Défis et espérances

01 Janvier 1900 | par

La Guadeloupe présente plusieurs particularités. Tout d'abord, contrairement à la Martinique, il s'agit d'un archipel composé de deux îles principales, et de petits îlots comme les Saintes ou Marie-Galante. Ensuite, sur le plan historique, la Guadeloupe a connu une première abolition de l'esclavage au moment de la Révolution française, alors que l'île sœur était aux mains des Anglais. Les Noirs ont donc été affranchis, puis remis en esclavage jusqu'en 1848. Il existe par ailleurs des catégories sociales plus développées en Guadeloupe qu'en Martinique, tels que les Petits Blancs ou Blancs pauvres. Même si les deux îles ont connu une évolution très proche du fait de la centralisation coloniale, des particularités subsistent finalement, exacerbées par l'insularité.
Philippe Delisle, l’historien que nous avons déjà rencontré en abordant la Martinique, résume ainsi les spécificités géographiques et historiques qui différencient la Guadeloupe de la Martinique. Et le même historien de préciser que l’histoire de l’Eglise en Guadeloupe présente, elle aussi, des particularités qui lui sont propres : Le premier évêque de la colonie, Pierre Lacarrière, sera contraint à la démission après seulement deux ans d'exercice. Son autoritarisme, mais aussi la mauvaise volonté de l'administration, expliquent ce départ forcé. Le premier évêque de la Martinique aura, quant à lui, beaucoup plus de temps pour développer son programme d'évangélisation. Soulignons aussi que l'île de Saint-Martin, partagée avec la Hollande, dépend de la Guadeloupe. C'est le seul endroit de la Caraïbe française où le clergé catholique est au XIXème siècle en contact direct et en compétition avec des protestants.
Il existe d’ailleurs des survivances du passé, dans l’Eglise guadeloupéenne, comme le rappelle le père Oscar Lacroix, ancien vicaire général du diocèse de Basse-Terre et actuellement curé du Petit-Canal, en Guadeloupe : Notre Eglise est marquée par son insularité et son histoire propre, en particulier celle de l’esclavage. Un passé douloureux ternit le visage de l’Eglise. Parmi ces survivances, notons l’esprit magico-religieux, né du brassage des populations et qui n’est pas sans rappeler certains rites africains : Dieu est sans doute la référence suprême mais les esprits ont leur importance ; certaines démarches cultuelles donnent prise sur la divinité… L’activité de Salut du Christ reste alors dans l’ombre ! .
De plus, la Guadeloupe reste attachée à la France dont elle reçoit tous les éléments de civilisation. La façon de vivre la foi est donc tributaire du christianisme vécue en France, avec ses richesses et ses limites. Un exemple pris dans le passé : l’Eglise, en la personne des évangélisateurs, avait partie liée avec la France et la distance laïque ne fut guère respectée autrefois d’où les séquelles s’exprimant par un anticléricalisme. On ne peut oublier non plus l’influence des Spiritains, très attachés à la papauté.
Aussi l’Eglise de Guadeloupe se trouve-t-elle, comme sa sœur, l’Eglise de Martinique, confrontée à des défis de taille, tels que la sécularisation, la recherche d’une identité, un égoïsme diffus qui se manifeste par une indifférence en l’avenir, la peur de l’engagement, la facilité à suivre les slogans, et, dans ce contexte, la séduction facile des sectes, de la drogue et de la toxicomanie.

Priorités pastorales aujourd’hui

Conscient de ces défis, mais aussi des forces vives qui animent le diocèse, en particulier chez les laïcs, Mgr Ernest Cabo, l’actuel évêque de Basse-Terre, a souhaité doter le diocèse d’un projet pastoral qui a pour fil conducteur : Avec Jésus Christ, bâtissons des petites communautés fraternelles et responsables.
Cet effort pastoral, qui prend sa source dans l’Evangile, s’inscrit dans une continuité : En octobre 1970, Mgr Oualli devenait le premier évêque autochtone (…) Mgr Oualli a proposé au diocèse un projet pastoral pour promouvoir un laïcat responsable. Second évêque guadeloupéen, j’ai pris la relève en 1983- 1984. Il me fallait retrouver un dynamisme pour la pastorale, et c’est pour cela que j’ai proposé au diocèse un projet pastoral : avec le Christ, bâtissons de petites communautés fraternelles et responsables (2)
C’est ainsi que des chrétiens d’un même quartier, immeuble, se retrouvent en petits groupes et forment des TKL (Ti Kominoté Légliz - Petite communauté d’Eglise) pour partager la parole de Dieu et réfléchir ensemble sur la vie du quartier, du pays. Ces petites communautés sont présentes au sein du quartier lors des inscriptions au catéchisme, lors des obsèques, de la préparation au baptême et aux autres sacrements…

Les fruits du synode

Au début des années 90, un synode diocésain est venu renforcer le projet pastoral, mis en place par Mgr Cabo : En 1991, dit-il, j’ai convoqué un autre synode. Je ne voulais pas franchir le nouveau millénaire sans une réflexion profonde de notre Eglise. La célébration du synode et ses décisions nous ont ouverts sur la mission. Aujourd’hui, les petites communautés d’Eglise sont reconnues dans leur dynamisme. Soyons tout de même modestes (…) Nous vivons dans une forme de pauvreté presbytérale ; cependant, je reste persuadé que cette situation réclame de nous une façon de faire Eglise ensemble.
L’influence de ce synode diocésain s’est fait sentir à travers de grandes orientations : Une Eglise missionnaire, qui agit pour la famille, les jeunes, les enfants, une Eglise qui appelle. Et surtout, une Eglise en formation permanente. En particulier le synode a réveillé les laïcs à leurs tâches de baptisés, témoins de la foi dans le monde, selon les souhaits exprimés par le Concile, dans Lumen Gentium et Gaudium et Spes. Un réveil précieux pour une Eglise confrontée à de graves défis.
L’Eglise doit être signe du salut en Jésus Christ, en face des enjeux du temps actuel et de ce moment de l’histoire, tient encore à souligner le père Oscar Lacroix. Ce qui suppose une aptitude à lire les signes des temps et à proposer des réponses évangéliques.
Deux exigences apparaissent ainsi primordiales dans ce moment de mutation : la formation permanente des chrétiens – qui est d’ailleurs l’une des orientations du synode –, et la prière, source de toute vie chrétienne.

L’Eglise en Guadeloupe

Historique.

L’érection du diocèse de Guadeloupe date du 27 septembre 1850, année de l’érection de deux autres diocèses, celui de la Martinique et celui de la Réunion.

La toute première évangélisation de la Guadeloupe revient aux religieux dominicains, qui ont débarqué à quatre à la Pointe-Allègre le 29 juin 1635. L’année suivante voit la fondation de la première paroisse, Vieux-Habitants, par le père R. Breton. Puis arrivent des missionnaires capucins, jésuites, carmes et prêtres séculiers.

La terre et les hommes

– Sur une superficie de 1780 km², on compte 422 000 habitants, dont 350 000 catholiques
Un diocèse, Basse-Terre, regroupe 42 paroisses en 12 secteurs, desservies par 49 prêtres non religieux (la plupart ont plus de 70 ans) et 3 diacres permanents.
– Parmi les religieux : 14 Spiritains et 1 Frère auxiliaire du clergé, 17 carmélites, à Gourbeyre, et de nombreuses religieuses apostoliques : Sœurs de Saint-Paul de Chartres, Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, Hospitalière de Notre-Dame des Sept-Douleurs de Sion, Franciscaines missionnaires de Marie, Dominicaines de Sainte-Catherine de Sienne d’Albi, Dominicaines de Sainte-Catherine de Sienne d’Etrépagny.
– L’Apostolat des laïcs compte 15 mouvements et 3 services caritatifs.

L’Eglise en Guadeloupe au XXe siècle :

Un regard engagé

Le père Oscar Lacroix souligne tout d’abord l’influence des Spiritains : En 1912, le pape confie le diocèse de la Guadeloupe à la Congrégation du Saint-Esprit et nomme un religieux de cette congrégation comme évêque, Mgr Genoud. Mgr Jean Gay, son successeur, assurera ce service de gouvernement jusqu’en 1968. Les prêtres sont majoritairement des spiritains ; sous leur impulsion se fait un important travail sur la catéchèse, le mariage, les sacrements et, avec Mgr Gay, la prise en compte des situations sociales, démographiques, et familiales.

Mais aussi les modifications importantes apportées par le nouveau statut de l’île : Sur le plan politique, notons les modifications importantes sur le plan social, démographique, économique… apportées par le nouveau statut de la Guadeloupe qui devient, en 1946, département français d’outre-mer. Parmi les événements récents, il faut souligner, en 1060, l’influence pastorale d’une mission prêchée par une équipe de religieux français et, en 1970, la nomination par le Pape d’un évêque guadeloupéen, Mgr Siméon Oualli, un événement qui a marqué une évolution vers l’autonomie du diocèse. Mgr Ernest Cabo, nommé évêque en 1984, poursuit l’appel à un laïcat responsable dans l’Eglise.

Paul-Antoine Bernard et Bernard Kènel, séminaristes guadeloupéens

Comme pour l’Eglise de Martinique, la formation des futurs prêtres de l’Eglise en Guadeloupe a lieu en France, à Toulouse. Paul-Antoine Bernard et Kènel Célestin, tous deux âgées de 28 ans, témoignent : Nous bénéficions, en France, d’une formation philosophique et théologique de qualité… La formation spécifique aux séminaristes des Antilles se traduit de deux manières : d’une part, une rencontre traditionnelle annuelle entre séminaristes martiniquais et guadeloupéens sur un thème particulier à nos îles, et d’autre part, par une année de stage-formation en Guadeloupe, entre le cycle de philosophie (2 ans) et le cycle de théologie (3 ans).

Pour Paul-Antoine Bernard en particulier, sa démarche de foi s’inscrit, dès le départ, dans le contexte guadeloupéen : C’est en chemin que l’on découvre le vrai visage de Jésus-Christ. Son visage est, pour moi, celui des hommes qui habitent la Guadeloupe ; des hommes riches de tant de potentialités, d’une culture et d’une histoire… La deuxième chose qui m’a marqué, ce fut la découverte de l’histoire de mon pays, de sa vie économique, sociale et le fait d’entendre que le chrétien est appelé à signifier la présence de Dieu au cœur de ces réalités. Grande découverte liée à l’Eucharistie, lieu de ressourcement qui bouscule les relations et ouvre les yeux sur une réalité surnaturelle : la présence de Dieu au cœur de l’humanité ; au cœur du peuple guadeloupéen.

Updated on 06 Octobre 2016