Les “Conformités”, l’emblème franciscain

12 Décembre 2008 | par

Un macdo ! Tous les enfants (et leurs parents) savent ce que signifie ce grand “M” jaune aux formes arrondies qui, juché sur mât, défigure désormais presque tous les paysages urbains de par le monde. C’est l’exemple le plus réussi (!) de “logo” à l’échelle mondiale : quelle que soit sa langue ou sa culture, chacun reconnaît en ce “M” la célèbre marque de restauration rapide.



Avec les “Conformités”, la Famille franciscaine a également son “logo”, visible lui aussi dans le monde entier, de l’Amérique latine aux Philippines, de la Pologne au Maroc, de la Californie à la Terre Sainte : peintes ou sculptées, dans les matériaux et sur les supports les plus divers, les “Conformités” montrent toujours, sur une croix, deux bras qui s’entrecroisent, celui du Christ et celui de François stigmatisé – les deux bras se différenciant par le fait que l’un sort d’une bure tandis que l’autre est nu.



En France, un pays où la Révolution et les expulsions ont bouleversé l’ancienne géographie religieuse, la présence des “Conformités” atteste d’une ancienne implantation franciscaine, aujourd’hui disparue ou oubliée : à Marseille, dans l’église Saint-Théodore, les “Conformités” sont sculptées sur le bénitier et rappellent que cette église était celle du couvent des Récollets. A Tours, rue de la Pierre, l’emblème franciscain est apposé sur la façade d’un institut médico-pédagogique. C’est l’ancienne chapelle des Capucins construite par les frères Perret dans les années 30. L’église Saint-Pierre de Coutances conserve une chaire du XVIIIe siècle, sur laquelle figurent les “Conformités”. Cette chaire avait été réalisée pour le couvent des Cordeliers de Granville, dont il reste quelques bâtiments un peu à l’extérieur de la ville. En Corse, bien des églises paroissiales utilisent des autels marqués des “Conformités”, car provenant d’un couvent de Frères, aujourd’hui détruit ou abandonné. On pourrait multiplier les exemples à l’infini.



Pourquoi les “conformités” ?

Le nom donné à notre emblème provient d’un ouvrage de la fin du XIVe siècle qui a connu une grande diffusion au Moyen Age et dont l’auteur est le franciscain Barthélemy de Pise : le traité De Conformitate vitae Beati Francisci ad vitam Domini Jesu redemptoris nostri, “De la conformité de la vie du bienheureux François à la vie du Seigneur Jésus notre rédempteur”. Pour beaucoup, cet ouvrage, ce n’est pas ce que les Franciscains ont fait de mieux. En effet, l’auteur y développe assez laborieusement une longue série de ressemblances qui font de la vie de François une imitation parfaite de la vie du Christ. Autrement dit, François est un alter Christus, un “autre Christ” – une expression sans doute malheureuse si on la prend au pied de la lettre, et qui a fortement déplu aux protestants. On peut les comprendre !

Si l’emblème franciscain a reçu ce nom de “Conformités”, c’est bien parce que l’on y a vu la représentation symbolique de cette sorte d’équivalence entre François et le Christ suggérée par le traité de Barthélemy de Pise. Les deux bras sont en effet disposés symétriquement par rapport à la croix. Il existe donc une certaine cohérence entre cette construction graphique et l’appellation qui lui a été donnée.



La vraie signification des “conformités”

Mais il nous faut poursuivre l’enquête et nous efforcer de découvrir l’origine du graphisme. Un capucin hollandais, sans doute le meilleur spécialiste mondial d’iconographie franciscaine, le père Servus Gieben, fait remonter notre emblème franciscain à un blason attribué à saint Bonaventure et apparu dans les Flandres à la fin du XVe siècle. Sur un tableau conservé au musée franciscain de Rome et réalisé par un artiste flamand anonyme aux alentours de la canonisation de Bonaventure (1482), on voit très nettement, à côté du chapeau de cardinal du nouveau saint, un écusson avec deux mains croisées transpercées par un même clou. Un texte flamand de la même époque, La vigne de saint François, indique que c’est Bonaventure lui-même qui, une fois cardinal, s’était choisi cet emblème. Dans l’esprit du grand théologien franciscain, il ne s’agissait pas tant d’exalter François comme un autre Christ, que de signifier que, par sa profession, le Frère Mineur – et l’Ordre tout entier – est définitivement attaché au Christ.

Il est donc probable que les “Conformités” telles que nous les connaissons soient issues de ce blason né en terre flamande et franciscaine à la fin du XVe siècle. Cela ne veut pas dire que l’épisode du choix d’un blason par Bonaventure ait un fondement historique. Mais ce qui nous importe ici, c’est l’évolution de l’emblème, à la fois sur le plan graphique et sur celui de sa signification. Des deux mains réunies par un même clou, on est passé aux deux bras croisés, montrant clairement, l’un, la plaie du Christ, l’autre, les stigmates de François. Cette transformation s’est accompagnée d’un glissement sémantique : au départ symbole d’une union indéfectible au Christ, l’emblème est devenu le signe de l’exceptionnelle conformité de François au Christ par les stigmates. Cette marque d’amour et de fidélité au Christ que chaque frère mineur pouvait faire sienne a évolué en un symbole de gloire et d’honneur pour l’Ordre des Frères Mineurs.

On voit ce que peut signifier la transformation apparemment anodine d’un emblème, en termes de vitalité spirituelle pour l’Ordre de saint François. Les Frères ont sans doute eu la tentation de brandir leur saint François, de s’en faire un drapeau, alors que leur vocation consiste à « observer le saint Evangile de notre Seigneur Jésus Christ, en vivant dans l’obéissance, sans avoir rien propre et dans la chasteté » (règle de 1223). Cette tentation, sans doute un peu idolâtrique, peut resurgir à tout moment.

Puisse cette année jubilaire permettre à chacun des Frères de retrouver le sens primitif des “Conformités” : être attaché au Christ, en étant cloué à la Croix avec lui.

Updated on 06 Octobre 2016