Marie, obstacle ou source d’unité ?

01 Janvier 1900 | par

Sur le chemin de l’unité des Eglises chrétiennes, Marie constitue à la fois une présence incontournable et un obstacle. La vénération que lui attribuent, en effet, orthodoxes et catholiques par l’élan populaire, le culte et l’art, n’est pas partagée par les protestants qui la considèrent exagérée, voire déplacée par rapport à la place centrale qu’occupe le Christ, seul et unique médiateur entre Dieu et les hommes.

C’est donc un geste audacieux que vient d’accomplir le Groupe des Dombes, d’abord en inscrivant Marie au programme de ses rencontres, et ensuite en publiant le document Marie dans le dessein de Dieu et la communion des saints. (Centurion, janvier 1997, 104 pages, 55 FF) : Après plus de cinquante ans de patient travail œcuménique dans le domaine doctrinal... le Groupe des Dombes a estimé qu’une audace lui était désormais possible : aborder le thème de la Vierge Marie... sujet particulièrement conflictuel, à la fois pour son enjeu au regard de la foi chrétienne et pour les réactions affectives opposées qu’il a constamment provoquées (Introduction, p. 13). Avec une simplification extrême, et fausse, ne définissait-on pas les catholiques comme ceux qui croyaient à la Vierge Marie, et les protestants comme ceux qui n’y croyaient pas ? Ce document, courageux, qualifié par le pasteur Michel Leplay de première œcuménique, livre donc tout ce que catholiques, orthodoxes et protestants peuvent dire ensemble aujourd’hui sur la Vierge Marie.

Pour dire ensemble, il faut puiser aux sources communes, c’est-à-dire l’histoire, l’Ecriture et les Professions de foi admises par tous. Les leçons de l’histoire occupent en fait la première partie du document (p. 19-66) ; la deuxième est consacrée au témoignage de l’Ecriture et à la confession de foi.

Restent deux autres sujets, les plus discutés, qui seront publiés dans un deuxième temps, mais sur lesquels l’accord est déjà intervenu :

1) Les questions controverses : coopération de Marie au salut, virginité de Marie, dogmes catholiques de l’Immaculée Conception et de l’Assomption ;

2) L’invocation (le culte) de Marie et des saints.

Un dernier chapitre sera consacré à la conversion, une démarche qui s’impose à tous lorsqu’on veut parvenir à un consensus. Conversion ici signifie changement de regard afin de découvrir et d’accepter la vérité qui ressort d’une étude approfondie de l’Ecriture et de la Tradition des Eglises. Un sujet qui avait été largement abordé dans le précédent document du Groupe des Dombes : Pour la conversion des Eglises (Centurion, 1991).

Au regard
de l’histoire

Le parcours historique part de l’Eglise ancienne, traverse le Moyen Age et la Réforme protestante, pour aboutir au XIXe siècle et à l’époque actuelle. En voici quelques jalons.

L’Eglise ancienne. Le premier témoignage d’Ignace d’Antioche (110) fait mention de la conception virginale de Jésus : Notre Dieu, Jésus Christ, écrit-il, a été... porté dans le sein de Marie, issu du sang de David et aussi du Saint-Esprit (p. 20).

Le témoignage de saint Irénée (vers 180) nous fait remonter jusqu’aux apôtres, puisqu’il est disciple de Polycarpe, lui-même disciple de saint Jean. C’est un seul et même Esprit de Dieu, écrit-il, qui a annoncé... que le Royaume des cieux ... résidait au-dedans des hommes qui croyaient en l’Emmanuel né de la Vierge (p. 23).

A l’époque du concile d’Ephèse (431), Marie est vénérée sous le titre de Theotokos, celle qui a enfanté Dieu et sa virginité devient le modèle de la virginité féminine:

Que la vie de Marie qui engendra Dieu, écrit Athanase (mort en 373), soit à vous toutes l’image à laquelle chacune conformera sa virginité (p. 25).

En résumé , l’Eglise ancienne a traduit en invocation et vénération les affirmations d’Irénée sur Marie, vierge, obéissante et cause de salut.

Les livres apocryphes. Bien qu’ils ne fassent pas partie de l’Ecriture, ils sont eux-mêmes les témoins de la piété à un moment donné de l’histoire et certains cultes et fêtes, comme ceux de saint Joachim et de sainte Anne, parents de Marie, encore en vigueur, remontent à ces sources.

Au Moyen Age. Le culte des images et les fêtes mariales se multiplient. Théologiens et mystiques affirment qu’au sujet de Marie, on n’en dira jamais assez (le célèbre de Maria numquam satis, attribué, à tort semble-t-il, à saint Bernard)... des débats s’intéressent à sa Conception Immaculée, à son Assomption, à son rôle de médiatrice entre Jésus et les hommes. Naissent le Je vous salue, Salve Regina, le Rosaire, le Stabat Mater, la dévotion à ses Gloires et à ses Douleurs... Mais les débordements de ce culte provoqueront la réaction protestante du XVIe siècle.

La Réforme protestante. Un paragraphe du livre résume bien l’attitude ambivalente des réformateurs à l’égard de Marie : d’une part ils défendent une position polémique envers la piété mariale du Moyen Age; de l’autre, ils développent une interprétation positive de la personne de Marie (p. 38).

Les deux derniers siècles. Les deux derniers siècles sont marqués par le développement du culte marial chez les catholiques, notamment avec la proclamation des dogmes de l’Immaculée Conception (Pie IX, 1864) et de l’Assomption (Pie XII, 1950), et l’attitude protestante qui se refuse à faire de Marie la presque égale du Christ.

Le concile Vatican II, particulièrement sensible à la présence et à la réflexion des protestants, rétablira l’équilibre en situant Marie à sa vraie place par rapport au Christ (ch. VIII de Lumen Gentium) et Paul VI publiera l’encyclique Marialis Cultus (1974) qui donnera au culte marial ses véritables assises bibliques, historiques et liturgiques.

Au regard de l’Ecriture
et de la confession de foi

Le deuxième chapitre part des affirmations des Symboles des Apôtres (qui font partie des prières quotidiennes) et de Nicée-Constantinople (proclamé habituellement à la messe) pour souligner la place de Marie, sur le témoignage des Ecritures :

- la création: Marie, créature, femme et fille d’Israël, est présente ainsi notamment dans l’Annonciation à Marie et les avertissements de l’ange à Joseph ;

- l’Incarnation : Marie est Mère de Jésus, Christ, Seigneur et Fils de Dieu (Annonciation, Visitation, Nativité, Présentation au Temple, Jésus perdu et retrouvé, Noces de Cana) ;

- la communion des saints, témoins du Christ, parmi lesquels la Vierge Marie, qui fut par sa chair la plus proche de Jésus, occupe la première place.

Le dernier paragraphe du document résume bien le rôle de Marie dans la foi et dans l’Eglise : En parcourant les trois articles du Symbole de foi, nous avons cheminé avec Marie... Marie a chanté dans le Magnificat sa destinée unique : elle est l’humble servante du Seigneur, pour qui Dieu... a fait de grandes choses ; elle se voit appelée bienheureuse par toutes les générations pour avoir cru aux promesses faites à Abraham. a fait de grandes choses... Par son oui donné à l’annonce angélique, Marie se verra devenir la mère de son Seigneur. Mère et bienheureuse, Marie n’oubliera ni son origine ni l’ampleur de ce qui par elle va prendre corps et dépasser toutes les limites du temps et de l’espace en celui qui sera la lumière des nations et la gloire d’Israël.

Un tel document va-t-il heurter notre manière de vénérer et de prier Marie ? Peut-être! Mais nous n’avons rien à craindre de la vérité, car, comme le soulignait le pasteur Leplay, plus Marie sera remise à sa place, dans la liturgie et la pratique des catholiques, plus elle sera respectée et remise à sa vraie place par les autres Eglises chrétiennes.

A la veille du Deuxième Rassemblement Œcuménique Européen, qui aura lieu, à Graz, en Autriche, du 23 au 29 juin 1997 (nous en parlerons dans le prochain Messager), il n’est pas inutile d’espérer que Marie soit présente sur le chemin de nos rapprochements et de nos réconciliations.

Updated on 06 Octobre 2016