Mgr Jacques Suaudeau : « Le Suaire, une synthèse de la Passion »

Prêtre du diocèse de Grenoble, Mgr Jacques Suaudeau a été médecin, chirurgien et chercheur aux États-Unis. Il a été directeur scientifique de l’Académie pontificale pour la Vie jusqu’en 2013.
15 Avril 2017 | par

Pourquoi le Linceul de Turin fascine-t-il autant les croyants comme les non-croyants ?
Il est vrai que les gens se déplacent, et même de très loin pour voir le Saint-Suaire, ce linge exposé en altitude, qui est allongé, et qu’ils ont vu auparavant en photo. Il faut dire que cette image est impressionnante. Impressionnante d’abord à cause de sa qualité technique, et des marques de sang qui lui donnent un aspect totalement authentique. Cette image est unique et non reproductible parce que l’on a l’impression d’une image photographique. Il s’agit en effet d’une image en trois dimensions, où les profondeurs sont indiquées. En regardant cette image on a un sentiment très profond de réel. Il y a aussi un contraste impressionnant entre cette face d’un supplicié, très sereine, et l’acharnement que l’on voit traduit dans toutes les marques que ce corps porte. Les gens qui s’en sont approchés de près l’on bien dit, comme les Clarisses de Chambéry qui ont dû réparer le suaire en 1534. Au contact de ce linge, elles priaient parce qu’elles contemplaient toutes les lésions qu’elles voyaient, comme les marques d’épines. Elles évoquaient ainsi ces épines enfoncées dans le crâne avec acharnement. Il y a là une correspondance entre le récit des Évangiles et toutes les marques que l’on voit sur le corps.

 

En mai 2010, en se recueillant devant le Linceul, Benoît XVI a livré une méditation sur le Samedi saint, en disant que ce visage était une icône…
C’est effectivement une icône qui impressionne. En discutant avec ceux qui l’ont vu, il est frappant d’entendre qu’ils se déclarent tous impressionnés. En le voyant, il y a une impression qui porte à la prière devant cet homme du suaire. La première fois que l’on a fait un négatif photographique du Linceul, le résultat a été très impressionnant, on y voyait toutes les blessures de façon extrêmement précise.

 

Que disent ce visage et ces marques du Linceul sur les souffrances et la Passion du Christ ?
Il faut d’abord utiliser un langage scientifique et médical. On voit d’abord que ce visage est tuméfié, qu’il a été frappé. Le nez a été cassé, les arcades sourcilières ont été brisées, et le sang des plaies de la couronne d’épines s’écoule verticalement. Dans le même temps, on voit un homme qui correspond à ce que l’on peut s’imaginer de Jésus. Un homme d’abord d’une trentaine d’années, assez athlétique et dont il émane cette curieuse sérénité intérieure.

Ce qui est très frappant est la marque profonde des épines à travers les taches de sang. L’enfoncement des épines était beaucoup plus fort en arrière, car le condamné tapait sa tête sur le bois de la croix à chaque fois qu’il essayait de respirer. Le décalque des caillots sanguins qui ont été analysés montrent une couleur rouge qui vient d’une concentration excessive de porphyrine, un composant sanguin, qui traduit très probablement l’exténuation de la personne dans ses derniers moments.

Mais comment ce Linceul peut-il aider à méditer la Passion ?
C’est là qu’il faut écarter l’aspect scientifique, le carbone 14 et autre, et prendre l’image comme une icône, et contempler ce visage en lisant l’Évangile. Car, ce corps, au fond, est une synthèse de tout ce qu’il s’est passé dans le récit de la Passion. Il y a d’abord ce contraste, on l’a vu, entre cette paix du visage et cet acharnement de violence, cette haine qui s’est abattue de façon incroyable sur cet homme.

La deuxième chose est qu’il s’agit d’un suaire, donc il nous parle de l’ensevelissement du Christ. Les gens qui se rendent à Turin y voient vraiment une icône de la Passion du Christ. C’est un sentiment frappant et qui dérange. On souffre avec l’homme qui souffre, on sent le péché du monde qui pèse sur cet homme-là. Et nous sommes un peu responsables des souffrances de ce supplicié, nous portons chacun de nous, une part de responsabilité de ce qu’il s’est passé.

Parmi les millions de personnes qui ont déjà vu le Saint-Suaire, il y aussi des non-croyants. Le Linceul de Turin peut-il aussi les aider à entrer dans le Mystère ?
Oui, et je le crois. D’abord sur un plan intellectuel, quand on voit l’icône d’une autre religion, on y perçoit un signe qui nous dit autre chose que l’image, qui va plus loin.

Dans le Saint-Suaire, l’icône du supplicié nous dit quelque chose par-delà même du récit de la Passion, de l’ensevelissement et de la Résurrection. Ce corps supplicié est, au fond, comme un résumé du mal. Et n’importe qui, quelle que soit sa croyance, peut concevoir ce mystère du mal qui pèse sur le monde, sur ces horreurs. Je crois qu’un non-croyant qui rentre dans l’étude du Suaire va être de plus en plus interrogé. Moi-même, je suis arrivé avec une attitude assez sceptique et scientifique, avec le carbone 14 etc. et puis quand on y rentre, on se heurte à l’inattendu, l’inexpliqué, à commencer par cette image elle-même, inimitable.

Il faut mentionner aussi le travail du chirurgien Pierre Barbet qui a croisé les données anatomiques avec les Évangiles et qui y a trouvé des correspondances stupéfiantes. On passe par toutes les phases de la Passion, en commençant par la flagellation, les marques des coups de fouets des Romains, les blessures aux genoux qui correspondent aux chutes de Jésus ou encore la plaie du flanc. Quelqu’un de bonne volonté ne peut pas repousser la chose comme cela.

Il faut savoir que les scientifiques de la Nasa, qui se sont intéressés au suaire avant les années 80, n’étaient pas forcément des croyants. Mais ils sont entrés dans cette grande interrogation, comme tant d’autres.

Updated on 15 Avril 2017
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