Avec Bonaventure… à Notre-Dame

Résurrection de Notre-Dame de Paris et 750e anniversaire de la mort de saint Bonaventure : les deux évènements se télescopent sur mon agenda. Il faut savoir que le Docteur séraphique a été le témoin de l’achèvement de la construction de Notre-Dame.
15 Décembre 2024 | par

Bagnoregio, près d’Orvieto, vers 1230. Jean de Fidenza, un médecin, a de grandes ambitions pour son fils, Bonaventure. La jeune Université de Paris, fondée vers 1200, bénéficie déjà d’une renommée exceptionnelle, parvenue jusqu’en Italie. Plusieurs milliers d’étudiants, provenant de l’Europe entière, et même des pays scandinaves, y étudient sous la direction de maîtres prestigieux, les plus grands savants de leur temps. Certes, la vie estudiantine est aussi le théâtre de violences et de grèves, mais Bonaventure n’a pas froid aux yeux ; il a 17 ans et il en veut ! En 1235, avec quelques marchands italiens, il arrive à Paris et trouve à se loger dans un collège de la rive gauche de la Seine. Comme n’importe quel étudiant,  il commence son cursus en s’inscrivant à la faculté des arts pour pouvoir se former dans les sept arts libéraux (grammaire, rhétorique, logique, arithmétique, géométrie, astronomie et musique) et ainsi acquérir un socle de connaissances indispensable pour aller plus loin, en philosophie, en droit ou en théologie. Depuis la fin du siècle dernier, le cœur intellectuel de Paris ne bat plus sur l’île de la cité, mais Bonaventure y est immédiatement attiré par le monument dont tout le monde parle, qui surplombe la ville et se voit de très loin : Notre-Dame.
 
Notre-Dame en 1235
Le jeune étudiant italien dévale la rue Saint-Jacques, traverse la Seine par le « Petit-pont » – il n’y en pas d’autre à l’époque –, se fraie un chemin au milieu de la foule, oblique sur la droite par la rue Neuve-Notre-Dame, longe l’Hôtel-Dieu, et bientôt, entre deux pignons, il entrevoit sans pouvoir l’envisager entièrement l’imposante façade aux deux tours jumelles, encore couronnées d’échafaudages. Ni à Sienne, ni à Florence, ni à Lyon, Bonaventure n’a jamais vu une façade aussi ample, avec ses 40 mètres de large, et des tours aussi colossales – presque 70 mètres de hauteur ! Impressionné par la force tranquille qui émane de cette église, il distingue nettement les lignes verticales et horizontales rythmant cette façade avec netteté et élégance. Au-dessus des trois portails, il scrute la galerie des rois de Juda (ancêtres de la Vierge et du Christ), mais comme tous les badauds  il croit y voir les rois de France. Il cherche alors à reconnaître le jeune roi Louis, dont tout le monde vante la justice et la bonté, et qui vient tout juste d’épouser à Sens, Marguerite de Provence. Il se prend à penser que Notre-Dame est vraiment l’édifice hors-norme qui convient à la capitale de la France et à sa monarchie.

Bonaventure, 1235-1257
À son arrivée à Paris, Bonaventure connaissait les Frères Mineurs ; il avait appris qu’en 1230 le roi leur avait donné un terrain, rive gauche, le long de l’enceinte de Philippe-Auguste, pour y construire leur couvent. Mais lui-même n’était pas encore franciscain. Un évènement insolite, survenu en 1236, allait jouer un rôle déterminant dans l’émergence de sa vocation. Le professeur le plus célèbre de la faculté de théologie, un anglais, Alexandre de Halès, âgé de 55 ans, au faîte des honneurs et de la richesse, avait tout abandonné pour entrer chez les Frères Mineurs. Il avait tout abandonné, sauf sa chaire d’enseignement qu’il avait transportée au couvent des frères, leur ouvrant ainsi l’accès à l’université. L’évènement avait fait grand bruit. En 1243, devenu maître-ès-arts, Bonaventure prend l’habit chez les frères, et suit l’enseignement d’Alexandre de Halès, puis de Jean de La Rochelle et d’Eudes Rigaud. Bachelier, puis licencié et docteur, Bonaventure commente l’Écriture, participe à des disputes académiques et prêche. En 1254, il devient « maître régent », et enseigne la théologie aux frères, au sein du couvent. Mais, trois ans plus tard, en 1257, son plan de carrière universitaire s’écroule : ses frères, réunis en chapitre général à Rome (à l’Ara Cœli), n’ont pas trouvé mieux à faire que de l’élire (en son absence !) ministre général de l’ordre des Frères Mineurs, septième successeur de François d’Assise. Dans un contexte compliqué, c’est une autre vie qui va commencer pour lui, une vie entièrement consacrée à ses frères et à son ordre. Il n’a pas 40 ans.

Notre-Dame en 1257
Avant de quitter la capitale pour parcourir l’Europe à la rencontre de ses frères, Bonaventure se rend une dernière fois à Notre-Dame. Il se souvient de sa première visite, il y a plus de 20 ans. Si la façade occidentale est maintenant terminée, on a entrepris de moderniser la cathédrale construite au début du siècle et déjà quelque peu « ringardisée » par celles que l’on bâtit à Reims, Amiens et Beauvais. Le transept nord vient d’être presque entièrement reconstruit, et on y a ouvert une rose de 13 m de diamètre – un exploit technique. Ses vitraux sont à mettre à l’actif des maîtres-verriers qui ont travaillé à la Sainte-Chapelle – tout juste achevée. Bonaventure est littéralement happé par celle qui trône au centre, la Vierge mère, entourée de plusieurs couronnes de personnages de l’Ancien Testament. Le frère qui l’accompagne interrompt ce moment d’extase en lui désignant, non loin, un homme jeune, armé d’un compas et en pleine discussion avec des maçons. C’est Jean de Chelles, un brillant architecte auquel l’évêque de Paris vient de confier la reconstruction de l’autre transept, celui du sud, face au palais épiscopal. L’architecte et le ministre général échangent quelques mots. Le premier confie au second quelques-uns de ses projets : « Avec mon assistant, Pierre de Montreuil, nous moderniserons les arcs-boutants en doublant leur portée et puis nous allons insérer des chapelles entre chaque contrefort tout autour de la cathédrale. Ainsi les nombreux prêtres qui passent à Notre-Dame pourront célébrer leur messe dans de bonnes conditions ». Bonaventure répond en évoquant les 35 000 frères dont il a désormais la charge. Comment sauvegarder l’unité de l’ordre ? Comment préserver l’esprit de François tout en répondant positivement aux demandes de l’Église ? Tâche redoutable, tout autant sans doute que de créer une rose qui défie les lois de la pesanteur ! Les deux hommes se donnent l’accolade et Jean de Chelles promet au franciscain d’aller visiter un autre chantier, celui de l’église des Cordeliers alors en construction.

Updated on 15 Décembre 2024
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