2020 : jubilation chez les clarisses de Reims

1220-2020. À Reims, dans la cité du sacre des rois de France, les clarisses célèbrent cette année 800 ans de présence discrète, rayonnante et têtue. Jubilons avec elles.
19 Janvier 2020 | par

Opérons d’abord un petit déplacement géographique. De Reims, passons à Tours. Nous sommes en décembre 1737, non loin du sanctuaire dédié à saint Martin, au sein de la communauté des clarisses capucines. La chronique du monastère nous apprend qu’à cette date les moniales ont voulu célébrer par un triduum de prières le 100e anniversaire de l’arrivée à Tours en 1637 des quatre sœurs fondatrices venues de Paris. Le premier jour, 8 décembre, « le très saint Sacrement fut exposé, il y eut un sermon, nous nous demandâmes pardon les unes et les autres, renouvelâmes nos vœux et nous nous mîmes sous la protection de la très sainte Vierge sous le titre de son Immaculée conception ». En décembre 1787, les mêmes capucines récidivent et fêtent le 150e anniversaire de leur fondation.
Ce n’est donc pas de la fin du XXe siècle — pour satisfaire à la soif de loisirs culturels de nos contemporains — que datent ces manifestations extraordinaires (triduum, octave, année jubilaire) destinées à faire mémoire d’un anniversaire dont le millésime correspond à un multiple de 100 ou de 50 années. Une commémoration de ce type permet de mesurer le chemin parcouru, mais surtout de se préparer à une nouvelle étape. Les capucines tourangelles ne se replient pas sur leur passé : elles profitent de leur jubilé pour se demander mutuellement pardon et renouveler leurs vœux — ce qui n’est pas la plus mauvaise manière pour une communauté religieuse d’affronter son futur.

Reims, 1220-2020
Cette année, c’est au tour des clarisses de Cormontreuil, en bordure de Reims, de jubiler. Une chronique rédigée au XVIIe siècle, mais se basant sur des archives plus anciennes, nous apprend en effet que l’archevêque de Reims, Albéric, de retour du concile de Latran (1215), visite Saint-Damien et demande à sainte Claire d’envoyer de ses filles en France. En 1219, une certaine sœur Marie de Braye quitte Assise et est reçue l’année suivante — donc en 1220 — à Reims par le successeur d’Albéric, Guillaume de Joinville. Celui-ci lui accorde la permission de bâtir un monastère dans sa ville et fournit même le lieu d’implantation, un petit cimetière sur la paroisse Saint-Denis. La fondation fait souche rapidement tout en maintenant des liens étroits avec Claire : « Sœur Marie de Braye voyant que Dieu bénissait de jour à autre son petit travail, et que le nombre de filles augmentait, en voulut donner avis à sa bienheureuse Mère sainte Claire qu’elle chérissait aussi bien absente que présente, l’honorant comme son abbesse et supérieure, lui en écrivant avec une très humble supplication de les vouloir toutes accepter pour ses filles, qui toutes la saluaient et se prosternaient à ses pieds, lui protestant obéissance et soumission, comme à leur chère mère abbesse et supérieure, en la personne de sœur Marie de Braye sa vicaire, qui tenait son lieu en leur petit monastère de Reims ». Et ce n’est qu’après la mort de Marie de Braye (1230), que, sur les conseils de sainte Claire et du ministre général de l’Ordre de saint François, fut élue la première abbesse « des pauvres sœurs de Saint-Damien de Reims ». Le 20 novembre 1237, l’archevêque de Reims consacre la petite église du monastère et la dédie à sainte Élisabeth de Thuringe, qui vient d’être canonisée (1235).
Si on en croit la fameuse chronique, les clarisses sont donc présentes à Reims dès 1220, et elles sont les premières à s’établir au nord de la Loire, soit quelques années à peine après les frères mineurs. Elles y resteront — au travers de bien des vicissitudes (un violent incendie en 1400), mais aussi de quelques moments de gloire (deux sœurs de Colbert y seront abbesses) —, jusqu’à ce jour funeste du 4 septembre 1792 au cours duquel 21 sœurs et un frère laïc devront quitter le monastère, sous la pression des ordonnances révolutionnaires.

Une longue absence
Sous l’Empire et la Restauration, la communauté rémoise, contrairement à d’autres, ne s’est pas reconstituée. Pourquoi ? Le colloque historique, qui se réunira en octobre prochain, tentera, entre autres, de répondre à cette question. Toujours est-il qu’il faudra attendre plus d’un siècle, jusqu’en 1933 exactement, pour voir réapparaître des clarisses à Reims. Grâce à l’appui d’une bienfaitrice tourangelle, madame de La Valette, et avec l’accord du nouvel évêque du lieu, Mgr Emmanuel Suhard, un essaim de clarisses colettines venues de Nantes s’implante, non pas en ville, rue Brûlée, comme il était prévu tout d’abord, mais en proche banlieue, à Tinqueux, à l’endroit où des tertiaires avaient reproduit à l’identique une chapelle de la Portioncule, et où vivaient des capucins. Ceux-ci déménagent rue Brûlée tandis que les sœurs récupèrent leur couvent.

Tinqueux puis Cormontreuil
À Tinqueux, la communauté va connaître les heures terribles de l’Occupation, mais aussi les années pleines d’espérance et d’optimisme du concile Vatican II et de l’aggiornamento. L’immense monastère, construit dans les années cinquante, s’avère pourtant inadapté à la communauté moins nombreuse et plus âgée des années 1990. En l’an 2000, les sœurs rejoignent un nouveau monastère, plus simple, plus pauvre et sans doute déjà plus écologique, à Cormontreuil, dans une autre périphérie de Reims.
On ne peut donc pas parler en toute rigueur de termes de huit siècles de présence des clarisses à Reims, et l’actuelle communauté n’a pas grand chose à voir avec celle qui habitait le monastère d’Ancien régime — dont il ne reste rien et qui se trouvait à l’emplacement de l’actuel Conservatoire de musique (20, rue Gambetta). Ainsi les sœurs de Cormontreuil suivent la règle de Claire alors que leurs sœurs rémoises étaient des urbanistes, et observaient la règle d’Urbain IV.
Pourtant ce sont bien les clarisses de Cormontreuil qui ont pris la décision de vivre une année jubilaire, commencée le 17 novembre dernier, jour de la Sainte-Élisabeth, en présence du nouvel archevêque, Éric de Moulins-Beaufort. Certes, les historiens sont partie prenante de cette commémoration. Mais l’année jubilaire a été décidée par les clarisses. Celles-ci ont en effet d’autres attentes que les historiens : faire mémoire, bien entendu, mais pour aller de l’avant. Pour toujours davantage être au service du peuple de Dieu qui est à Reims. « Nous osons vous le dire, s’est exclamé l’archevêque, nous avons besoin de vous ». Et comment !

Pour en savoir davantage :
http://clarisses-cormontreuil-catholique.fr/nos-propositions/notre-annee...

Updated on 19 Janvier 2020
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