Dominicains et Franciscains, les faux jumeaux

21 Décembre 2015 | par

Le baiser de paix échangé par saint François et saint Dominique s’inscrit parmi les grands classiques de l’iconographie chrétienne. Nés à la même époque, attelés au même labeur missionnaire au service de l’Église universelle, les Frères Prêcheurs – ou Dominicains –, et les Frères Mineurs – ou Franciscains –, sont volontiers présentés comme des ordres jumeaux au sein de la grande famille des religieux mendiants. Et chaque année, le 8 août, les Franciscains fêtent « leur père » saint Dominique, tandis que le 4 octobre, les Dominicains célèbrent « leur père » saint François. Pourtant, que de différences, que de contrastes entre les deux hommes, mais aussi entre les projets et les ordres. Observer Dominique et ses prêcheurs, c’est, en creux, mieux saisir l’originalité de François, mieux cerner les richesses et les limites des Mineurs.

 

Dominique et François

Dominique, convenons-en, fait moins rêver que François ! D’un côté la rude Castille, de l’autre, la souriante Ombrie. Chanoine de l’évêque d’Osma, Dominique est un clerc lettré d’origine noble, et sa découverte de la tragique hérésie cathare le conduit à fonder un ordre voué au ministère de la prédication. Nulle rupture dans ce cheminement. François est un bourgeois dont la spiritualité restera laïque et qui passe par de radicales conversions. Son itinéraire comporte des virages à angle droit.

Dominique n’a pratiquement laissé aucun texte de sa main, et sa sainteté se trouve cachée dans la lumière de son ordre. Dominique n’a posé problème par la suite ni à ses frères ni aux historiens.

François nous est connu par ses écrits et par de nombreuses sources. Sa personnalité charismatique a très tôt fait débat parmi ses frères, et, ce que l’on a appelé la « question franciscaine » (à savoir l’étude des biographies primitives de François) a eu tendance à dévorer tout l’espace dévolu à l’histoire du mouvement franciscain.

 

Le projet

Pour Dominique, il se clarifie assez vite. Alors que le chanoine d’Osma se trouve en Languedoc, il comprend qu’en présence des cathares, il faut renouveler les méthodes missionnaires. Il renvoie alors ses bagages en Espagne (ne gardant que des livres « pour l’office, l’étude et la dispute »), et se fait appeler « frère ». Puis, avec quelques compagnons prêtres, « il commence à proclamer la foi, à pied, sans frais d’argent, dans la pauvreté volontaire ». Les Dominicains forment un ordre clérical, c’est-à-dire surtout constitué de prêtres.

Rien de tel chez François. Pénitent, le Poverello constate que d’autres pénitents – clercs et laïcs, lettrés ou non – viennent le rejoindre. Avec ces frères que Dieu lui a donnés (Testament), François fait l’expérience de la vie en fraternité – prêchant la pénitence, soignant les lépreux, vivant du travail de ses mains et alternant séjours en ermitage et immersion dans la ville. Progressivement, cette fraternité primitive, victime en quelque sorte de son succès, va se muer en « l’ordre des Frères Mineurs ». Un ordre a priori non-clérical, mais que l’Église cherchera toujours à « cléricaliser » – au prétexte que seuls les clercs peuvent administrer les sacrements.

 

La mise en œuvre

Pour Dominique, tout est subordonné à la prédication de l’Évangile. Par sa souplesse, la législation dominicaine – que l’on a pu qualifier de « cathédrale du droit constitutionnel » – porte la marque de cette option fondamentale. Ainsi en est-il de la « dispense ». Un prieur pourra dispenser un religieux d’une observance, d’un office, d’une charge,  « chaque fois qu’il l’estimera convenable, principalement en ce qui paraîtrait faire obstacle à l’étude, à la prédication, ou au bien des âmes, puisqu’on sait que notre ordre, dès le début, a spécialement été institué pour la prédication et le salut des âmes et que notre étude doit tendre par principe, avec ardeur et de toutes nos forces à nous rendre capables d’être utiles à l’âme du prochain » (prologue des constitutions primitives). Et le dominicain Guy Bedouelle de commenter : « La dispense est intelligence des situations et des personnes, adaptation au but de l’ordre, ce qui permet d’y tendre avec la concentration de tous les moyens ».

Ce langage est incompréhensible pour François : « À tous mes frères clercs et laïcs, écrit-il dans son Testament, j’interdis fermement par obéissance de mettre des gloses à la Règle. Mais comme le Seigneur m’a donné d’écrire simplement et purement la Règle, ainsi comprenez-la simplement et purement, et sans glose, et observez-la saintement jusqu’à la fin ».

Résultat : la législation dominicaine a permis aux Prêcheurs de sauvegarder leur unité, tandis que l’incontournable radicalité de la règle franciscaine a conduit les Frères Mineurs, de tentative de réforme en tentative de réforme, à se scinder en trois ordres principaux (Conventuels, Franciscains et Capucins).



L’arrivée à paris

Dominicains et Franciscains ont souvent fréquenté les mêmes territoires de mission, mais pas exactement pour les mêmes raisons. En 2017, nous pourrons fêter le 8e centenaire de leur arrivée, la même année, en Île-de-France. Les Dominicains visent directement Paris pour « publier l’ordre » (c’est-à-dire le faire connaître et recruter des novices), ainsi que pour y faire des études. En 1218, soit l’année qui suit leur arrivée, ils sont déjà installés rue Saint-Jacques, près des remparts, à deux pas de la Sorbonne.

Les Franciscains, quant à eux, commencent par s’établir à Saint-Denis, tout près de la basilique qui est alors une église abbatiale. Saint-Denis, à cause des foules considérables qui s’y rassemblent à l’occasion des foires. Les frères, exerçant un apostolat particulièrement fécond, vont devoir se former intellectuellement pour prêcher et confesser. À cette fin – mais seulement dans un deuxième temps – ils cherchent un pied-à-terre à Paris. Ce sera d’abord Vauvert, puis le Grand couvent, à l’abri des remparts. Quelques décennies plus tard, les deux couvents parisiens, celui des Cordeliers (franciscains) et celui des Jacobins (dominicains), abriteront les deux plus grands théologiens de tous les temps, Bonaventure et Thomas d’Aquin – lesquels, selon la tradition, étaient les meilleurs amis du monde. 

 

Pour en savoir davantage sur les Dominicains : Une bibliothèque retrouvée. Les livres du couvent des Jacobins de Paris du Moyen Âge à la Révolution, exposition à la Bibliothèque Mazarine, 23, quai de Conti, 75006 Paris. Jusqu’au 26 février.

 

Updated on 06 Octobre 2016