Bouddhisme

01 Janvier 1900 | par

Quatrième religion de France, en expansion dans la plupart des pays européens et nord-américains, le bouddhisme semble connaître en Occident un succès croissant. Comment expliquer que le culte du néant si violemment rejeté au 19e siècle, ait acquis une telle audience aujourd’hui ? S’agit-il bien du même bouddhisme que celui vécu en Orient ? Et comment un chrétien peut-il se situer vis-à-vis du bouddhisme qu’il lui arrive de côtoyer ?

Les signes d’un engouement pour le bouddhisme en Occident sont multiples. Outre la publication de nombreux ouvrages bouddhiques ou para-bouddhiques à destination de publics très variés, la multiplication des lieux de culte ou de centres de méditations, la présence croissante dans les médias et l’adhésion de nombreuses personnalités en vue, le bouddhisme semble aussi pénétrer notre vie quotidienne.

Tantôt appréhendé comme une thérapeutique fondée sur l’expérience du détachement, tantôt perçu comme un style de vie à forte connotation diététique et esthétique, le bouddhisme au quotidien s’apparente à une sorte de complément spirituel particulièrement adapté aux sociétés post-industrielles. Il aide à rester cool tout en donnant sens à de multiples expériences de la vie dont la science est impuissante à rendre compte. Il permet le partage de ses expériences dans de petits groupes à dimension humaine et, surtout, il se fonde beaucoup plus sur le vécu de chacun que sur l’obéissance à une doctrine ou une révélation imposées de l’extérieur.

Evaluer l’importance de son succès et en comprendre les causes nécessite de prendre la mesure des différentes modalités de sa présence en Occident et des modes d’adhésion qu’il suscite, que ce soit sous la forme d’une affiliation plénière à un groupe particulier (y compris le choix de l’état monastique) ou d’un rapport beaucoup plus souple ou intermittent à ses enseignements.

Pluralité d’écoles et de groupes

Rappelons d’abord que le bouddhisme est loin d’être une religion unifiée. Si les deux grands rameaux que sont le petit véhicule (Theravâda ou Hînayâna) et le grand véhicule (Mahâyâna) ont surgi il y a de nombreux siècles, chacun de ces rameaux comporte à son tour de multiples subdivisions. En outre, la pluralité des groupes bouddhistes est loin d’être figée. De nombreux groupes ou sectes (terme utilisé ici sans connotation négative) naissent, se développent ou meurent encore aujourd’hui.

Les écoles les plus connues en Occident sont incontestablement certaines formes du grand véhicule , originaire principalement d’Asie du Nord, soit le bouddhisme tibétain (encore appelé lamaïsme ), avec ses nombreuses variantes, et le bouddhisme Zen d’origine japonaise qui comporte lui aussi différentes écoles. Mais le petit véhicule , implanté surtout en Asie du Sud-Est et à Sri-Lanka, n’est pas totalement absent, comme en témoigne le dynamisme des écoles proches du bouddhisme Theravâda ou doctrine des anciens . Il ne faut pas négliger non plus la présence massive et plus ou moins hétérodoxe d’éléments bouddhiques dans de nombreux courants du New Age ou, plus largement, dans la nébuleuse mystique ésotérique et autres nouveaux mouvements religieux, comme la secte Ogyen Kunzang Chöling, d’inspiration tibétaine, qui fait actuellement l’objet d’une enquête judiciaire en France et en Belgique.

Bouddhisme, laïcité et modernité

S’il n’est pas possible d’examiner ici en détail les causes et les composantes de ces nombreuses divisions, il est néanmoins nécessaire de voir quel est leur socle commun et ce qui, dans ce socle, peut susciter une telle faveur chez certains de nos contemporains. Une bonne indication nous est donnée par le manifeste d’une nouvelle association née en Belgique, l’alepb ( Association Laïque pour l’Etude et la Pratique du Bouddhisme ), synthétisant clairement la doctrine bouddhiste et les motifs de son intérêt actuel. La création de cette association est par ailleurs une première en Belgique et montre que l’attrait pour le bouddhisme ne se développe pas seulement dans les milieux croyants, mais également chez les laïques. L’alepb est en effet un mouvement issu du monde de la libre pensée par tradition anticléricale et majoritairement hostile aux religions.

Longtemps réticent à toute forme de spiritualité, héritière d’une vision rationaliste et scientiste du monde, le monde laïque a développé en Belgique toute une série d’associations actives dans le domaine de l’enseignement et de la morale, soucieuses de lutter contre le poids prépondérant de l’Eglise catholique dans ces domaines. La fondation de l’alepb apparaît donc comme un signe de changement au sein même du monde laïque et la manifestation d’un intérêt croissant pour le bouddhisme. Ceci est d’autant plus frappant qu’un des membres fondateurs de l’association et auteur du manifeste est François Perin, Ministre d’Etat et figure éminente de la laïcité belge.

D’entrée de jeu, les auteurs soulignent les profondes affinités entre bouddhisme et laïcité. Bien plus, ils avancent que la voie du Bouddha pourrait constituer non seulement un complément mais même un dépassement de la laïcité. Les deux visions du monde convergeraient en effet sur de nombreux points, rejoignant par ailleurs, selon les auteurs, les découvertes les plus récentes de la science et de certaines psychothérapies contemporaines. Un des axes majeurs de cette convergence est le primat accordé à l’expérimentation individuelle, à la libre recherche de chacun en dehors de tout dogme imposé ou vérité révélée. Il ne s’agirait pas tant, dans le bouddhisme, de croire que de comprendre et voir . Chacun, sur la voie du Bouddha (qui désigne plus un état de l’être auquel chacun peut avoir accès qu’un personnage historique), doit vérifier le bien fondé de la doctrine bouddhique à travers son expérience personnelle.

Vaincre la souffrance

D’une certaine manière, le bouddhisme rejoindrait ici non seulement la méthode expérimentale caractéristique de la science mais aussi le principe d’autonomie individuelle, cher à la modernité, ceci en préconisant l’émancipation du sujet de toutes les formes illusoires dont il est prisonnier. Le bouddhisme ira très loin dans cette mise à nu de l’identité individuelle qui n’est selon lui qu'un agrégat transitoire et instable de diverses composantes (sensations, représentations mentales...).

Cette affirmation du caractère éphémère et illusoire du moi, très différente de la conception chrétienne de la personne, associée aux notions de vacuité et d’ impermanence forme le socle de la conception bouddhique du monde et des voies qui permettent d’échapper à la souffrance. Le Bouddha historique est en effet bien plus un psychothérapeute qu’un philosophe , s’étant toujours refusé à toute forme de spéculation métaphysique sur la nature ultime de la réalité et l’origine de celle-ci. L’objectif premier de son enseignement est de vaincre la souffrance, ou plus exactement l’insatisfaction liée au caractère éphémère de la vie, exprimé par le terme de dukkha qui signifie à la fois douleur, insatisfaction et insubstantialité.

Un bouddhisme occidental ?

Ces quelques éléments indiquent les affinités qui peuvent exister entre le bouddhisme et la modernité occidentale. Différentes enquêtes d’opinion confirment par ailleurs cette perception d’une religion tolérante et non contraignante, favorisant l’épanouissement personnel et compatible avec le monde moderne.

On peut se demander si cette image très positive du bouddhisme, totalement opposée à celle qui prévalait en Europe au siècle dernier, ne résulte pas en partie d’une réinterprétation et d’une idéalisation de cette tradition religieuse qui ne correspond pas entièrement aux réalités historiques et sociales de l’Asie. Les luttes parfois violentes entre les différentes écoles, l’intolérance et les persécutions organisées à certaines périodes historiques par des responsables bouddhistes (comme dans le Japon du 13e siècle), ainsi que la tradition des moines guerriers, ne sont guère compatibles avec cette image. On ne peut par ailleurs évacuer le fait que les institutions bouddhiques (monastères, temples, entretien des moines...) ont dû peser d’un poids particulièrement lourd sur les masses paysannes chargées de les entretenir, comme ce fut le cas pour d’autres religions.

Ajoutons enfin que la conversion au bouddhisme (ou la prise de refuge selon l’expression consacrée) résulte en Occident d’un libre choix individuel, alors que la Bonne Loi est une religion traditionnelle, fortement ritualisée, héritée sinon imposée en Orient, sans parler des pays où le bouddhisme est religion d’Etat (Birmanie, Cambodge, Thaïlande...), ce qui contrevient sérieusement au principe de laïcité évoqué plus haut.

On ne peut cependant nier les points de convergence entre le bouddhisme et la modernité contemporaine, qui permettent de comprendre en partie son succès actuel. Paradoxalement, ce constat inverse notre interrogation de départ. C’est en effet le surgissement d’une telle religion il y a 2500 ans dans une société traditionnelle et rurale, située aux confins de l’Himalaya, qui devient dès lors l’énigme centrale...

Bernard De Backer

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1) Le mot laïque est à distinguer de laïc . Le terme laïque fait référence aux personnes et aux groupements qui sont partisans d’une séparation radicale de l’Etat des institutions religieuses. Laïc, par contre, désigne la qualité de celui qui n’est pas clerc dans les religions qui comportent un clergé.

Updated on 06 Octobre 2016