Frère Aloïs de Taizé

14 Décembre 2005 | par

Pour vous qui était Frère Roger ?
J’avais seize ans quand je l’ai rencontré à Taizé. Deux choses m’ont frappé : l’énergie avec laquelle il sortait de la prière pour aller au travail, et sa grande bonté.

Dans le projet de Taizé, y a-t-il eu des changements d’orientation ?
Des changements, oui, mais vécus dans la fidélité aux intuitions du début. Par exemple : accueillir. Lorsqu’il n’y avait que quelques frères dans la petite église romane, et quelques visiteurs, Frère Roger se demandait : que peuvent-ils comprendre ? La prière, monastique, répétitive, a évolué vers une prière plus simple, centrée sur l’essentiel de la foi. C’était le souci de Frère Roger. Dans les années 70-80, il est allé vivre dans des bidonvilles, à Calcutta, Hong-Kong, en Haïti à la Cité Soleil... Il pensait que l’avenir de l’Eglise ne se trouverait que dans la simplicité.

Frère Roger était un pasteur suisse. Au début, des protestants traditionnels redécouvraient la vie monastique. Imaginaient-ils l’ouverture internationale de la communauté, y compris parmi les frères ?
Frère Roger souhaitait une communauté œcuménique mais ne pouvait imaginer comment elle adviendrait. Des frères luthériens sont venus auprès des réformés, puis d’autres pays, comme l’Allemagne par souci de réconciliation après la guerre.

Frère Roger n’a pas fait de publicité pour attirer des frères ?
Non, ils étaient une quinzaine, vivant ce que Frère Roger appelait une « parabole de communion ». Des rencontres avec des personnes de différentes Eglises ont amené une plus grande ouverture œcuménique, inimaginable dans les années 50. Frère Roger n’avait pas de théorie toute faite. Un de ses dons était cette sensibilité aux signes du temps qui vient. Comme la rencontre avec le pape Jean XXIII, décisive pour l’ouverture œcuménique de Taizé.

Alors, des frères venant de l’Eglise catholique romaine, c’est votre cas, sont entrés dans la communauté ?
Oui, c’était inimaginable auparavant. Déjà quand l’évêque d’Autun a laissé prier les frères dans l’église romane du village, ce fut un grand geste que Rome, au début, a refusé.

« Lutte et contemplation », la formule inventée par Frère Roger, a été une révélation.
Oui. Ces mots aidaient à “tenir le cap” quand toutes les Eglises cherchaient comment être présentes au monde autrement. Nous chrétiens, avons une mission de solidarité, de justice. Mais Frère Roger se rendait compte qu’un engagement en faveur de la justice a besoin de repères dans la foi, et que si nous n’accentuions pas l’aspect de contemplation, nous perdrions. Il faut tenir les deux ensemble.

« Lutte et contemplation »... Frère Roger appelant au service de la justice, c’est de la “politique”.
La communauté et les jeunes venus ici ont senti que pour s’engager dans le monde politique, il faut écouter. L’écoute s’est faite entre Nord et Sud. Au début des années 70, on était porté par une immense espérance : réduire l’écart entre riches et pauvres, changer le monde. J’ai découvert ici qu’il faut écouter les jeunes des autres continents. Naissent alors des initiatives concrètes, pas de grands programmes. L’engagement politique doit retrouver une espérance pour croire au changement. Au Bengladesh, pays pauvre, où vivent nos frères depuis trente ans, on devient humble dans l’engagement mais avec persévérance, ce qui fait défaut aujourd’hui.

Combien la communauté compte-t-elle de frères ?
Une centaine, dont 75 à Taizé. Les autres dans de petites fraternités sur d’autres continents (Bengladesh, Sénégal, Brésil, Corée du Sud), qui partagent la vie des chrétiens du pays. En solidarité avec les gens. Ils partagent la vie des plus pauvres.

Il y a des rencontres “provoquées”, en fin d’année. Quel est leur objectif ?
50 à 100 000 jeunes y viennent. Nous les avons initiées pour qu’il soit clair que notre but n’est pas de créer à Taizé une île où l’on se sentirait bien. Il faut aller avec eux, dans nos villes, où ils sont accueillis par des paroisses. Nous répétons : « Allez dans “votre” Eglise locale. » La foi a besoin d’une référence même géographique.

Pour la communauté, les questions théologiques, nécessaires bien sûr, ne sont-elles pas dépassées ?
Le Christ nous réunit, nous tous les baptisés. L’œcuménisme, ce n’est pas se regarder en face mais aller ensemble vers le Christ. Ce que nous essayons de vivre ici trois fois par jour. Mais il ne faut pas négliger les discussions théologiques. Après le document signé sur la justification par la foi, la discussion continue. Mais avec les jeunes, il est essentiel d’aller vers le Christ dans la prière. Il nous réunit aujourd’hui. Il est vivant. Un jeune ne demande pas pourquoi les Eglises sont divisées, mais : « Quel est le sens de ma vie ? » « Est-ce que je trouve dans l’Evangile et la foi quelque chose qui m’aide ? » Nous devons leur donner la nourriture demandée. Ne pas les charger de fardeaux trop lourds, de questions qu’ils ne peuvent comprendre.
Dans les différentes traditions, il y a des dons d’Evangile. Il n’y a pas assez d’écoute. Je l’ai vécu personnellement ici, venant d’une famille catholique qui ne lisait pas la Bible. J’ai commencé ici. Centrer la foi sur le Christ mort et ressuscité, voilà le défi que la Réforme a jeté. Notre religiosité aura toujours besoin d’être convertie. Cette attention de la Réforme à centrer tout sur le Christ est forte. C’est un don qu’elle fait aux autres. Elle a également mis en valeur la musique, comme personne avant elle dans l’histoire de l’Eglise. Chanter l’Evangile : un souci de Luther. Avec les prières, les chants, on vit l’Evangile. Cette intuition est née au XVIe siècle. J’ai aussi découvert que l’amour de Dieu est premier. La théologie catholique a insisté sur la réponse de l’homme, nécessaire, mais avec les jeunes, il faut écouter le message du don de Dieu. Ne pas trop vite prescrire la réponse, donner un espace de liberté, avec la confiance en l’Esprit qui va avec ce message. Une vérité théologique que l’Eglise catholique a reçue de la Réforme. Alors Vatican II a dit : « Je peux recevoir des autres. »

Taizé n’appartient donc à personne ?
La liberté chrétienne est de n’être lié par personne mais d’être le serviteur de tous. Cela joue en ce qui concerne notre appartenance à l’Eglise. Liberté ne signifie pas indépendance mais communion, sinon ce ne serait pas l’Evangile. Le groupe des Dombes s’appuie sur ce qui s’est passé entre les luthériens et l’Eglise romaine, dans ce document sur la justification, sur cette manière nouvelle de travailler : le consensus différencié. Si notre premier travail ici n’est pas de faire des avancées théologiques, nous nous appuyons sur ce travail qui se fait.

Avez-vous le sentiment d’être appelé à apporter quelque chose de différent à la communauté, que cette étape est une étape où il va se passer autre chose ?
J’ai d’abord le sentiment d’une continuité. Frère Roger a marqué notre vie par sa manière de vivre. Par exemple, ne pas s’appuyer à l’intérieur de la communauté sur des structures, mais sur des relations personnelles, sur l’amour fraternel. Nous devons continuer sur ce chemin. Il y aura d’autres temps, d’autres questions, des choses qui vont se modifier. On ne peut pas programmer cela. Il suffit de chercher chaque jour cette communion avec le Christ, on trouvera comment être fidèles, tout en renouvelant ce qui doit l’être.


QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE

Pour vous, qui est saint Antoine de Padoue ?
C’est saint Antoine de Lisbonne. L’an passé, notre rencontre était à Lisbonne et j’ai découvert qu’il est vénéré là-bas. Cette vénération populaire est un trésor.

Et Padoue ?
Je n’y suis pas allé.

Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Souvent par surprise : ce peut être dans l’écoute d’une parole biblique qui parle au cœur, ou dans le silence, ou en recevant le sacrement de communion. C’est toujours une surprise.

Où puisez-vous votre force ?
Dans la prière, mais aussi dans l’amour fraternel, entre nous les frères. Les deux vont ensemble. Nous ne pouvons pas découvrir que Dieu est amour si nous ne découvrons pas que nous sommes aimés par d’autres personnes.

Comment priez-vous ?
Je prie le Fils et le Père, trop peu l’Esprit Saint. La communion des Saints est une aide. Elle humanise notre foi.

Updated on 06 Octobre 2016