapelle où figure le dieu Osiris.

Ce Nouvel Empire (1540-1075 av. J.C.), fortement égyptianisé, nous offre quelques somptueuses pièces, une écuelle sur un support de métal sculpté, des miroirs, prétexte à une esthétique où chaque détail est soigné.

Les Nubiens vus par les Egyptiens. Une partie de l'exposition est consacrée à l'image des Nubiens diffusée par les Egyptiens. Sur les parois des temples égyptiens, ils étaient ces étrangers enchaînés aux pieds des pharaons. Ils étaient aussi recherchés comme soldats et sont donc souvent montrés vêtus d'un pagne multicolore, tenant leur arc et leurs flèches. Les nombreuses forteresses construites par les Egyptiens dans la région de la deuxième cataracte tendent à prouver qu'ils prenaient très au sérieux la force des populations du Sud et du danger qu'elles représentaient.

La pièce la plus extraordinaire de cette section est une tête de quatre centimètres de hauteur, en bronze, or, cornaline et obsidienne. Le visage lisse et délicatement modelé contraste avec la crêpelure des cheveux. Les yeux sont excessivement vivants. Une petite cheville d'or sur le haut du crâne donne à penser que ce petit chef d' œuvre n'appartenait pas à une figurine mais à un objet.

Le royaume de Napata. Seconde puissance indigène après Kerma, le royaume de Napata (IXème-IVème siècle av. J.C.) dont la capitale se situe au pied du djebel Barkal, colline sacrée haute d'une centaine de mètres. Napata fut le berceau des souverains koushites qui, par un étonnant renversement de situation, régnèrent sur l'Egypte au VIIIe siècle av. J.C. constituant la XXVe dynastie de pharaons.

Le plus célèbre, Taharqa, est devenu un héros national au Soudan et c'est une de ses statues colossales qui accueille les visiteurs du musée de Khartoum. Ceux de l'exposition de l'Institut du Monde Arabe le découvrent modestement agenouillé. Sa sœur Chépénoupet II, elle, est représentée sous la forme d'un sphinx. Les mains et les bras humains sur le corps de lion constituent une variante très rare de la représentation de cet animal fabuleux.

Impressionnants également les ouchebtis de Taharqa, serviteurs et répondants du mort pour l'au-delà. Le pharaon a fait déposer dans son tombeau 1070 ouchebtis de pierre dont certains mesurent jusqu'à soixante centimètres de haut. Le format inhabituellement grand et la haute qualité artistique de chacun des visages en font de véritables statues, œuvres majeures de la sculpture antique. Quelques uns d'entre eux sont exposés, laissant imaginer ce que pouvait être ce fascinant ensemble.

Une civilisation originale. A partir du IIIe siècle av. J.C., les souverains koushites font bâtir leurs pyramides à proximité de Méroé, la nouvelle capitale située plus au Sud. Là s'épanouit jusqu'au IVe siècle ap. J.C., une civilisation profondément originale, en contact avec l'Egypte, la Grèce et Rome. A noter tout particulièrement une série de têtes masculines plus expressives les unes que les autres.

Le royaume de Méroé forge sa propre écriture, empruntant à l'Egypte ses hiéroglyphes mais en leur donnant des valeurs nouvelles et en inversant la lecture. Aujourd'hui encore, cette écriture échappe à la compréhension.

Un autre trait singulier de cette civilisation est le pouvoir exercé par les reines. Elles apparaissent sur les parois des temples comme de plantureuses matrones. On peut mesurer la gloire et le prestige de ces souveraines devant le fabuleux trésor de Méroé. Découvert en 1834 par l'aventurier italien Ferlini dans la pyramide de la reine Amanishaketo, il compte plus de trois cents objets de fabrication locale et d'inspiration égyptienne: parures royales, pendants d'oreille, pectoraux, bracelets, colliers, anneaux... Avec la présentation de ces bijoux s'achève cette belle exposition.

Mathilde Viaene

Institut du Monde Arabe, 1, rue des Fossés Saint-Jacques, 75005 Paris, jusqu'au 31 août.
Catalogue en co-édition avec Flammarion, 430 pages, broché, 295 FF.

Updated on 06 Octobre 2016