Fécondes attentes

27 Novembre 2003 | par

On sait que le jour de Noël viendra immanquablement le 25 décembre, quels que soient les souhaits. Mais les petits nous montrent que l'attente peut être active, remplie du désir vivant que l'événement prévu advienne, contrairement à l'attente passive, celle des découragés, des désespérés, qui n'espèrent plus qu'un bonheur ou qu'une rencontre heureuse puisse survenir.

Au début de la vie
Sur l'attente, le bébé nous en apprend beaucoup : dans sa dépendance à l'égard des adultes qui s'occupent de lui, il ne se contente pas d'attendre paisiblement que le sein ou le biberon vienne satisfaire son besoin de nourriture : chacun sait que, s'il est en bonne santé, le bébé fait savoir par ses cris qu'il a faim. Si jamais la mère, le père ou la nounou l'avaient un moment oublié, les voilà qui se précipitent pour répondre à son attente. On sait d'ailleurs que le lait ne suffit pas : amour et tendresse manifestés pas des regards, des mots, des caresses sont aussi nécessaires. Une jeune mère veille de près à tous ces aspects quand elle doit faire le choix d'une assistante maternelle capable de la remplacer.
On sait aussi, après des décennies d'observations et de réflexions sur le nourrisson, que l'attente du bébé qui reçoit de sa mère ou de son substitut une réponse appropriée conduit le tout-petit  à s'imaginer que c'est lui qui créé le sein, objet de son désir, comme le dit le psychanalyste anglais Winnicott (1) : bien qu'elle comporte une illusion, l'attente s'apparente alors à la création, ce qui ne manquera pas d'importance dans la suite du développement de l'enfant.

Une attente déçue, féconde désillusion
Christine raconte : Je me souviens de mes six ans pendant la guerre. Mon père était prisonnier depuis un an, et je savait que les pères de quatre enfants étaient libérés. Nous n'étions que trois. Aussi, à Noël, j'avais mis mon berceau de poupée devant la crèche en priant silencieusement pour qu'un bébé - frère ou sœur - nous soit donné afin que Papa soit libéré. J'ai été très déçue de trouver une poupée dans le berceau ! Il nous a fallu attendre la fin de la guerre pour connaître le retour des prisonniers après cinq ans de captivité. Par son attitude plus encore que par ses mots, ma mère nous a ainsi enseigné qu'elle ne pouvait pas changer la réalité du monde, mais que son espérance, sa confiance et sa foi, partagées par notre père, les aidaient tous deux à traverser la longue épreuve de la séparation, tout en gardant ardent leur désir de se retrouver. Elle m'a aussi appris que mes désirs immédiats n'étaient pas toujours exaucés, mais que je pouvais faire à Dieu une absolue confiance. Dans mon ignorance sur la conception et la venue au monde des bébés, j'accusais Maman de ne pas aimer Papa puisqu'elle refusait d'avoir un autre enfant ! J'ai aussi compris qu'une mère ne souhaite un bébé que s'il est également celui de son mari, l'homme qu'elle aime.

L'attente de la guérison
Quand j'ai appris la gravité de ma maladie, dit Laure, j'avais le choix entre la désolation, la dégringolade, ou l'adhésion au dur traitement qui m'était  proposé.  C'est l'équipe médicale et l'échange avec d'autres malades au groupe de parole qui m'ont fait sortir de mon apathie, du je n'attends plus rien pour oser penser : Je veux me soigner et m'en sortir. Ce qui m'a le plus aidée, c'est l'affection de mes enfants et petits-enfants. Pour eux, j'ai cessé de me laisser couler, de subir passivement les soins. La guérison est venue, et je vis plus intensément qu'autrefois, reconnaissant envers ceux qui m'ont accompagnée dans l'attente de guérir. Ils y croyaient plus que moi.

Attendre la mort
André vient d'être transféré dans un centre de soins palliatifs. Il souffrait tant à l'hôpital. Là, l'équipe médicale le soigne, sans s'acharner à vouloir le guérir : antalgiques qui diminuent la douleur, massages en douceur, bains, ainsi que visites de l'aumônier. Il respire mieux, se détend, se remet à penser alors qu'il était entièrement absorbé par la douleur. Il peut de nouveau parler avec les bénévoles, de la mort qu'il attend, c'est plus facile qu'avec ses enfants. Il nous a quittés dans la sérénité, tourné vers le berger miséricordieux qui m'attend, comme il le disait en y croyant profondément , a-t-il dit plus tard à son fils.

Attendre, on le voit, peut prendre bien des formes. Quand on parvient à transformer ses désirs et ses rêves en acceptation de la réalité, on est sur une vois féconde. Le désir reste toujours le moteur puissant qui nous tire sur la route de la vie. On sait bien que les pannes, les obstacles ne manquent pas. Ce qu'il ne faut jamais oublier, c'est que l'on est pas seul sur le chemin, même à la veille de l'ultime rencontre.


D.W Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Petite bibliothèque Payot.

Updated on 06 Octobre 2016