En marge de la 76e Semaine sociale de France - Accueillir l’homme en son début et en sa fin

01 Janvier 1900 | par

Cette mise à jour vient d’avoir lieu : l’Assemblée nationale a adopté, le 22 janvier dernier, en première lecture, le projet de loi relatif à la bioéthique qui autorise la recherche sur les embryons humains. Feu vert est donc donné à la recherche des embryons surnuméraires, et interdiction – pour le moment – du clonage à des fins thérapeutiques. Mais ne nous y trompons pas. Dans une récente interview, le père Patrick Verspieren, directeur du département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres, précisait : « En adoptant ce projet, les députés ont accepté que l’embryon humain soit traité comme un objet » Une position que refusent ceux qui agissent à la lumière de la raison et de la foi ; une porte ouverte vers le clonage reproductif (cf. encadrés sur la Lettre du Pape au président des Semaines sociales de France et la Note de la Conférence épiscopale du Canada) D’ailleurs, le cadre des débats a été clairement défini par Michel Camdessus, président des Semaines Sociales de France : « Au moment où le Parlement doit se saisir de la mise à jour des lois de bioéthique de 1994, lit-on dans le livret remis aux participants, nos travaux peuvent accompagner utilement les débats du Parlement. » Cette nouvelle session s’inscrivait donc tout naturellement dans le débat plus large de l’éthique biomédicale, et aborder de front la question du respect de la dignité de la vie humaine en son début et en sa fin.

Derrière tout malade, une personne !

Dans ce contexte, le thème des débats :  Biologie, médecine et société  et l’interrogation : Que ferons-nous de l’homme ?  se pose tout particulièrement à ceux qui, comme le Docteur Marie-Sylvie Richard, consacrent leur vie et leurs compétences à l’accompagnement des malades en phase terminale. Son intervention, suivie avec un grand intérêt et chaleureusement applaudie, mérite d’être largement citée.
Pour cette femme médecin, il faut d’abord partir d’un premier constat pour comprendre les attitudes actuelles face à la souffrance et à la mort : « 78% des personnes en Ile-de-France meurent en institution. »  Et, dans la majorité des cas, en France, on ne meurt plus à la maison mais dans un hôpital, une maison de retraite….
Parallèlement, on assiste aujourd’hui à une forte médicalisation de la fin de la vie avec des réactions diverses : course folle au traitement, refus de soins par le malade ou la famille, mort en cours de traitement, maintien en vie sans espoir d’amélioration. « Il est alors parfois décidé, précise-t-elle, d’interrompre ces techniques qui ne sont plus proportionnées à l’état du malade et qui n’apportent plus de bienfait. »
On parle aussi d’excès ou d’acharnement thérapeutique : « En fait, dans les situations concrètes, l’évaluation de la proportionnalité des soins et des traitements comporte beaucoup d’incertitudes ». Aussi, face à des décisions graves, comme la limitation ou l’arrêt d’un traitement, Marie-Sylvie Richard considère qu’il est essentiel pour un soignant de « toujours se questionner sur ses actes et de maintenir une éthique du soin ».
Autre question délicate, soulevée lors du débat qui a suivi la conférence : le statut du malade dans le coma prolongé : « Peut-on encore, dans ce cas, parler de vie ? » La réponse du Dr Richard est tout en nuances et dans le respect de la personne humaine : « Bien souvent, dit-elle, et longtemps, il y a encore une certaine perception. Je n’ai pas de réponse. C’est une grande épreuve. Certains se disent : « Ce n’est plus un être humain. » D’autres, dont je fais partie, estiment que la personne humaine s’inscrit dans une histoire et dans un réseau relationnel … »  D’où la nécessité de ne pas réduire la personne à ce que l’on voit d’elle.  « Derrière cette image, la personne est toujours là. »

Faut-il légiférer sur l’euthanasie ? Pourquoi ?

Mais alors, que faire, que penser, lorsque certaines familles, épuisées, en viennent à demander l’euthanasie ? Sans juger, le Dr Richard veut aussi éviter toute confusion. Selon elle, même effectuée par compassion, l’euthanasie vise à provoquer la mort, alors que les soins palliatifs, parfois accompagnés de sédation, visent à soulager les malades pour qu’ils vivent au mieux le temps qui leur reste. Légiférer sur l’euthanasie constituerait donc une dérive grave, celle de décider que la vie de tel malade n’est plus humaine et l’interrompre.
Aussi, sans prononcer le mot « eugénisme », Marie-Sylvie Richard évoque-t-elle cette tentation : est-ce à la famille ou au personnel hospitalier de décider de la vie ou de la mort de quelqu’un, même souffrant, même handicapé… ? : « Un tel comportement, s’il est généralisé, deviendrait dangereusement discriminatoire. »
De plus, pour le chrétien, regarder le malade, c’est aussi entendre le « Tu ne tueras pas » ; et de rappeler avec force - le Dr Richard est aussi religieuse xavière -, l’originelle obligation : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Le respect ou non de cet impératif, souligne-t-elle, « engage notre responsabilité ».
Car c’est bien de responsabilité individuelle ou collective qu’il s’agit. Au nom de la compassion, du respect de la personne, un pays comme la Hollande a été amené à légiférer sur l’euthanasie. Un choix de société qui peut, pour le moins, étonner ! Marie-Sylvie Richard ne cache pas sa tristesse devant cette situation : « J’en suis dépitée, dit-elle. Pour moi, ce qui se passe en Hollande est la preuve claire de ce  toujours plus . »
Une législation encore plus incompréhensible quand il s’agit des enfants. « Dans une émission sur Arte, en mars ou avril dernier, j’ai pu constater cette progression du « toujours plus » en Hollande (…) En même temps que le diagnostic, on donne à l’enfant, à partir de 12 ans, un petit flacon pour mettre fin à ses jours, si la situation ne lui semble plus tenable. (…) Comment cet enfant peut-il se battre quand il reçoit tout à la fois un traitement d’aide et la possibilité de se tuer. Justement quand on sait à quel point le malade passe par des haut et des bas. Je ne comprends plus… » Et d’évoquer un exemple terrible dans ce même reportage sur Arte : une maman, à la demande de sa fille adolescente, mélange un peu de poison dans la compote. L’enfant meurt immédiatement après avoir avalé la compote. « L’enfant, commente Marie-Sylvie Richard, même ne supportant plus ses souffrances, souhaitait certainement autre chose de la part de sa maman »…

Face au malade en fin de vie

Il apparaît alors clairement que les soins palliatifs représentent le choix le plus respectueux face au malade en fin de vie. Mais qu’en est-il de cette pratique ? « La loi de juin 1999, explique le Dr Richard, vise à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs et à l’accompagnement pour tout malade dont l’état le requiert et où qu’il soit. Il reste beaucoup à faire pour que cette loi devienne effective. Les soins palliatifs et le traitement de la douleur sont inscrits depuis peu dans le programme des études médicales. » De toute évidence, et à la grande satisfaction de tous les participants, elle décrit, en détail, en quoi consistent les soins palliatifs.
Il s’agit avant tout d’un travail en commun, à l’hôpital :  «  Les équipes mobiles, dont je fais partie (…) voient avec les soignants vers quelle solution aller. » Pourtant, ces équipes restent encore mal perçues : «  Nous déplaçons avec nous l’idée de la mort. Mais je suis la première à dire : les soins palliatifs commencent bien avant la phase terminale de la maladie. Rappeler la mort, cela va à l’encontre de notre idée de toute-puissance, de notre souhait de guérir toujours mieux… » Et de souligner avec force : les soins palliatifs doivent être davantage connus. « Peut-être ne donnons-nous pas assez d’importance aux traitements de soulagement (…). Je crois aussi que les réticences par rapport aux sédatifs diminueront avec l’enseignement des soins palliatifs. Ce sera un peu moins l’affaire de gens spécialisés. »

« Notre commune humanité »

Mais d’autres « solutions », tels que le suicide ou l’aide au suicide, sont évoquées comme contraires au respect du malade et à une réelle relation d’humanité, car ce temps de préparation à la séparation peut se vivre non seulement comme une épreuve mais aussi comme une expérience d’humanité. « Face à la souffrance et à la mort, précise Marie-Sylvie Richard, nous faisons l’expérience, si nous le voulons bien, de notre commune humanité, avec ses souffrances, ses limites, sa finitude mais aussi ses formidables richesses… C’est pourquoi, le recours à l’euthanasie ou au suicide assisté m’apparaît comme une faillite de la solidarité humaine, de la sollicitude, de la compassion ». Dans ces conditions, pourquoi ne pas être plus inventif pour vivre jusqu’au bout une relation aimante auprès de la personne en fin de vie.
Nul doute donc que pour Marie-Sylvie Richard comme pour nous tous, la vie prévaut sur la mort, l’amour sur la souffrance et l’angoisse : « Quand tout s’effondre, seule la qualité des liens tissés demeure. »

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-- Famille Chrétienne, n° 1255, du 2 au 8 février 2002.
-- Le Dr Marie-Sylvie Richard, ancienne présidente de la Commission des soins palliatifs de la Fondation de France, est actuellement chef de service de la Maison Jeanne Garnier à Paris.
-- « La loi sur l’euthanasie, lit-on dans Le Figaro, 26 et 27 janvier 2002, sera en vigueur dans quelques semaines, elle prend acte de la dépénalisation de fait encadrée depuis les années 90 par des commissions régionales de contrôle de l’euthanasie : lorsqu’elle répond à de stricts critères, le médecin échappe aux poursuites. Il faut une demande libre mûrement réfléchie du patient, une souffrance incurable, l’absence de solutions thérapeutiques ou palliatives, la consultation d’un autre médecin, et une interruption de vie réalisée avec la rigueur médicalement requise. »
-- En France, l’euthanasie et l’aide au suicide demeurent réprimés par la loi (voir encadré).

Euthanasie et assistance au suicide dans la loi française

Le Code pénal en vigueur réprime dans son article 221 le meurtre et l’assassinat. Celui qui pratique une euthanasie est donc coupable de crime avec préméditation : le médecin qui s’y risque encourt la réclusion perpétuelle. S’il pratique l’abstention thérapeutique, il tombe sous le coup de « non-assistance à personne en danger » ; cinq ans de prison au maximum. Quant à l’aide médicale au suicide, la loi Dailly-Barrot, votée en 1987, punit de 3 ans et de 47 735 ? d’amende « la propagande ou la publicité en faveur de moyens de se donner la mort ». Le code de déontologie médicale interdit également la pratique de l’euthanasie, et le Comité consultatif national d’éthique a longuement considéré, sous la présidence de Jean Bernard, qu’il ne fallait surtout pas légiférer. »

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(Jean-Michel Bader, Le Figaro, 26 et 27 janvier 2002.)

Jean-Paul II : L’homme ne peut être réduit à un objet

« En raison de sa dignité intrinsèque, qui intègre pleinement la dimension biologique, l’individu humain ne peut jamais et d’aucune manière être subordonné à l’espèce, ni à la société, ni au bon vouloir d’autres personnes, fussent-elles ses parents, comme un pur moyen ou un pur instrument ; il a valeur par lui-même […]
La raison et la foi permettent l’engagement constant des chrétiens, au long de l’histoire, pour la défense de la personne, spécialement de l’être faibles, vulnérable ou marginalisé, et de l’enfant à naître […]
Aujourd’hui la dignité de l’homme est menacée, notamment dans les phases les plus critiques de son existence, la conception et la mort naturelle ; une tentation nouvelle se fait jour, celle de s’arroger le droit de fixer, de déterminer, les seuils d’humanité d’une existence singulière […]
La génétique moderne montre que dès le premier instant « se trouve fixé le programme de ce que sera ce vivant : une personne, cette personne individuelle avec ses notes caractéristiques déjà bien déterminées (Encyclique Evangelium vitae, n° 60)… Cela exige un respect absolu de l’être humain, depuis la phase embryonnaire jusqu’à la fin de son existence, être qui ne peut jamais être considéré comme un objet ou un matériau d’expérimentation. »
( Extraits de la Lettre de Jean-Paul II à M. Michel Camdessus, président des Semaines sociales de France).

Conférence des évêques catholiques du Canada :
 Ne pas ouvrir la porte qu’on ne pourra plus refermer 

Dans le cadre du projet de loi sur l’assistance à la procréation humaine, le Comité permanent de la santé de la Chambre des Communes du Canada a consulté la population sur ce sujet… Le 21 décembre, les évêques catholiques du Canada ont réagi au dépôt de ce rapport, en faisant, entre autres, le commentaire suivant :
« La Conférence des évêques catholiques du Canada est profondément consternée de constater que le Comité a décidé de permettre la recherche sur les embryons qui sont générés en trop lors des traitements de l’infertilité… La décision du Comité demeure des plus controversées puisqu’il a entendu des témoignages attestant que la recherche sur les cellules souches adultes – n’impliquant aucune atteinte à la vie humaine – démontre de remarquables possibilités […]
En abandonnant le principe fondamental qui stipule qu’une vie humaine ne peut être détruite pour potentiellement en aider d’autres, il sera difficile de maintenir les limites établies concernant la recherche sur l’embryon. L’expérience relative à d’autres questions morales sérieuses nous démontre que lorsqu’une porte est ouverte, il est très difficile de la refermer… »

Updated on 06 Octobre 2016