Paris, réfectoire des cordeliers : horizon 2018

27 Avril 2016 | par

Certains se voient déjà en 2017 (les présidentielles !). D’autres ne rêvent que de 2018 (le mondial de foot !). Les amis de saint François attendent eux aussi avec impatience 2018, mais pour une autre raison. À cette date, le réfectoire des cordeliers, relique insigne du Paris franciscain, aura retrouvé sa splendeur originelle. Mieux, il aura renoué avec sa vocation d’origine. Suivez-moi, je vous explique tout.



Enclavé dans les bâtiments de l’École de Médecine (aujourd’hui faculté de médecine Paris-Descartes), le réfectoire des cordeliers est peu visible depuis la rue. Avec les contrôles accrus depuis les attentats, il est désormais pratiquement inaccessible. C’est pourtant le seul vestige architectural du Grand couvent des cordeliers de Paris, ce haut lieu du franciscanisme.

 

Un peu d’histoire

D’abord installés à l’extérieur de l’enceinte de Philippe-Auguste, au lieu-dit Vauvert (entre l’Observatoire et le palais du Luxembourg), les Frères Mineurs avaient fait leur entrée dans Paris en 1230, lorsqu’ils avaient reçu de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés un terrain situé le long de la muraille, côté intérieur de la ville. Les limites de l’ensemble conventuel correspondaient approximativement aux actuelles rues de l’École-de-Médecine (ancienne rue des Cordeliers), Racine, Antoine-Dubois (ancienne rue de l’Observance) et Monsieur-le-Prince. L’église, construite dans la deuxième moitié du XIIIe siècle et plusieurs fois remaniée, se trouvait grosso modo entre le réfectoire (mais légèrement désaxée par rapport à celui-ci) et la rue Antoine-Dubois et empiétait très nettement sur la rue de l’École-de-Médecine. D’une longueur démesurée (105 mètres !), elle était dépourvue de transept mais comptait vingt-cinq chapelles. Elle était littéralement pavée de pierres tombales. Le couvent comportait également deux cloîtres (dont l’un, reconstruit au XVIIe siècle, faisait l’admiration du Tout-Paris), une salle du Chapitre, plusieurs dortoirs et salles de cours.

L’ampleur de ces constructions s’explique par le rôle très particulier joué par le couvent de Paris, surtout au Moyen Âge. Le prestige de la capitale et la nécessité d’une formation intellectuelle pour les frères, conduisent les franciscains à ouvrir un collège universitaire, le studium generale, où affluent des étudiants provenant de toute la chrétienté. C’est à Paris que la théologie franciscaine prend naissance et qu’elle trouvera son plein épanouissement. Bonaventure, le théologien franciscain par excellence, s’est entièrement formé à Paris. Jean Duns Scot y a enseigné durant l’année scolaire 1302-1303.

Mais cet âge d’or n’a pas survécu aux tensions qui ont traversé l’Ordre de saint François au XVe siècle et qui ont opposé Conventuels et Observants. Pour tenter de mettre fin aux abus, réels ou supposés, dont on accusait les frères, les ministres généraux franciscains n’ont eu de cesse de réformer le Grand couvent. Ils n’y sont jamais vraiment parvenus, essentiellement parce que cette maison, accueillant en permanence plusieurs centaines de religieux, avait des besoins matériels bien spécifiques et qu’elle ne pouvait être réformée comme n’importe quel petit couvent. Toutes ces difficultés n’ont pas empêché de très nombreux frères de vivre saintement leur vie religieuse en ces lieux, et ce jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Le dernier gardien du Grand couvent, le lorrain

Jean-François Burté, victime des massacres de septembre 1792, a été béatifié en 1926.

Après la Révolution, l’enclos des cordeliers est affecté à l’École de Médecine et les bâtiments conventuels progressivement détruits (l’église dès 1795, le beau cloître en 1877), sauf le réfectoire.

 

Le réfectoire

Cet immense édifice (57 mètres de long, 17 de large, 24 de haut), comprend quatorze travées épaulées par de puissants contreforts et s’élève sur trois niveaux : un rez-de-chaussée utilisé comme réfectoire, un premier étage servant de dortoir pour les novices et enfin des combles très élevés. Sa construction commence dans la seconde moitié du XIVe siècle, grâce aux libéralités de la veuve de Charles IV le bel, Jeanne d’Évreux, grande protectrice des Franciscains. Après la mort de la reine, les travaux se ralentissent, faute d’argent, et au début du XVIe siècle, on achève le portail, le pignon occidental ainsi que les fenêtres du premier étage. Même s’il n’existe pas d’architecture franciscaine à proprement parler, le réfectoire des cordeliers apparaît étonnamment sobre et pauvre, et donc franciscain. Hormis les murs en maçonnerie, toute la structure intérieure est en bois. Chaque niveau est divisé dans le sens de la longueur par une file de poteaux de bois supportant les poutres du plafond. La simplicité du lieu se manifeste également par l’absence de décoration sculptée, si on excepte les deux admirables culs-de-lampe qui ornent la chaire du lecteur aménagée dans une fenêtre du côté nord.

Après la Révolution, le réfectoire a abrité un musée consacré à l’anatomie pathologique, puis il a longtemps été laissé à l’abandon, avec comme seuls occupants les pigeons du quartier. Dans les années 1960, André Malraux a songé à rendre le bâtiment aux frères mineurs, mais cette bonne idée n’a pas abouti.

 

Une nouvelle vocation

À l’automne dernier, la Mairie de Paris a présenté un ambitieux projet de réhabilitation du réfectoire. Tout en assurant la sauvegarde du bâtiment, ce plan vise à en respecter l’héritage historique. Une initiative suffisamment rare pour être saluée ! La grande salle du rez-de-chaussée – le réfectoire proprement dit –, sera restaurée et transformée en salle d’exposition. Quant au dortoir des novices et aux combles, ils seront aménagés en studios permettant d’accueillir une quarantaine de jeunes chercheurs, français et étrangers. On ne peut qu’applaudir à la philosophie générale de l’entreprise : permettre la réouverture de la belle salle du réfectoire, et surtout, rendre aux étages supérieurs leur vocation universitaire… Certes, il ne s’agira plus d’étudiants en théologie, mais ces jeunes chercheurs des années 2020 ne seront pas sans points communs avec les novices franciscains du Moyen Âge, lesquels étaient souvent à la pointe de la science de leur temps.

Après des fouilles archéologiques au cours de l’été, les travaux commencent à l’automne. Livraison prévue au cours du  deuxième semestre 2018. 

Updated on 06 Octobre 2016