Egypte: après le voyage de Jean-Paul II

01 Janvier 1900 | par

«Il était temps!» C’est ainsi que Shenouda III, le pape des Coptes orthodoxe d’Egypte, accueillit Jean-Paul II lors de son arrivée dans son pays. L’Aide à l’Eglise en Détresse a suivi ce 90e voyage apostolique du Pape. Didier Rance, Directeur national d’AED pour la France, nous raconte l’importance de cette visite pour les Eglises chrétiennes d’Egypte.

«Le premier Pape à venir sur la terre d'Egypte»: les journalistes occidentaux ont souvent insisté sur cet aspect du 90e voyage apostolique de Jean-Paul II, du 24 au 26 février dernier. Mais est-ce vrai ? On peut se poser la question, parce que pour la grande majorité des chrétiens d'Egypte, les coptes orthodoxes, le Pape, ils peuvent le voir toutes les semaines à la Morkosseia – le siège de l'Eglise copte orthodoxe – où il donne une audience publique souvent haute en couleurs. Cette confession chrétienne partage en effet avec l'Eglise catholique la particularité d'avoir un Pape à sa tête. Et la rencontre des deux, Jean-Paul II et Shenouda III, le 25 février dernier, présentait une importance et un caractère particulièrement émouvants. Shenouda accueillit d'ailleurs Jean-Paul II par ces mots: «Il était temps!»

Une minorité sur sa propre terre Qu'ils soient orthodoxes, catholiques ou anglicans, les coptes (1) d'Egypte partagent la même situation de minorité religieuse dans un pays à près de 85 % musulman. Moins de deux mois avant le voyage de Jean-Paul II, les dramatiques événements d'El Qosheh étaient venus rappeler que cette situation est difficile. Déjà, en août 1998, ce village à majorité chrétienne avait été livré plusieurs jours aux violences conjointes d'islamistes et de policiers. Le 2 janvier 2000, 20 chrétiens étaient assassinés et 34 autres blessés après une attaque de village par des fondamentalistes musulmans. Et, cette fois-ci encore, ce sont les victimes chrétiennes que la presse et la police ont scandaleusement désignées comme coupables, arrêtant le curé de la paroisse, dont le fils avait été assassiné.
Dans ce contexte, la rencontre de Jean-Paul II avec le cheikh Mohammed Sayed Tantawi, recteur de l'Université d'Al Azhar, la plus prestigieuse du monde musulman, a été un signe fort d'espérance pour de meilleures relations entre les deux communautés. Dans une interview exclusive avec l'envoyé spécial de l'AED (2), François Vayne, le cheikh M.S. Tantawi se désolidarise complètement des extrémistes islamistes qui attaquent les chrétiens, ajoutant: «Dieu nous demande seulement de rivaliser de bonté les uns avec les autres.» Autre conséquence heureuse pour tous les chrétiens d'Egypte, de la visite de Jean-Paul II: le déblocage de permis de construire pour des églises, parfois bloqués depuis plusieurs décennies. Comme le disent Naïm et Teresa Rochdy, un couple de coptes orthodoxes du Caire: «Après ce voyage de Jean-Paul II, nous avons une nouvelle force pour vivre dans les difficultés quotidiennes.»

Petite, mais non sans importance 200 000 coptes d'Egypte vivent en communion avec Rome, et forment ainsi une des plus petites Eglises de la communion catholique. Les relations avec la grande Eglise copte orthodoxe ne sont pas des plus faciles, mais dans ce domaine aussi, le voyage de Jean-Paul II a ouvert un espace d'espérance. Cette communauté copte catholique occupe une place non négligeable dans la société égyptienne, malgré son petit nombre de fidèles. Elle est surtout caractérisée par un dynamisme et une ouverture que j'ai beaucoup appréciés lorsque j'ai travaillé avec elle dans les années 70.
L'Association Chrétienne de Haute Egypte (ACHE) est le symbole le plus fort de ce dynamisme et de ces ouvertures. Ses écoles scolarisent des dizaines de milliers d'enfants et ses actions depuis un demi-siècle pour la promotion villageoise, en particulier des femmes et des jeunes filles, ont joué un rôle décisif pour des millions de fellahîn (paysans). Le temps n'est pas si loin où ces derniers étaient considérés comme à mi-chemin entre les bêtes de somme et les êtres humains. J'ai pu m'émerveiller, en travaillant avec l'ACHE dans les villages de Haute-Egypte, de voir combien le simple fait de respecter des hommes et des femmes dans leur dignité humaine et religieuse faisait des miracles.
Un mois après le voyage de Jean-Paul II, une mission de l'AED était de retour en Egypte pour discuter avec les responsables de l'Eglise catholique du soutien de cette Œuvre internationale catholique. Le journaliste français Thomas Grimaux accompagnait cette mission. A son retour, nous avons échangé nos expériences. Il a lui aussi été frappé par le rôle joué par les catholiques d'Egypte pour le bien commun du pays. Partout, a-t-il remarqué, les catholiques des différents rites ont des projets communs au service de tous: jardins d'enfants, écoles, cours de langue, dispensaires, cours de catéchisme pour adultes, foyers pour étudiants, centres pour personnes en difficultés…
Cette unité, si chère au Patriarche des Coptes catholiques, Stephanos Ghattas, est visible, par exemple, dans le diocèse d'Ismaylia, où les Sœurs égyptiennes du Sacré-Cœur, sous la baguette de leur supérieure Mère Marie-Georgette, sont en train de terminer la construction d'un jardin d'enfants, « pour tous les Egyptiens », comme le stipule le but premier de leur fondation, en 1913.
A Louxor, les Franciscaines de Marie, ordre égyptien fondé en 1877, s'occupent du catéchisme et de la promotion féminine qui consiste à montrer aux femmes égyptiennes, musulmanes ou chrétiennes, leur dignité. La «Légion de Marie» se réunit une fois par semaine. Chaque femme peut poser des questions, répondre à d'autres, chercher à comprendre. Une vieille ramasse le châle d'une jeune qui berce son nouveau-né. Et toutes, après une prière, rient, s'amusent, apprennent leur dignité qui fut parfois bafouée.
A Minia, un groupe Saint-Vincent-de-Paul, emmené par un prêtre rayonnant, peut aller visiter les prisonniers et les soutenir: «Notre premier service est un service religieux, même si nous sommes aussi un pont entre le prisonnier et sa famille», explique le père Nassif, jeune aumônier catholique de cette prison. Avant, il était toléré, mais il peut désormais célébrer une messe dans l'enceinte (« les plus belles messes célébrées le sont à la prison, elles remémorent le temps des catacombes », renchérit son évêque). Et cette messe irrigue de grâces les chrétiens qui y assistent et leurs compagnons d'infortune. Dernièrement, un chrétien a été condamné à la peine capitale pour assassinat : il a tué le violeur de sa sœur. Il l'a tué considérant la chose normale et, au procès, équitable comme souvent en Egypte, il n'a pas montré le moindre regret. Le père Nassif a entrepris de converser avec le condamné qui, sous la motion du Saint-Esprit, est parvenu à comprendre sa faute et à se confesser. Des condamnés à mort qui sont réveillés tôt le matin pour l'exécution, sans savoir quel jour, il sera le seul à dormir, à attendre calmement, l'âme apaisée, le jour fatidique.

Une naissance Pour Mgr Naguib, l'évêque de Minia, la visite de Jean-Paul II est un événement capital pour l'Eglise catholique en Egypte: «L'Eglise catholique d'Egypte est née avec cette visite. Le Saint-Père l'a révélée à elle-même en ce sens où, pour la première fois, la messe célébrée au Caire le 25 février, si elle était de rite latin, a intégré des particularités des sept rites présents en Egypte » (syriaque, copte, grec, chaldéen, maronite, arménien et latin). «Alors, nous avons ressenti que nous étions l'Eglise catholique et non plus l'Eglise copte ou l'Eglise syriaque ou chaldéenne… Jean-Paul II a révélé la force interne de cohésion de l'Eglise, son unité essentielle et a montré du doigt une réalité jamais révélée de cette façon.» Nul doute que la visite de Jean-Paul II va accroître le rayonnement de cette Eglise.

(1) C'est ainsi que sont appelés tous les chrétiens d'Egypte. Le mot copte étant un doublon d'égyptien, il montre que, contrairement aux musulmans, les chrétiens sont originairement fils de la terre du Nil.

(2) L'Aide à l'Eglise en Détresse. AED a promis d'accroître son aide au service des chrétiens d’Egypte pour l'année 2000. Si vous désirez aider les chrétiens d'Egypte, vous pouvez envoyer vos dons à : AED - BP 1 - 78750 Mareil-Marly

Pour en savoir plus :
L'Eglise dans le Monde, n° 106/2e trimestre 2000, Dossier Egypte, 28 FF.
Dossier AED
: « Aux sources du salut », juillet 2000, 20 FF.
A commander à : AED – BP 1 – 78750 Mareil-Marly

Updated on 06 Octobre 2016