S’isoler… une solution ?

Aller à la recherche des personnes isolées, trouver la manière juste de parler du Christ qui puisse retourner les cœurs et conduire des âmes à Dieu.
15 Janvier 2017 | par

Aller à la recherche des personnes isolées, trouver la manière juste de parler du Christ qui puisse retourner les cœurs et conduire des âmes à Dieu. Voilà ce qui a décidé le père Michel Gitton, prêtre de Paris, à fonder la communauté Aïn Karem en 1988. Il explique avec entrain et vivacité combien l’isolement social, culturel, économique ou religieux n’est en rien une solution !

Dans notre société en tension, les groupes se replient vite sur eux-mêmes. Que pourrait-on dire au début de cette année 2017 pour la France ?
Je pense que vous voulez parler du désintérêt de la politique, car décevante, alors on s’occupe d’autre chose et on ne regarde pas plus loin que sa commune. Cependant, aujourd’hui, on voit un certain regain d’intérêt pour la chose publique, une attention plus grande est portée à la politique, même chez les jeunes. Ils se rendent compte de l’importance d’affronter les problèmes, d’aller vers les autres, de ne pas s’isoler ni faire l’autruche !

Être en relation suppose d’accepter l’autre tel qu’il est. Comment faire ?
La présence de l’autre est difficilement niable. Il est devant nous, à côté de nous, on dépend de lui… Mais jusqu’à quel point lui faisons-nous une place dans notre cœur ? Comment ouvrons-nous nos cœurs : de manière froide et utilitariste ou avec la charité la plus exquise ? C’est la peur qui fait replier les êtres humains sur leur petit moi : peur de déranger, d’être contesté, de perdre quelque chose. C’est en sortant de cette peur qu’on pourra aller vers les autres.

« Une des conséquences du “bien-être” est de conduire les personnes à se replier sur soi, les rendant insensibles aux besoins d’autrui » (pape François, octobre 2016). Comment s’éloigner de cette tendance égoïste ?
En cherchant à se préserver, l’homme ne préserve rien du tout et se déshumanise. S’appuyer sur Dieu, c’est montrer que l’on n’a rien à craindre et que l’on peut aller hardiment vers les autres. C’est quand on veut défendre son petit pré carré que l’on est en danger. Si d’autres ont plus besoin que moi de ce que j’ai, qu’ils le prennent ! Par expérience, agir ainsi rend bien plus libre ! C’est Dieu qui me défend ; cette assurance permet de se tourner vers l’avenir.

Bien-être égoïste, mal-être conduisant à l’isolement… triste équilibre ?
Oui, il faut surtout en sortir ! Saint François d’Assise demandait aux jeunes qu’il rencontrait et qui ne manquaient de rien s’ils étaient capables d’échanger leur costume avec le miséreux… Si on se confie à Dieu, on a l’essentiel. Tout ce que l’on n’est pas prêt à donner, à partager, nous empoisonnera. On sera à l’abri mais on en mourra ! Si l’on est capable de donner et de partager, on trouve une liberté intérieure qui nous permet d’aller de l’avant.

« Si un seul membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance » (saint Paul). L’isolement d’une personne a donc des conséquences sur les autres, alors comment créer l’envie du souci des autres ?
Ce n’est pas dissociable de l’expérience de la foi. Le Christ a provoqué les gens nantis ou trop sûrs d’eux à perdre leurs sécurités pour devenir des disciples et ainsi être capables de partager avec les autres. La foi a cet effet libérateur, nous tirant de nous-mêmes et nous donnant cette confiance pour pouvoir ouvrir les mains et le cœur. L’assurance vient avec la capacité de donner. Le rapport avec les autres procure de la joie, parfois inattendue.

Comment faire naître un climat de confiance, qui permette à chacun de grandir, de s’épanouir et de s’ouvrir aux autres ?
En montrant l’amour de Jésus pour la personne et en lui révélant l‘immensité de l’amour de Dieu. Concrètement, j’aime montrer aux gens que la prière est un soutien et un moyen de sortir de soi et leur faire découvrir qu’il y a quelqu’un bien présent au fond de leur cœur. Après l’expérience de la prière, vient celle d’aider les autres. Être capable d’aider les autres permet de trouver une certaine assurance. Une personne au fond du désespoir à qui l’on a ouvert une possibilité de service est libérée.

Saint Jean-Paul II affirmait déjà en 1985 : « Les jeunes ne doivent pas s’isoler des autres ». Comment répondre à cet appel et mettre en pratique ce souhait ?
Il a fait ce qu’il fallait pour ça ! Les Journées mondiales de la jeunesse ont été et sont un énorme succès. Elles amènent des brassages de races et de cultures inattendus, mais aussi au sein même d’un groupe, de tendances très différentes : aux JMJ, ces personnes cheminent, rient, pleurent et applaudissent ensemble.

De quel œil voyez-vous l’accélération de la croissance des villes qui génèrent de manière paradoxale l’isolement social, culturel et économique ?
La ville est le lieu de l’anonymat. On peut vivre et mourir sans que personne ne vous voie. Les communautés chrétiennes ont à créer des pôles de sociabilité, d’échanges et de rencontres, et à vivifier le tissu urbain pour éviter d’avoir une collection de personnes isolées. L’Église est encore la mieux placée pour faire cela actuellement. Aïn Karem fait du porte à porte, de l’apostolat pour aller rencontrer les gens, qui, parfois surpris, aiment finalement discuter. Cet apostolat permet de sortir de l’isolement urbain !

L’isolement peut-il être dû aux évolutions technologiques et à la diminution des rencontres physiques ?
Il va falloir une ascèse de tous les écrans. C’est une addiction, c’est dévorant, alors il faut se donner une discipline de vie. Il faut plaider la nécessité de dominer ces moyens et ce n’est pas impossible ! Non pas les ignorer ou les mépriser, car ce sont des outils merveilleux par certains côtés qui peuvent aussi bien rapprocher qu’isoler, mais se limiter pour garder des occasions gratuites de rencontres. Il faut lire aussi pour ne pas dépendre uniquement des informations immédiates. Si nous n’en avons pas la force et le courage, nous serons réduits à l’état de mécanique et de robotique.

À l’approche de la Journée mondiale des migrants, pourquoi la solidarité entre les peuples dont parle tant le pape François est-elle si difficile?
Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu ! Cela reste un programme d’actualité. Franchir des frontières et sympathiser avec une autre culture reste un objectif pour être fort et penser que l’autre est une chance et non un péril. Les animaux qui ont un squelette n’ont pas besoin de carapace. Ce trait s’applique aux hommes. On a une carapace quand on n’a pas de squelette, mais quand on a un squelette et qu’on est donc structuré intérieurement, on n’a pas besoin de se barricader !

Entrer en soi, s’isoler, n’est-il pas vital pour pouvoir mieux se donner et sortir de soi ?
Le silence et le recueillement sont indispensables. La prière permet de rentrer en soi et de sortir de soi. C’est d’abord avec Dieu qu’on a à sortir de sa carapace pour s’ouvrir à Lui, et quand on s’y est ouvert, on peut aller vers les autres, ouvrir nos mains et notre cœur ! 

Updated on 27 Janvier 2017
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