La capoeira, au secours de la jeunesse haïtienne

C’est un art martial qui est aussi une danse. Arrivée à Haïti, la capoeira est en train de changer la vie d’une centaine de jeunes, grâce à une ONG brésilienne, à une communauté de sœurs et à votre aide.
14 Novembre 2016 | par

Un art martial qui ressemble à une danse où la force, la beauté, la mesure fusionnent au rythme des percussions. Des coups terribles frôlent l’adversaire sans jamais le toucher. C’est le miracle de la violence qui devient harmonie : c’est la capoeira. Il n’est pas étrange de trouver cet art ancien dans la banlieue de Rio de Janeiro, au Brésil, là où elle est née en mémoire de la lutte contre l’esclavage, mais bien plus bizarre de la retrouver dans les bidonvilles de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, dans un cadre culturel complètement différent.

C’est l’ONG brésilienne Viva Rio qui l’a amenée ici. Une ONG qui a des années d’expérience avec les enfants de la rue des favelas et qui œuvre à Bel Air, un quartier particulièrement violent de la capitale haïtienne. Et les résultats sont vraiment encourageants : les jeunes commencent à quitter la voie du crime. Son exemple est suivi par la communauté des Petites sœurs de l’Évangile qui travaille dans un autre bidonville de Port-au-Prince, Cité Okay, à quelques minutes de Cité Soleil, le bidonville le plus grand et désavantagé, et proche des camps de personnes déplacées suite au tremblement de terre de 2010.

Ici, les sœurs ont ouvert un centre de jour, le Kay Chal, et une école primaire. Inclure la capoeira parmi les activités pour les jeunes qui vivent dans cette pauvreté, a été un défi pour les sœurs qui ont demandé l’aide de la Caritas Saint-Antoine pour faire démarrer les cours avec l’aide de Viva Rio. Une demande étrange. Mais la Caritas Saint-Antoine a déjà vécu cela : ceux qui renaissent ont d’abord besoin de rêver. C’est de là que commence une synergie de bien, de culture, de talents qui est en train de transformer aujourd’hui la vie d’une centaine d’enfants et de jeunes à partir de 7 ans, avec une contribution d’à peine 5 000 euros.

Nous en parlons avec sœur Luisa Dell’Orto, responsable du projet. « La capoeira fascine les jeunes par son rythme et sa musique que tout Haïtien a dans le sang. Cela dépasse les différences culturelles. Le fait qu’il s’agisse d’un art martial permet d’exprimer la violence et de la canaliser vers un but. La plupart de ces jeunes ont des problèmes relationnels. La capoeira crée un dialogue avec l’autre. C’est un combat, mais pacifique. Il y a là une compétition positive, très importante pour les jeunes qui vivent dans des situations difficiles. »

 

Sur quels leviers s’appuie votre expérience ?

Le premier est le fait que la capoeira comporte des règles que normalement les jeunes n’acceptent pas dans la vie sociale ou à l’école. Ce sont des jeunes isolés, avec peu, voire aucun point de repère. Ils ont souvent du mal à ne pas bouger et à se concentrer, à ne pas être violents. Pour eux, la capoeira est une première introduction à l’existence de règles.

Le deuxième est la possibilité de décharger son énergie. Nous vivons dans des quartiers surpeuplés, sans jardin. Il est très important d’avoir un lieu qui soit un exutoire. En outre, cette danse a un aspect pédagogique et social : elle exige que l’on combatte mais sans jamais toucher l’adversaire. Cela implique une profonde attention à l’autre. Cet ensemble d’éléments change la vie de ces jeunes qui sont ainsi éduqués aux principes et au respect. Pour eux, s’ouvre une nouvelle dimension.

 

La vie à Haïti est vraiment dure, comment une danse peut-elle changer la perspective ?

La capoeira est la seule occasion pour ces jeunes de déplacer leur attention des besoins matériels et d’envisager un autre avenir. Tous nos jeunes souffrent de la faim et partent chaque jour à la recherche de nourriture. Voilà pourquoi avant chaque leçon, nous leur donnons un goûter ce qui les aide à faire face à l’intense exercice physique. Pour beaucoup, il s’agit du seul repas de la journée. Mais leur faim n’est pas que physique. Dès que le rythme envahit la salle et que le maître entame les explications, des jeunes qui ont de sérieux troubles de concentration, qui ont du mal à rester assis, entrent dans une autre dimension, complètement absorbés par cette expérience. Pendant ces leçons, la misère n’existe plus. Grâce à l’aide du maître, ils ont l’opportunité de réfléchir et de penser autrement. Le capoeiriste est un modèle de non-violence respecté dans le quartier. Il a une dignité et une identité. Ainsi, les jeunes apprennent que la pauvreté n’est pas tout, et qu’eux aussi ont de la valeur même s’ils marchent pieds nus et que leurs ventres sont vides.

 

Qui sont les enseignants ?

Ils sont le cœur du projet. Ils ont environ 30 ans et viennent de Bel Air, un quartier de bandes armées, considéré comme zone rouge par l’Onu. Ils ont été les premiers, grâce à la capoeira, à ne pas se faire avoir par ceux qui promettent l’argent facile. Un geste héroïque quand on a faim. Les enseignants sont les premiers témoins du changement. L’un d’eux est retourné à l’école à 25 ans et vient d’avoir son bac. Il est un exemple et un point de repère pour ces jeunes qui n’ont pas de père.

 

Pouvez-vous nous donner un exemple des bienfaits du cours de capoeira ?

Joao, sept ans, est arrivé ici avec ses frères l’an dernier. Il était le cauchemar des maîtres car il n’arrivait pas à rester tranquille ni à reproduire les coups. Sa capacité de concentration était nulle. En quelques mois, grâce au projet, il a appris à lire et à écrire. Aujourd’hui, il reste assis et suit les règles. Surtout, il est une promesse de la capoeira, il n’est plus l’enfant désaxé battu par les adultes. Joao deviendra un capoeiriste, une personne à respecter. Il le sait. 

 

Updated on 14 Novembre 2016
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