Désamorcer les jalousies

Accès de colère, bouderies, paroles insidieuses, calomnies, la jalousie peut prendre bien des formes. Rares sont les chaumières où elle ne s’est jamais infiltrée. Comment gérer cela dans les familles ? Des parents et accompagnants livrent leurs réflexions
31 Janvier 2022 | par

Yoann Minio, animateur sur les ondes de Phare FM et père de deux enfants, se souvient de scènes de jalousie chez certaines de ses cousines : « Tout pouvait alors prendre une tournure terrible, aussi bien dans les mots jetés au visage avec force criante, que dans les gestes passionnément agressifs ! ». Nombre de rivalités naissent lorsque l’attention des parents est portée « sur l’un plus que sur l’autre », et même dans les jeux de fratrie, constate Yoann. Marie-Solène, mère de six enfants dans le 15e arrondissement de Paris, fait face elle aussi à des éclats comme ceux de sa fille de 7 ans qui sort de l’appartement en claquant la porte pour « quitter la famille ». Ce qui peut provoquer un agacement chez les parents, confie-t-elle : « J’ai l’impression d’avoir fait ce qu’il fallait pour qu’ils ne soient pas malheureux et qu’ils ne se sentent pas jaloux. Et malgré cela, ils peuvent avoir certaines réactions qui veulent dire “viens me chercher et me rassurer” et qui s’apparentent à de la manipulation. J’arrive à être patiente lorsque je me mets dans le cœur de mon enfant jaloux et que je perçois qu’il se sent vraiment malheureux. Je comprends que c’est très difficile à vivre pour lui, il a vraiment l’impression que la terre s’ouvre sous ses pieds, il se sent vraiment abandonné… ». Marie-Solène y voit « un combat spirituel » : « Le diviseur veut nous fait croire que l’autre nous a rejeté ou qu’il va nous rejeter, ou que nous ne méritons pas son amour ; nous en sommes persuadés, il est difficile de lâcher cette croyance fausse pour se dire que Dieu m’aime et que mes parents m’aiment ». Elle s’emploie alors à répéter à sa fille : « N’écoute pas ce mensonge, fais-moi confiance, je suis Maman et je t’aime ». Yoann essaie également d’apporter une « parole valorisante » et des « gestes d’affection » pour désamorcer les tensions. « Quand on se sent en sécurité et épanoui, la jalousie s’évanouit aussi vite qu’elle s’était invitée dans les pensées », estime-t-il.

Une blessure d’amour
Caroline Valois, thérapeute familiale et conjugale, rencontre fréquemment cette problématique dans son accompagnement des fratries. « La jalousie, explique la psychologue clinicienne, est une blessure d’amour due à un malentendu, à une réalité perçue ou vraiment vécue par l’enfant. Un jaloux peut être assez fatigant car il demande en permanence à être rassuré ». Tout l’enjeu, dans le suivi thérapeutique, est de revenir sur l’histoire de l’enfant, sur la place de chacun qui est irremplaçable et qui ne sera jamais prise par les autres frères et sœurs. La réaction des parents compte aussi, souligne Caroline Valois : « La jalousie chez le tout-petit est une réaction humaine, mais si l’enfant est stigmatisé – avec des phrases comme “Oh lui il est jaloux”… – il devient plus jaloux qu’il ne l’aurait été si les parents n’avaient pas enkysté cette attitude ». Pour prévenir les sentiments de jalousie, poursuit la thérapeute, « il est important d’accompagner les aînés par des réflexions ou des postures qui donnent à voir que le parent se met aussi de leur côté : “Oui il va falloir que tu partages, ce n’est pas simple… oh il est embêtant ce petit frère à crier tout le temps”… on peut jouer avec ça et rester ajusté. C’est un accordage. » Peut-on guérir de la jalousie ? « Si on la traite dans l’enfance, oui », répond Caroline Valois.

Et la jalousie de Dieu ?
Aux yeux de certains, la jalousie n’est pas foncièrement mauvaise : « Elle exprime une exclusivité, une fidélité et une marque d’honneur. Dieu est un Dieu jaloux », rappelle pour sa part Yoann Minio. Y a-t-il une bonne et une mauvaise jalousie ? Le père Nicolas Van Der Maelen, qui a été des années aumônier en établissement scolaire et en hôpital, constate que chez l’homme, la jalousie recouvre souvent l’envie : « Je souhaiterais être à la place de l’autre. C’est la tentation du démon vis-à-vis de l’homme, celle de Caïn vis-à-vis d’Abel, celle du Peuple de Dieu qui se croit meilleur que les autres… ». En revanche, ajoute-t-il, la jalousie de Dieu est « de l’amour ». « Cette jalousie divine signifie “Je t’aime, je ne veux pas te perdre”. Elle est illustrée par le Cantique des cantiques, le bien-aimé qui ne se lasse jamais d’aller chercher sa bien-aimée quand bien même il se fait rembarrer tout le temps. Ce n’est pas l’heure, je n’ai pas le temps, j’ai autre chose à faire... Malgré toutes nos excuses, Dieu aime d’un amour jaloux qui veut dire “il n’y a que toi”. Mais nous avons du mal à le comprendre », souligne le père Van Der Maelen. Ce thème soulève d’ailleurs fréquemment des questions d’enfants, note-t-il ; « Si je suis unique aux yeux de Dieu, et les autres ? Si nous sommes tous uniques, il ne peut pas nous aimer pleinement, est-il obligé de partager ? Et puis l’on n’a pas tous les mêmes besoins... L’amour de Dieu est incompréhensible et c’est un peu la même chose avec l’amour des parents. On ne peut pas l’appréhender si on reste dans une logique comptable. »

Updated on 31 Janvier 2022
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