1221 : objectif, le pays des « Teutons » !

Lors d’un chapitre réunissant à Assise plusieurs milliers de frères en juin 1221, François prend l’initiative d’envoyer des frères en « Teutonie », c’est-à-dire en Allemagne. Point de départ d’une belle épopée franciscaine, qui continue à porter du fruit.
20 Juin 2021 | par

En l’absence de « sources », l’historien est comme paralysé. Ainsi, nous ne disposons d’aucun texte relatant l’arrivée des premiers frères en France, et pour cette raison l’itinéraire de Frère Pacifique et de ses compagnons nous est inconnu. En revanche, concernant l’Allemagne, nous bénéficions d’une riche chronique composée par un frère ombrien, Jourdain de Giano, qui a appartenu au groupe de franciscains qui a franchi les Alpes après le chapitre d’Assise de juin 1221, il y a exactement 800 ans.

Assise, 1221
Tout avait pourtant fort mal commencé. Dès 1217, des frères avaient déjà pris le chemin de la « Teutonie ». Mais ils étaient mal préparés, et en particulier, aucun d’entre eux ne parlait allemand. D’où cette mésaventure que nous conte Jourdain, non sans humour : « Comme les frères avaient pénétré les contrées de Teutonie et qu’on leur demandait s’ils voulaient être hébergés, nourris ou autre chose alors qu’ils ignoraient la langue, ils répondirent ja ; et ainsi furent-ils bien reçus par certains. Voyant qu’en disant ce mot ja ils étaient traités avec bienveillance, ils décidèrent qu’ils devaient répondre ja à toutes les questions. Il arriva donc que, comme on leur avait demandé s’ils étaient hérétiques et s’ils étaient venus avec l’intention d’infester la Teutonie comme ils avaient également perverti la Lombardie, ils répondirent ja : quelques-uns d’entre eux furent battus, d’autres emprisonnés, d’autres dénudés, promenés nus et ils devinrent un spectacle divertissant pour les gens ». Faisant alors demi-tour, les frères étaient revenus en Italie. Depuis, personne n’osait plus s’aventurer vers un pays réputé terre de martyre au même titre que l’Égypte ou le Maroc.
Mais c’était sans compter avec les fulgurances missionnaires du Poverello. Pour la Pentecôte 1221 (30 mai), plusieurs milliers de frères (dont probablement notre Antoine) sont réunis à Assise, près de la Portioncule, pour une grande rencontre fraternelle baptisée « Chapitre des Nattes » (du nom des branchages abritant les frères lors de cette rencontre). Jourdain de Giano, présent, raconte : « À la fin de ce chapitre, il vint à la mémoire de François que l’installation de l’Ordre n’avait pas réussi en Teutonie ». Et le bienheureux frère, trop faible pour pouvoir s’adresser à la foule, fait déclarer par son vicaire, le frère Élie : « Il y a une région, la Teutonie, où vivent des hommes chrétiens et dévots ; étant donné que les frères envoyés plusieurs fois chez eux ont été maltraités et s’en sont retournés, François ne contraint personne à y aller. Mais à ceux qui, animés par leur zèle pour Dieu et pour les âmes, voudraient y aller, François veut donner obédience autant et même plus qu’à ceux qui vont outre-mer. Et s’il y en a ici qui voudraient y aller, qu’ils se lèvent et qu’ils se regroupent à part. » Et Jourdain poursuit son récit : « enflammés par le désir du martyre, environ quatre-vingt-dix frères se levèrent, s’offrant à la mort ; et se mettant à part comme ils en avaient reçu l’ordre, ils attendaient de savoir lesquels devraient partir, combien, comment et quand ».

Vers l’Allemagne
Un frère allemand, originaire de Spire, Césaire, est alors désigné comme premier ministre provincial d’Allemagne, et parmi tous ceux qui s’étaient portés volontaires, il en choisit vingt-sept, dont douze prêtres. Deux de ces religieux se feront un nom par la suite : Jean de Plan Carpin, futur légat chez le Grand Khan et Thomas de Celano, le biographe de François. Les frères partent par groupe de trois ou quatre, et se retrouvent périodiquement, d’abord à Trente, puis à Bolzano, à Bressanone, au col du Brenner, et ils parviennent à Augsbourg. La vie est rude, et les frères ont souvent le ventre vide : « comme les gens n’ont pas de pain sous la main, écrit Jourdain, et que les frères ne savent pas mendier, ces derniers tempèrent misérablement le mal de faim avec des raves et la soif par la joie de leur cœur ». Ils sont néanmoins reçus avec bienveillance par l’évêque d’Augsbourg et par son vicaire général qui les loge dans sa maison. Le 16 octobre 1221, Césaire convoque dans cette ville le premier chapitre des frères en Allemagne, lesquels sont alors au nombre de trente-et-un. L’heure est à la dispersion des religieux dans toutes les provinces du pays. Ainsi Césaire « envoie en avant les prédicateurs, Frère Jean de Plan Carpin et Frère Barnabé, à Wurtzbourg. De là ils vont à Mayence, à Worms, à Spire, à Strasbourg et à Cologne, se faisant voir aux hommes, prêchant la parole de pénitence et préparant des hébergements pour les frères qui suivraient. Et Césaire envoie encore Frère Jourdain de Giano avec deux compagnons, Abraham et Constantin, à Salzbourg, et trois autres avec Frère Joseph, à Ratisbonne ».
Cette fois, le succès est au rendez-vous, et beaucoup d’hommes entrent dans l’Ordre. Le chapitre qui se déroule dans la cathédrale de Worms a certainement impressionné les populations : « L’an du Seigneur 1222, Frère Césaire avait déjà reçu un si grand nombre de frères, tant clercs que laïcs, qu’ayant convoqué les frères des cités voisines, il célèbre le premier chapitre provincial à Worms. Et comme le lieu où les frères avaient été reçus était étroit et peu adapté à la célébration et à la prédication en raison de leur multitude, ayant pris conseil de l’évêque et des chanoines, les frères se rassemblent dans la cathédrale pour la célébration et la prédication, tandis que les chanoines, se serrant dans un chœur, laissent l’autre chœur aux frères. Un frère de l’Ordre célèbre alors la messe et ils accomplissent l’office divin avec une grande solennité, en chantant à l’envi, chœur contre chœur. » (Et, de fait, la cathédrale romane de Worms dispose bien de deux chœurs, un à l’est et l’autre à l’ouest.)

La fécondité d’un envoi
Les frères qui ont eu le courage d’affronter les rigueurs germaniques ont permis à la famille franciscaine de s’épanouir dans les terres d’Empire. Dès 1230, le chapitre général décide le partage de la Teutonie en deux provinces, la Rhénanie et la Saxe. Et ces provinces se subdiviseront elles-mêmes par la suite. Grâce à tous ces frères, des femmes, comme Agnès de Bohème et Élisabeth de Thuringe, découvrent la voie franciscaine. Les trois grands ordres franciscains (frères mineurs, conventuels et capucins) sont encore très présents dans l’Allemagne d’aujourd’hui.

Updated on 20 Juin 2021
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