François d’Assise, diacre ?

François d’Assise, frère laïc, est le fondateur de l’ordre des Frères Mineurs. C’est cohérent. Pourtant, tout n’est pas si simple. Bien malgré lui, le Poverello a dû monter le premier échelon de l’état clérical et accepter d’être ordonné diacre.
12 Novembre 2023 | par

Le modeste évènement de Greccio, dont on fête cette année le huitième centenaire, nous est familier. Il est principalement raconté par Thomas de Celano, puis repris par Bonaventure. Quinze jours avant Noël, François demande à un ami noble, Jean, de se rendre au bourg fortifié de Greccio pour y préparer la célébration de la Nativité. « Je veux faire mémoire de cet enfant qui est né à Bethléem, lui explique le Poverello, et observer en détail, autant que possible de mes yeux corporels, les désagréments de ses besoins d’enfant, comment il était couché dans une mangeoire, et comment, à côté d’un bœuf et d’un âne, il a été posé sur le foin » (Thomas de Celano, Première vie, 84). François cherche en fait à toucher du doigt l’humilité de l’Incarnation. Au cours de la nuit de Noël, la foule se rassemble, la messe est célébrée, les frères chantent, François proclame l’Évangile, assure la prédication, et enfin un homme a une vision : il voit dans la mangeoire un petit enfant « gisant inanimé » qui s’éveille à l’approche du saint. Ainsi s’acheva la veillée « et chacun rentra joyeusement chez lui ».
Dans cet épisode que nous venons de résumer, il y a un passage qui pose problème et qui est souvent éludé par les commentateurs, qu’ils soient historiens ou frères. Reprenons le texte de Celano : « Le saint de Dieu revêt des ornements du lévite, car il était lévite, et chante d’une voix sonore le saint Évangile. […] Il prêche ensuite au peuple se tenant alentour et profère des paroles douces comme le miel sur la naissance du pauvre roi et sur la pauvre petite cité de Bethléem » (Première vie, 86). Ce qui interroge dans ce passage, c’est le fait que François soit qualifié de « lévite », qu’il lise l’Évangile au cours de la messe et qu’il prêche. Un lévite, dans l’Ancien Testament, désigne l’assistant d’un prêtre, et c’est une manière pour Celano de dire que François est diacre (sans le dire vraiment). Et de fait, seul un diacre est habilité à proclamer l’Évangile et à prêcher au cours de la messe. Par ailleurs la Première vie de Celano et la Legenda major de Bonaventure (lequel reprend l’information à Celano) sont les seules sources primitives qui mentionnent le diaconat de François.

François diacre : Quand et pourquoi
Cette difficulté dans la biographie de François a été prise au sérieux et sans doute résolue par un frère mineur américain et historien, Michaël Cusato, disciple d’André Vauchez. Nous allons le suivre dans son explication. Remontons à l’été 1220, au moment où François, après un long voyage qui a commencé l’année précédente en Égypte, revient de Terre sainte. Pendant son absence, la fraternité primitive – qui compte alors plus de mille frères – connaît une crise. Certains ont pris des initiatives sans consulter François : lors du chapitre de la Pentecôte 1220, les frères se sont permis d’ajouter de nouveaux points à la Règle. Par ailleurs, dans l’Église, on commence à se plaindre du comportement de ces étranges religieux. Toujours en 1220, l’évêque Jacques de Vitry écrit : « Cet ordre se multiplie rapidement dans le monde […]. Toutefois, à notre avis, cet ordre est dangereux, car il envoie deux par deux dans le monde, non seulement des religieux formés, mais aussi des jeunes gens immatures qui devraient d’abord être mis à l’épreuve et astreints à la discipline conventuelle pendant un certain temps ».
Il faut donc réagir, et vite. L’Église, par une bulle du pape Honorius III datée du 22 septembre 1220, commence par instaurer une année obligatoire de noviciat pour les postulants. De plus, François, le fondateur, doit absolument reprendre en main sa fraternité, devenue très nombreuse. Mais a-t-il l’autorité pour le faire ? François est un laïc – et il tient à le rester –, et, de ce fait, du point de vue de l’Église, il n’a aucune autorité canonique sur ses frères. En droit, il ne peut rien leur imposer. Pour pouvoir exercer une juridiction au sein de l’Église, il faut appartenir à l’ordre des clercs, c’est-à-dire être évêque, prêtre… ou diacre.
Fin septembre 1220, nous savons par le chroniqueur Jourdain de Giano que François a lu l’Évangile et qu’il a prêché devant les frères. On peut donc en déduire que dès son retour de Terre sainte, François a été contraint au diaconat par la curie romaine, afin de rétablir l’ordre dans la fraternité. Le Poverello a certainement vécu cette ordination dans l’obéissance, mais à contre cœur, comme tous ceux qui entendaient rester fidèles à l’esprit du groupe des « pénitents laïcs de la région d’Assise », comme on appelait les premiers frères. Le malaise face à cette ordination diaconale explique sans doute pourquoi elle n’est pas évoquée dans les biographies primitives, et, plus généralement, pourquoi le diaconat de François n’est pas davantage souligné dans ces mêmes biographies. Mais concernant Greccio, il était impossible de raconter la scène en taisant le diaconat.
En tout cas, pour Michaël Cusato, le doute n’est pas permis : François a bien été ordonné diacre et il n’est pas le seul fondateur laïc auquel cette « mésaventure » est arrivée.

François représenté en diacre
Seule biographie de François autorisée après 1263, la Legenda major de Bonaventure a inspiré de très nombreux cycles de peinture, à commencer par celui de la basilique d’Assise. L’épisode de Greccio est toujours inclus dans ces séries de tableaux, et on peut y observer François revêtu de l’ornement liturgique caractéristique du diacre, la dalmatique. C’est le cas pour cette toile dont nous avons la chance de pouvoir vous présenter la reproduction et qui est conservée au Musée d’art colonial à Santiago du Chili, au sein du couvent Saint-François. Cette scène, comme l’ensemble du cycle (54 peintures), a été exécutée par l’atelier de Basilio de Santa Cruz Pumacallao à Cuzco (Pérou) entre 1668 et 1684, avec la collaboration de Juan Zapata (ou Zapaca) Inga, peintre d’origine indienne. Cette œuvre appartient à ce que l’on appelle « l’École de Cuzco » ou Escuela cuzqueña, ce fleuron du métissage culturel fécondé par l’évangélisation des Indiens. À droite, la dalmatique de François attire immédiatement le regard, avec ses motifs dorés sans doute d’origine indienne.  
En cette fin d’année, de nombreuses images de Greccio vont circuler au sein de la famille franciscaine. Alors, ouvrez l’œil et repérez la dalmatique !

Updated on 13 Novembre 2023
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