Dieu change en France

20 Octobre 2009 | par

Depuis 30 ans, le paysage religieux en France a considérablement changé. Récemment, différentes enquêtes ont encore noté la diminution du poids démographique des catholiques : si en 1945, 80% des Français se déclaraient catholiques, en 2009 ils représentent 64% de la population (sondage Ifop, juillet 2009). Dans le même temps, le nombre de musulmans (4,5% en 2009), de personnes sans religion (28% en 2009) et des protestants (3% en 2009), surtout les évangélistes, augmente. De façon plus générale, 53% des Français déclarent croire en Dieu, et 20% en un Dieu personnel1. Des chiffres qui, s’ils soulignent la baisse du catholicisme, remettent en cause les analyses en termes de sécularisation de notre société. Comme le remarque la sociologue des religions, Danièle Hervieu-Léger dans son ouvrage Le pèlerin et le converti, la religion en mouvement2 : « La croyance ne disparaît pas. Elle se démultiplie et se diversifie, en même temps que se fissurent, plus ou moins profondément selon les pays, les dispositifs de son encadrement institutionnel. »





Epuisement du modèle paroissial 

Se dessine alors un nouveau paysage religieux, difficile à saisir car les déterminants sociaux sont très flous et les pratiques religieuses évoluent. Si les Français restent majoritairement attachés aux cérémonies religieuses à l’occasion d’un décès (72%), d’un mariage (62%) ou d’une naissance (54%), la messe dominicale est un modèle qui s’épuise : seuls 4,5% des catholiques assisteraient tous les dimanches à la messe (sondage Ifop, juillet 2009). La situation est assez similaire pour la participation à l’office au temple ou à la synagogue. Comme le remarque Claude Dargent, sociologue au Cevifop en commettant l’étude La France à travers ses valeurs1, « si l’assistance à l’office demeure un bon indicateur de la croyance (plus on pratique, plus on croit), l’inverse n’est plus vrai. » En revanche, des pratiques plus personnelles, comme la prière, se maintiennent. Cette même étude montre ainsi que 16% des catholiques prient tous les jours. Cette propension est encore plus forte chez les musulmans (57%) et les protestants (41%).

De plus, en raison notamment du brassage des cultures, de l’intensification des échanges et de la mondialisation, les comportements religieux sont aujourd’hui très divers. Quand les croyants revendiquent une identité religieuse, celle-ci est de moins en moins héritée. « Les appartenances reconnues aujourd’hui sont probablement moins liées aux origines familiales et plus souvent le signe d’une attente, même floue, de réconfort personnel dans les moments difficiles », affirme Pierre Bréchon, dans l’étude La France à travers ses valeurs1.

Pour Danièle Hervieu-Léger, ces tendances marquent la fin du modèle d’organisation paroissiale. « On pourrait voir là, comme c’est l’usage, la preuve de l’inadaptation des institutions religieuses actuelles aux besoins spirituels exprimés par nos contemporains », analyse pour sa part Claude Dargent. L’étude sur les valeurs des Français révèle en effet que 47% des sondés ont « leur propre manière d’être en contact avec le divin sans avoir besoin des églises ou des services religieux ». Une attitude rencontrée surtout chez les catholiques dits pratiquants irréguliers et chez les non-pratiquants.





Croire sans appartenir

Les sociologues des religions connaissent bien ce paradoxe ; ils le nomment le “croire sans appartenir”. « Cette disjonction de la croyance et de l’appartenance est évidemment encore plus nette dans tous les cas où le sujet croyant revendique de pouvoir choisir, dans les différentes traditions, ce qui lui convient, remarque Danièle Hervieu-Léger. » Selon elle, la foi ne se vit plus dans la contrainte, l’obligation liturgique, mais dans des événements festifs ou exceptionnels.

Pour preuve, les événements comme les visites pastorales du pape attirent des milliers de personnes. De même, les JMJ, les congrès eucharistiques, les chemins de Saint-Jacques de Compostelle, Taizé, sont autant de lieux où l’on croise de plus en plus de croyants ou de chercheurs en Dieu. Selon l’étude sur les valeurs de Français, 49% des Français vont au moins une fois par an dans un lieu saint pour des raisons religieuses. Pierre Bréchon “isole” même « un petit groupe de personnes peu religieuses qui fréquentent ce type de lieu : 19% des catholiques non-pratiquants les fréquentent une ou deux fois par an et 16% plus souvent ». Ainsi, la religion du temps ordinaire laisse place progressivement à une religion des « temps forts, une religion des hauts lieux »3.

Conséquence : l’Eglise perd peu à peu prise sur les croyants. « Un Français sur cinq a appartenu au catholicisme dans le passé mais l’a quitté, essentiellement pour devenir sans religion (2% se sont convertis au protestantisme et 1% à l’islam), souligne Claude Dargent. De plus un tiers de ces ex-catholiques continue de croire en Dieu. » Les croyants élaborent, plus ou moins dans leur coin, un système de significations. Ce “bricolage” de sens passe également pour un certain nombre de Français par la lecture de presses spécialisées, d’engagement dans des groupes de prière, des chorales ou des communautés nouvelles, des associations caritatives comme le Secours Catholique ou l’Armée du Salut, les Caritas internationales, les cours Alpha (ces dîners de présentation de la foi entre chrétiens et chercheurs de Dieu)…

Aussi aujourd’hui il existe différentes façons d’être croyant : les pratiquants réguliers, les chrétiens conscients de l’être mais très impliqués en marge des institutions, les croyants par tradition et les croyants en recherche. Des changements qui aiguillonnent l’Eglise pour qui le défi est de rassembler tous ces croyants.



1La France à travers ses valeurs, sous la direction de Pierre Bréchon et Jean-François Tchernia, Armand Colin, 2009.

2Le pèlerin et le converti, La religion en mouvement, Danièle Hervieu-Léger, Flammarion, 1999.

3Catholicisme, la fin d’un monde, Danièle Hervieu-Léger, Bayard, 2003.





La religion en mouvement



Le paysage religieux de la modernité contemporaine est […] traversé par deux mouvements […].

Un premier mouvement, en lien direct avec la culture de l’individu qui s’impose dans tous les domaines, tend à relativiser les normes croyantes et pratiquantes fixées par les institutions religieuses. […] Un autre mouvement, en sens radicalement contraire, oppose à cette conception “processuelle” de la communauté, la solidité collectivement attestée de petits univers de certitudes, qui assurent efficacement la mise en ordre de l’expérience des individus.

La communauté concrétise alors l’homogénéité des vérités partagées au sein du groupe.



Danièle Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti, la religion en mouvement.







 

Updated on 06 Octobre 2016