L'hôpital des pauvres

22 Mai 2014 | par

À l’occasion de la fête de saint Antoine, comme chaque année, nous vous proposons le projet principal de la Caritas Saint-Antoine pour 2014. Cette année, nous nous engageons à construire un service d’urgences à Sabou, au Burkina Faso. ce service intégrera le centre médical Saint-Maximilien-Kolbe financé par la Caritas Saint-Antoine, il y a environ 9 ans, là où l’hôpital le plus proche se trouve à une centaine de kilomètres : raccourcir les distances pourra certainement sauver des vies.

 

Je m’inquiète un peu, je l’avoue. Ce n’est pas la première fois que je vais en Afrique, mais cette fois c’est différent. Tout le temps où je serai au Burkina Faso, je serai les yeux, l’esprit et le cœur de tous les amis de la Caritas Saint-Antoine. D’un certain point de vue, je joue sur du velours : le projet sera réalisé à Sabou (diocèse de Koudougou), dans la jeune mission de nos frères, dans la région du Centre-Ouest, à une centaine de kilomètres de Ouagadougou. Il s’agit d’un service d’urgences en pleine région rurale qui complètera le centre médical Saint-Maximilien-Kolbe, financé par la Caritas Saint-Antoine il y a environ 9 ans, là où il n’y avait pas la moindre trace de système sanitaire. Ce sera un gros soulagement pour les gens, m’ont déjà annoncé les frères. L’aéroport de la capitale me surprend. Il est technologique et fonctionnel. Mais une fois que l’on passe les portes coulissantes, c’est l’Afrique qui reprend le dessus, il n’y a plus de climatisation et nous sommes enveloppés par un courant chaud et sec, plein de sable provenant du désert du Sahel. 

 

La route de la mort

La route qui mène de la capitale à la mission est aussi la seule voie qui relie le pays à la Côte d’Ivoire. 80 km durant lesquels nous retenons notre souffle. Des carcasses de voitures sont éparpillées le long du parcours. La route est congestionnée par des cars remplis de personnes et des camions branlants, chargés jusqu’à l’invraisemblable, avec des sacs qui dépassent de beaucoup la limite du toit : on dirait un défi aux lois de la physique.

Les gens conduisent comme des fous, souvent sans phares, et on a l’impression que leurs motocyclettes et vélos sont engloutis dans le vide d’air qu’ils créent. Le frère polonais Marek qui m’accompagne, m’explique que ce n’est pas qu’une impression. Cette route est surnommée la route de la mort. Pour ceux qui sont habitués à la sûreté occidentale, cela fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac.

Plus on approche de Sabou, plus la terre est sèche et la végétation rare. C’est une région agricole, mais nous sommes à la période où il ne pleut pas. Le frère Marek nous explique que depuis deux ans, la sècheresse a ruiné les récoltes et rendu encore plus pauvres les paysans de la zone. Quand le vent souffle depuis le désert, tout disparaît dans un nuage de sable : le ciel, le soleil, la vie.

Au couvent franciscain de Sabou, nous sommes accueillis par le frère Lorenzo. Il gesticule en nous décrivant le périmètre de la mission : 50 km du nord au sud, 60 d’est en ouest, 140 000 habitants environ, dont seulement 20 % de catholiques. Quatre frères, deux Abruzzais et deux Polonais pour une paroisse, la paroisse Saint-Luc, qui concerne 11 villages et le centre médical Saint-Maximilien-Kolbe, le seul

centre sanitaire du département, financé par la Caritas Saint-Antoine en 2005 et agrandi au fil du temps grâce à d’autres donations. « Il y a quelques dispensaires dans les alentours - continue le frère Lorenzo –, et je te les recommande ! S’il t’arrive quelque chose ici, le premier véritable hôpital est situé à 100 km et il est payant. On a bien le temps de mourir. » Le centre Saint-Maximilien-Kolbe a un service d’hospitalisation de 24 lits, un laboratoire d’analyses, un service de médecine générale et un service de consultation pour les malades du sida et de tuberculose, un cabinet dentaire et une pharmacie qui offre des médicaments dix fois moins chers que ceux que l’on trouve sur le marché. À côté, se trouve un « Cren », un service pour les enfants souffrant de malnutrition, et un service maternité, offert par la Caritas autrichienne, sera bientôt ouvert. 33 personnes y travaillent, et tous sont des Burkinabé. Parmi eux, on compte dix infirmiers et un médecin fixe. Au centre, travaillent aussi des bénévoles, des médecins occidentaux surtout, qui restent ici pour une période donnée. Cela ne semble pas grand-chose, mais c’est du luxe car au Burkina Faso, il y a un médecin pour 40 000 habitants et un infirmier pour 30 000 habitants.

 

Un hôpital dans le sable

Le centre Saint-Maximimlien-Kolbe se trouve à environ 2 km du couvent, juste sur la route de la mort. L’enseigne rongée par le vent du désert doit ressembler, pour les malades ou les blessés qui ont la chance d’arriver vivants jusqu’à là-bas, à une sorte de mirage. J’y entre. Je suis frappé par sa digne simplicité. Les chambres sont rustiques mais propres. J’y retrouve l’emprunte des frères et des bénévoles qui ont travaillé parmi les pauvres. Le frère Lorenzo raconte qu’avant l’ouverture du centre, il était impossible de soigner rien qu’une simple attaque de malaria, endémique dans ces régions. La liste des urgences est une collection d’horreurs : infections respiratoires graves, méningites, infections intestinales, accouchements difficiles, auxquels s’ajoutent les « spécialités » locales comme les morsures de serpent. « Nous avons installé un petit service d’urgences – continue le frère Lorenzo –, ma cela ne suffit pas compte tenu des urgences auxquelles nous devons faire face. Nous ne pouvons pas faire de radiographies ni d’échographies, nous n’avons pas de salle d’opération pour les interventions urgentes. Un service d’urgences équipé nous permettrait de sauver de nombreuses vies et d’éviter à ces pauvres gens des voyages longs et coûteux dans le but d’avoir un diagnostic correct. Beaucoup d’entre eux ne possèdent pas même un vélo, comment peuvent-ils arriver à la capitale pour une radiographie ? »

Emmanuel, 4 ans, a l’œsophage corrodé par de l’acide. Au moment de l’accident, il vivait avec ses parents en Côte d’Ivoire. En s’apercevant qu’il avait du mal à manger, ses parents l’avaient accompagné dans un hôpital, mais personne ne comprit ce qui se passait. Une fois le budget épuisé, l’hôpital l’avait renvoyé. Pour le sauver, ses parents l’ont amené au centre Saint-Maximilien-Kolbe. Grâce aux examens de notre laboratoire, il a été possible de poser un diagnostic. Emmanuel a été opéré et s’en sortira. Mais combien d’autres meurent ?

En tant que frères franciscains, nous n’avons pas le charisme sanitaire des Camilliens qui soignent les malades dans le monde entier, mais je me rends compte qu’ici l’hôpital est l’œuvre caritative la plus importante. « Au fond, conclut le frère Lorenzo, sans jamais perdre sa bonne humeur, les Franciscains sont comme les Marines, nous nous lançons tête baissée là où se trouvent les plus faibles. Nous évaluons leurs besoins et… nous créons de nouvelles œuvres ».

Updated on 06 Octobre 2016