En Amérique, la Terre sainte vient à vous

Connaissez-vous le Franciscan monastery of the Holy Land in America ? Cette antenne implantée à Washington, offre dans un somptueux cadre de verdure une reconstitution très fidèle des principaux sanctuaires de Palestine.
18 Juin 2023 | par

Trois mois. Avez-vous trois mois de libres devant vous ? À la fin du XIXe siècle, si vous êtes Américain et que vous souhaitez accomplir un pèlerinage en Terre sainte, il vous faut disposer d’au moins trois mois – et encore, uniquement pour faire l’aller-retour New York/Jérusalem. Si vous voulez visiter les autres lieux saints, il faut rajouter un mois. À l’époque, le pèlerin prend le bateau pour Cherbourg, puis traverse en train toute la France et l’Italie jusqu’à Ancône. De là, il reprend le bateau jusqu’à Alexandrie, et enfin il rejoint Jérusalem par voie terrestre. Un très long voyage donc, que beaucoup, pour les raisons les plus diverses, ne peuvent pas s’offrir.
Mais cette impossibilité pour le plus grand nombre de gagner la Terre sainte n’est pas nouvelle. À partir du XVIe siècle, le contexte politique (avec la domination ottomane) et les dangers liés au voyage rendent l’expédition fort onéreuse et son issue incertaine. Alors, dans toute l’Europe, et notamment en Italie du Nord, les frères mettent en place « des lieux saints de substitution », c’est-à-dire des reconstitutions spectaculaires et grandeur nature des sanctuaires de Palestine où les fidèles peuvent acquérir les mêmes bienfaits spirituels (les indulgences) que s’ils s’étaient rendus à Jérusalem. À la fin du XIXe siècle, cette « délocalisation » de la Terre sainte gagne les États-Unis.

Le « rêve » du père Godfrey Schilling
Dès 1880, les frères mineurs de la Custodie de Terre sainte avaient érigé un commissariat à New York. Il s’agissait pour eux d’organiser depuis le nouveau monde le soutien aux lieux saints et de prendre en charge les pèlerins. L’un des religieux, un jeune frère américain d’origine allemande, Godfrey Schilling (1855-1934), a l’idée de construire une Holy Land in America sur une colline dominant l’entrée du port de New York. Ce projet n’aboutit pas, mais en 1897 les frères achètent une vaste propriété boisée (18 hectares) située à Brookland, dans la banlieue nord-est de Washington. Six frères, les « pioneers », commencent par habiter une maison en bois aux planchers pourris et infestée de rats, tandis que Godfrey Schilling embauche un célèbre architecte, Aristide Leonori (1856-1928), tertiaire franciscain, et l’envoie en Terre sainte, pour y étudier précisément les lieux saints, les photographier et en prendre les mesures exactes. Le 19 mars 1898 (125 ans cette année), la première pierre est posée, et un an et demi plus tard, en septembre 1899, on procède à la dédicace de l’église. Par la suite, toujours dans l’idée de satisfaire les pèlerins américains, on reconstitue toujours aussi fidèlement la grotte de Lourdes (1913), les catacombes de Rome (1915) avec le corps allongé de sainte Cécile, la chapelle de l’Ascension au Mont des Oliviers (1925), ou encore la Portioncule, en 1926 – pour le 7e centenaire de la mort de saint François. Un cloître, « le portique du Rosaire », vient compléter l’ensemble, et il tire son nom des traductions de l’Ave Maria en quelque 200 langues, anciennes et modernes, que l’on y trouve inscrites.

La croix du Saint-Sépulcre
Avec ses quatre branches potencées et ses quatre petites croix (ou croisettes), la croix du Saint-Sépulcre est omniprésente à Washington, depuis la bure des frères où elle est brodée, jusqu’aux nombreux motifs décoratifs sur lesquels elle figure, comme sur les rampes d’escalier à l’intérieur de l’église. Celle-ci a d’ailleurs été construite sur un plan en forme de croix du Saint-Sépulcre. Le maître-autel se trouvant au centre, le calvaire en hauteur et l’édicule de la Résurrection se font face, sachant que la distance qui les sépare est exactement la même que celle qui sépare le « vrai » calvaire du « véritable » édicule dans l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem. C’est dans ce genre de détails que se niche le travail de précision de Leonori.
Les croisettes de l’église sont quant à elles consacrées à des personnages essentiels aux lieux saints : la Vierge et saint Joseph, bien entendu, mais aussi François qui s’est rendu en Terre sainte, et plus inattendu, Antoine de Padoue. J’avoue avoir appris du frère David Grenier, l’actuel commissaire à Washington, que notre Antoine était officiellement, depuis 1920, le saint patron de la Custodie de Terre sainte. À cette époque, en effet, les frères ont failli par deux fois être tous expulsés de Palestine, et seule l’invocation de saint Antoine a miraculeusement fait changer d’avis les autorités.
Ajoutons que l’église est aujourd’hui classée monument historique par les autorités américaines, et que certains détails visibles sur les lieux saints de Washington ont disparu sur les bâtiments originaux lors des reconstructions opérées par Antonio Barluzzi au début du XXe siècle. C’est dire si la reproduction américaine est précieuse.

Et aujourd’hui ?
Dix heures d’avion suffisent aujourd’hui pour relier Washington à Tel Aviv. Cette Holy Land in America n’a pas pour autant perdu sa raison d’être. Proche de l’Université catholique des U.S.A., le couvent reste un espace de verdure et de recueillement suffisamment à l’écart, mais très accessible. On peut aussi bien s’y confesser que travailler aux cultures maraîchères des frères, ou passer quelques jours en ermitage.
Mais avant tout, le couvent reste un commissariat de la Custodie. La petite quinzaine de frères qui l’habitent joyeusement travaille à faire connaître et aimer la Terre sainte. De tout temps, les catholiques américains ont fait preuve d’une grande générosité à l’égard des chrétiens de Palestine. De passage à Washington, le frère custode rappelait récemment que, pendant la crise du covid, ce sont les donateurs américains qui ont littéralement sauvé la Custodie de la faillite : « Sans Washington, il aurait fallu fermer boutique ! ». Aujourd’hui encore, on peut estimer que les catholiques américains contribuent par leurs offrandes à financer plus de la moitié du budget de la Custodie. Les frères doivent donc inlassablement solliciter la générosité des fidèles pour pouvoir continuer à offrir des logements, gérer des écoles et des œuvres sociales pour les chrétiens de Terre sainte – une infime minorité que personne n’a intérêt à voir disparaître.

Pour en savoir plus :
Franciscan monastery,
1400 Quincy Street NE,
Washington, DC 20017.
Internet : www.MyFranciscan.org

Updated on 19 Juin 2023
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