Albeiro, l’ange du quartier Nord

01 Janvier 1900 | par

Le 26 octobre 1991, le magazine de TF1 « Reportages », révélait aux Français Albeiro Vargas, un enfant de douze ans qui, dans le quartier Nord de Bucaramanga, en Colombie, apportait amour, soins, nourriture... à des vieillards abandonnés. Deux mois plus tard naissait l’association « Un coin de Colombie ».

Avec son million d’habitants, Bucaramanga est la cinquième ville de Colombie. C’est une ville moderne située sur un plateau, à 1000 m d’altitude mais, dans les contreforts de ce plateau, des quartiers entiers, constitués de cabanes en carton et en tôle, s’accrochent aux pentes abruptes. C’est là, dans le quartier Nord – où vivent 300 000 personnes – que naît, le 7 juin 1979, Albeiro Vargas, cadet d’une famille de huit enfants. Son père travaille dans le bâtiment, sa mère comme aide-soignante. De retour chez elle, on l’appelle souvent pour soigner des malades, des blessés et Albeiro la suit partout.

Dans ces quartiers insalubres et pauvres, chacun, des enfants aux vieillards, doit participer à la survie de la famille. Ceux qui ne peuvent pas ou plus travailler, sont quelquefois mis dehors ou abandonnés dans un coin.

L’ange du quartier Nord

Albeiro a commencé à s’occuper des abuelitos (vieillards) de son quartier après la mort de son grand-père. Deux ans plus tard – il a alors huit ans –, bouleversé par sa rencontre avec une femme de 108 ans, il va frapper aux portes pour quémander de la nourriture pour elle. Conscient de la situation dramatique de beaucoup de ces abuelitos, il décide de continuer.

Chaque jour, à cinq heures du matin, il leur porte le tinto (le café), puis il va à l’école jusqu’à midi (les horaires de classe en Colombie). A la sortie des cours, il part en ville et, dans les magasins, demande de quoi manger pour ses vieillards. Si beaucoup de commerçants ne le croient pas, une boulangère lui fait confiance – demeurée fidèle aujourd’hui – et lui donne un sac de pain qu’il distribue à ses amis avec un peu de lait.

Un article paru dans un journal local va lui faire gagner la confiance des commerçants. Intitulé « El angel del Norte » (l’ange du quartier Nord) l’article conclut : « S’il y avait plus d’Albeiro sur la terre... les nouvelles dans les journaux seraient bien différentes. »

Pris par l’ampleur de la tâche, Albeiro fait appel à ses deux sœurs et à une cousine. Puis aux gamins du quartier : une douzaine d’entre eux acceptent de l’aider, pour rien. Avec lui, ceux que l’on appellera « les Anges Gardiens », apportent dans les hauts-quartiers, nourriture et tendresse aux paralytiques et aux malades.

Un deuxième article, publié dans un journal de Bogota va, cette fois, lui amener... la télévision française. Diffusé le 26 octobre 91, dans le cadre du magazine « Reportage » d’Henri Chambon sur TF1, ce reportage suscite un élan formidable : des centaines de téléspectateurs envoient du courrier et des chèques. Un deuxième reportage de Patrick Sabatier, sur « Tous à la Une », le 22 décembre 91, bouleverse encore une fois le public français.

L’itinéraire d’Albeiro est très lié à celui d’un autre Colombien : le célèbre matador César Rincon... même s’ils ne se connaissent pas encore ! Après Madrid, le 17 août 91, le matador triomphe aux arènes de Bayonne. Invité par l’aficionado Patrick Beuglot (1) à une conférence de presse au Forum du Mercure, César Rincon parle avec un peu de tristesse de la mauvaise image de marque – drogue, violence... – de son pays. « La Colombie, c’est aussi, rectifie-t-il, des honnêtes gens qui travaillent et se battent pour leur famille sans compter leurs efforts, et qui n’aspirent qu’à la paix. »

Patrick Beuglot propose à ses amis de donner une suite aux propos du matador et tous sont d’accord pour organiser une petite campagne entre aficionados au profit d’une œuvre colombienne.

Un coin de Colombie           

Le 26 octobre 91, après avoir vu le reportage sur Albeiro Vargas, Patrick Beuglot comprend que c’est avec et pour cet enfant qu’il faut agir. Le 17 décembre 1991, naît l’Association « Un coin de Colombie » (2). De cette succession de circonstances et de rencontres, sans lien apparent entre elles, vont naître des liens très forts entre la Colombie et la France.

Mardi 2 juin 98, Palais de l’Europe à Strasbourg. Patrick Beuglot, président de « Un coin de Colombie » reçoit, au nom de l’Association, le prix Albert Schweitzer. Institué par la Fondation Johann Wolfgang von Goethe, de Bâle, ce prix récompense une œuvre qui travaille dans l’esprit du docteur Schweitzer.

En fait, « Un coin de Colombie » a permis de démultiplier l’action d’Albeiro, lui-même continuant à agir auprès des abuelitos de Bucaramanga. Suite à la première campagne de l’Association, le 4 avril 1992, au théâtre de Bayonne, un chèque est remis à César Rincon qui, à son tour, le remet à l’enfant. Beaucoup d’autres suivront.

De son côté, Albeiro organise des fêtes, des tombolas, des bingos dans le quartier pour récolter un peu d’argent. Et, au jour le jour, il inscrit sa comptabilité sur un cahier d’écolier. En avril 92, il s’occupe de 30 vieillards mais il reçoit en permanence des demandes d’aide qu’il examine une à une, essayant de répondre aux situations les plus dramatiques...

Un coin de France

L’achat d’une veille maison délabrée dans le quartier, donne naissance à « la Maison des souvenirs », inaugurée en juillet 1993 : elle offre un accueil de jour à une soixantaine d’abuelitos, qui viennent y prendre les repas et suivre les activités organisées. Agrandie en 1995, elle accueille aujourd’hui 90 personnes.

De janvier à mars 94, la première partie du centre « Un coin de France » est construite dans le cadre du chantier jeune, réalisé par la Mission locale de Bayonne. Pendant deux mois, douze jeunes de la Côte Basque et douze jeunes Colombiens, en formation professionnelle, ont mis toutes leurs énergies pour réaliser cette construction.

Le centre héberge à présent une trentaine de vieillards dont une douzaine, au deuxième étage, sont placés par leur famille qui paie une pension. Au premier étage : les abuelitos sans aucune ressource.

Pour seconder les six employés salariés qui travaillent dans les deux centres, une vingtaine d’« anges gardiens », recrutés par Albeiro. Les « anges gardiens » ne reçoivent pas de rétribution en échange de leur aide, mais ils sont pris en charge pour la nourriture, l’habillement et les soins de santé. Et Albeiro finance également leur scolarité à laquelle il attache beaucoup d’importance.

Sa comptabilité sur cahier d’écolier est devenue à présent une comptabilité d’entreprise, gérée sur informatique par des comptables professionnels bénévoles, sous le contrôle d’un juriste, commissaire aux comptes.

Impossible de citer toutes les actions menées, contre vents et marées, par l’Association « Un coin de Colombie ». « Dire que les miracles se sont succédés, c’est aller un peu vite en besogne résume Patrick Beuglot. A chaque fois, il a fallu expliquer, démontrer. Le miracle est d’avoir eu la force et les mots pour convaincre. »

Impossible de dénombrer tous les liens suscités par cette action entre les deux pays : séjours de délégués de l’Association auprès d’Albeiro ; jumelage des enfants d’un foyer de Lons-le-Saulnier avec les « anges gardiens » ; correspondance des adultes avec les abuelitos qu’ils parrainent (30 FF par mois pour améliorer le quotidien) : « Avec l’aide d’Albeiro, les abuelitos répondent ! » ; collaborations d’enfants des écoles : Saint-Palais, Saint-Jean de Luz, Pau, Toulouse, Evreux... Sans compter les subventions – Lions Club... – et les opérations montées ici ou là : par exemple, par un organisme de gestion de Franche-Comté auprès de ses adhérents.

Impossible de réaliser à quel point la vie d’Albeiro a été « moteur » pour d’autres : des jeunes, par exemple, ont commencé à aller visiter des personnes âgées hospitalisées. A Bucaramanga, des jeunes des écoles et des collèges viennent offrir des animations et des moments de joie aux abuelitos.

La présence de César Rincon, aux côtés d’Albeiro a été fondamentale, d’autant que c’est de lui aussi qu’est partie cette action de France. Enfin, depuis 1997, le célèbre groupe vocal corse « I muvrini » a accepté de parrainer « Un coin de Colombie » et de porter l’image de l’Association liée à l’œuvre d’Albeiro.

Depuis 1991, Albeiro Vargas est venu plusieurs fois en France. Simplement, comme à ses débuts, il témoigne et conquiert... surtout par sa vie. Demain ? Il veut être avocat, pour continuer à donner sa vie pour son peuple.

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(1) Patrick Beuglot est aficionado (amateur de courses de taureaux) depuis trente ans. Archiviste et photographe taurin (non-professionnel), il est responsable d’un programme taurin hebdomadaire radiodiffusé depuis 89 sur Anglet F.M.

(2) Association « Un coin de Colombie », 42 rue de l’Océan 62400 Biarritz. Tél. 05 59 59 82 60 - Fax 05 59 25 65 44.

Updated on 06 Octobre 2016