Auprès de mon arbre

19 Mars 2010 | par

Un rejeton sortira de la tige de Jessé, et une fleur s’épanouira au sommet... (Isaïe, 11 2-3). À l’image de ces “arbres de Jessé” que l’on peut découvrir sur les vitraux de nos cathédrales (Chartres), les Ordres religieux se sont représentés comme des arbres : le tronc figure l’Ordre lui-même ; il prend racine dans le fondateur, et donne naissance à des branches où sont accrochés, tels des fruits, les saints issus de ses rangs.

Le mouvement franciscain a eu recours à ce type d’images. Ainsi, dans les années 1470, le pape Sixte IV, lui-même franciscain, a offert à la basilique d’Assise une immense tapisserie représentant l’arbre franciscain. On y voit notamment les deux saints patrons du Tiers-Ordre, saint Yves et sainte Élisabeth – celle-ci tenant dans sa main le manteau que saint François lui avait fait parvenir. Plus tard, au cours du XVIIe siècle, les arbres franciscains se sont multipliés. L’un d’eux vient d’être étudié par le père Servus Gieben(1), et en reprenant son travail, nous souhaitons aussi rendre hommage à ce grand spécialiste d’iconographie franciscaine.

Notez que cet arbre existe en deux versions, toutes les deux réalisées à Anvers, l’une en 1626 et l’autre en 1650. On doit l’arbre le plus ancien à l’action conjuguée d’un graveur (Pierre de Jode I), d’un conseiller en documentation franciscaine (Jean de Mantoya), et de son “inventeur”, un capucin espagnol, Vital d’Alcira. Le plus récent, attribué à un autre capucin, Charles d’Arenberg, a été copié sur le plus ancien, mais ses branches n’ont pas été organisées de la même façon. Cette dernière version, qui n’a d’abord existé que sous forme de gravure, a donné lieu au XIXe siècle à une lithographie en couleurs, très répandue dans le monde franciscain. On en trouve un bel exemple dans le cloître des Capucins de Strasbourg.



L’Ordre séraphique

Epilogus Totius Ordinis Seraphici P. S. Seraphici Francisci, (Réunion de tout l’ordre du séraphique père saint François) proclame une banderole placée tout en haut du cadre. De fait, cet arbre ne se contente pas de montrer les saints franciscains, il donne à voir la masse des religieux ordinaires, et surtout, il veut rendre compte de la totalité de la Famille franciscaine. La plupart des “branches” (c’est le cas de le dire !) de l’Ordre, aussi bien masculines que féminines, y sont représentées. Au pied de l’arbre, debout, François tient le tronc de son bras gauche, et les trois Règles du bras droit. De part et d’autre de l’arbre, les premiers compagnons figurent à genoux. Sur la branche la plus basse, on trouve les premiers saints et martyrs de l’Ordre franciscain. À la place d’honneur, au centre, c’est-à-dire sur le tronc, apparaît Antoine de Padoue, barbu, et portant sur sa main droite l’Enfant-Jésus sur le Livre. Au-dessous des portraits, des légendes inscrites sur des petits cartouches, permettent de reconnaître les personnages.

La deuxième branche a été réservée aux Frères Mineurs Conventuels ; quelques religieux sont nommés (comme un certain Nicolas de Lorraine), d’autres portent une palme, signe de leur martyre. Derrière les Frères du premier rang, beaucoup d’autres têtes apparaissent, et donnent l’impression d’une foule : l’artiste a voulu représenter l’ensemble des Conventuels.

Les troisième, quatrième et cinquième branches présentent un aspect très différent, puisque, à la place des capuchons et des bures, fleurissent des tiares, des mitres et des chapeaux de cardinaux. Ont été rassemblés ici les religieux qui sont devenus pape, cardinal ou évêque. Voyez saint Bonaventure, les papes Sixte IV et Sixte-Quint, ou encore le cardinal Jiménez de Cisneros.



Claire et ses sœurs

La sixième branche est entièrement féminine. Elle regroupe les Clarisses, ainsi que d’autres moniales franciscaines, les Conceptionistes (fondées par sainte Béatrice de Silva), les Annonciades, les Capucines et les tertiaires cloîtrées. Claire bénéficie de la place d’honneur, sur le tronc – même si aujourd’hui, on la placerait volontiers debout à côté de François. En examinant les légendes, on s’aperçoit combien le travail de documentation historique a été mené sérieusement. Ainsi, pour les Annonciades, non seulement Jeanne de France (pas encore béatifiée à l’époque) se trouve mentionnée, mais encore les sœurs Catherine Gauvinelle, Marguerite Bodin, Marguerite Blandine et Perrine Fouchère, c’est-à-dire les premières moniales annonciades.

Passons maintenant à la septième branche, entièrement dévolue à l’Observance franciscaine – c’est-à-dire les Observants proprement dits, mais aussi les Récollets, les riformati et les Alcantarins. Sont représentés Bernardin de Sienne, Pierre d’Alcantara, Pascal Baylon, ou encore les martyrs du Japon. Parmi les Récollets, on note la présence d’un certain Frater Natanael Gallus, qui n’est autre que Nathanaël Le Sage, l’introducteur des Récollets en France. C’est encore une preuve de la bonne qualité de l’information historique. Dans les années 1630, ce religieux, au parcours en zigzag, a sombré dans l’oubli.

Enfin, sur la huitième et dernière branche, sont perchés les Capucins, aussi bien les fondateurs de la réforme (Matthieu de Bascio), que ceux qui se sont distingués par la sainteté de leur vie, comme Félix de Cantalice, alors seulement béatifié, Ange de Joyeuse, ou Séraphin de Montegranaro. Là encore, en arrière-plan, une multitude de capuchons pointés vers le ciel évoque la masse des religieux.

Des deux côtés de cet arbre principal, on note encore un ensemble de douze courtes branches horizontales. On y distingue des frères, des moniales, mais aussi des têtes couronnées et de nombreux blasons : ce sont les religieux et les tertiaires issus de familles nobles.

Cet arbre, qui se veut un témoignage de l’unité de la Famille franciscaine, n’en reste pas moins une “construction”. Notez la position dominante de l’habit capucin : il revêt François et ses compagnons, tandis que la plus haute branche, la plus proche du ciel et de l’Immaculée Conception, a été réservée aux Frères Mineurs Capucins. C’est de bonne guerre !

À chaque époque, son arbre. Sachant que les relations entre hommes et femmes ont évolué, et que de nouvelles branches ont poussé, comment aujourd’hui représenter la Famille franciscaine ? Installez-vous dans votre jardin, et dessinez l’arbre franciscain du XXIe siècle. 





1) Servus Gieben, L’Albero Serafico e Carlo de Arenberg, Rome, Institut Historique des Capucins, 2008.



Updated on 06 Octobre 2016