Généalogie, passion des familles

30 Janvier 2004 | par

Retrouver la trace de ses ancêtres et son histoire familiale est devenu un véritable phénomène de société. Quête d'identité, recherches de détective, passion de l'histoire... Les motivations sont nombreuses.

Tout a commencé après le décès de ma grand-mère paternelle en regardant une vieille photo de famille, se rappelle Eric, 48 ans. J'ai demandé à ma mère qui étaient tous ces gens. Pour la plupart, elle n'a pas su me répondre. Alors, j'ai eu envie de savoir avant qu'il ne soit trop tard et j'ai traversé la France pour rendre visite à une grand-tante, la seule qui restait de cette génération. La suite, on la devine. Eric a eu envie d'en savoir plus et de remonter la chaîne de ses ancêtres. Au début, c'est souvent une simple curiosité pour ses origines familiales qui fait place très vite à une envie irrépressible d'en savoir davantage. Sur les premières générations, on trouve relativement facilement mais en remontant le temps, c'est parfois plus difficile. Alors on cherche et on mobilise son énergie jusqu'à ce que les énigmes soient résolues.
Eric a réussi à remonter jusqu'à 1830 du côté paternel et 1790 du côté maternel. Mais il lui a fallu plusieurs années. Ce n'est donc pas un hasard si ces passionnés sont en majorité des retraités. En effet, on s'aperçoit vite que ce hobby est un dévoreur de temps. Rien d'étonnant lorsqu'on réalise qu'à la cinquième génération, c'est-à-dire seulement celle de nos arrières arrières grands-parents, nous comptons déjà trente ancêtres directs et remontons vers 1850. Ce nombre atteint mille vingt-deux à la dixième génération et dépasse le million à la vingtième! Parfois, des déplacements sont nécessaires pour consulter des archives dans les églises et les mairies des villages. Pourtant le monde des généalogistes ne cesse de s'agrandir et de se rajeunir. Leur nombre s'est multiplié par sept en vingt ans et aujourd'hui 45% de ceux qui chassent l'ancêtre sont des actifs. Il faut dire que bien des choses ont évolué notamment avec l'accroissement du temps libre et, parallèlement, des conditions de consultation plus larges. Ainsi les centres d'archives sont de plus en plus souvent ouverts le soir, le samedi et même parfois le dimanche. Et puis les amateurs de généalogie familiale se sont organisés. Il existe de très nombreuses associations qui se serrent les coudes pour collecter ensemble des données et encourager l'entraide entre chercheurs. Enfin sur Internet, on trouve quelque 200 sites francophones où l'on vient consulter des index, s'informer ou se former avec des ouvrages en ligne et s'entraider sur les forums.

Renforcer les liens familiaux
Avec ma famille mosaïque, je crois que sans Internet, j'aurais vraiment été obligée d'attendre ma retraite ! reconnaît Stéphanie, 28 ans, un grand-père espagnol, l'autre berrichon, une grand-mère normande et l'autre belge. Tout ce petit monde s'est rencontré au début du siècle à Paris. Lorsqu'elle s'est lancée, Stéphanie a rencontré quelques difficultés à gérer ses recherches dans quatre régions très distinctes. Mais elle s'est prise au jeu et mène l'enquête avec ferveur. Et elle s'est découvert des cousins, pas si lointain, une branche perdue de vue avec la distance géographique qui fonctionnait encore comme une barrière il y a seulement cinquante ans. Elle les a contactés. Presque tous ont été ravis et ont apporté leur aide. Tous les généalogistes commencent en effet par faire appel à la mémoire et aux connaissances des cousins proches et éloignés. Ainsi débute la collection de tous les documents possibles, lettres, livret de famille, photos... Lorsque j'ai commencé, toute ma famille a exploré ses tiroirs, explique Patrick. Mes oncles et mes tantes m'ont passé des documents pour que je les reproduise, d'autres me les ont même donnés. A charge pour moi d'établir l'arbre généalogique.
Un jour Marie encore adolescente a demandé à son grand père qui étaient leurs ancêtres. Comme elle aimait les films historiques, elle imaginait volontiers descendre de quelques preux chevaliers. Pour moi, il s'est lancé, raconte-t-elle avec émotion. Il s'est pris au jeu, a adhéré à une association. De temps en temps, il me faisait voir le résultat de ses recherches. A vrai dire, cela me paraissait assez lointain. Lorsqu'il est décédé, ma grand-mère m'a confié sa sacoche avec tout... Un jour, je me suis enfin décidé à plonger le nez dedans et je n'en suis jamais sortie . Marie est devenu accro et s'est attaquée à l'autre branche. Malgré un travail très prenant, elle arrive à trouver quelques moments pour remonter le temps.
Du suspens, de l'aventure, des surprises... tous confirment : une fois lancé, on ne peut plus s'arrêter. Et une bonne partie de la famille finit elle aussi par se passionner. On se parle, on se téléphone, on se raconte, on se retrouve pour reconstruire ensemble l'histoire familiale. Le fait d'avoir des enfants m'a beaucoup motivé, explique Eric. Je voulais être capable de leur répondre d'où ils viennent, le jour où ils me le demanderont . Si la généalogie fascine tellement, c'est sans doute parce qu'elle recrée la transmission, ainsi la fameuse mémoire orale des anciens revient d'une certaine façon à l'ordre du jour. On n'en apprend pas tellement sur nos proches mais, parfois, une anecdote savoureuse aurait été perdue sans ces entrevues et ces questions aux aînés. Parfois aussi, on découvre l'origine d'une brouille familiale entretenue sur plusieurs générations. Aujourd'hui, cela paraît parfois dérisoire alors la dernière génération reprend un dialogue interrompu pendant plusieurs décennies.

La rencontre avec l'histoire
La généalogie met la famille au premier plan mais elle est aussi un plaisir de l'esprit et un jeu intellectuel. Cette remontée dans le temps permet non seulement de retrouver les noms de ses ancêtres mais de les faire revivre dans le contexte historique, social et culturel de leur époque. Ainsi cette quête personnelle s'élargit sur tout autre chose et on y apprend souvent plus que dans nos livres de classe. Les métiers sont un bon exemple. La plupart d'entre nous descend de petites gens, des paysans, des savetiers, des échevins, des tabellions... Alors, on s'interroge sur certains métiers disparus. Derrière un mot comme manouvrier, on découvre que c'était celui qui, sous l'Ancien Régime louait sa force de travail. De même, on apprend que le marguillier, s'occupaient à la même époque de tout ce qui avait trait à la fabrique de la paroisse. Ce que je recherche, confirme Paul, c'est plus à retracer leur histoire qu'à retrouver ou prouver une quelconque lignée . Très vite, l'esprit de la recherche s'emballe. Il y a un côté détective qui cherche à reconstituer le puzzle, le bonheur de découvrir d'où l'on est issu et de reconstituer l'histoire du peuple, pas celle qu'on raconte dans les livres. Certains d'ailleurs s'éloignent parfois du but initial et se mettent à dépouiller alors systématiquement les contrats de mariage, inventaires après décès, partages et autres actes et finissent ainsi par avoir une notion assez précise de la vie quotidienne et du niveau de vie de l'époque étudiée.
C'est aussi l'occasion de réviser l'histoire comme Yvonne dont les parents étaient de la région de Ypres en Belgique. Elle a découvert qu'elle avait eu un très lointain ancêtre espagnol au temps de Charles Quint. Rien d'étonnant, explique Yvonne qui s'est penchée depuis sur les Flandres du XVIe siècle, puisque cet empereur né à Gand était aussi roi d'Espagne. J'ai compris d'où venaient les cheveux frisés et bruns de mon frère alors que dans la famille nous sommes tous blonds avec des cheveux lisses. L'interprétation ne ferait peut-être pas l'unanimité chez les hommes de l'art mais peut-être que cette explication génétique est exacte.

La quête de racines
Je pense que pour beaucoup, il s'agit de retrouver des racines et des repères à notre époque où le monde évolue à toute vitesse , analyse Stéphanie. Dans ce monde en plein bouleversement, à l'heure où les familles se font et se défont pour un oui ou un non, où les gens s'expatrient pour des raisons économiques et où les métissages sont de plus en plus nombreux, la quête des ancêtres donne une assise. L'homme est comme un arbre, disait le Père Caro, prêtre assomptionniste, pour tenir debout, il faut qu'il ait des racines. Ainsi, si l'on sait d'où l'on vient, c'est plus facile de savoir où l'on va. On peut se situer dans une trajectoire sinon on n'est rien d'autre qu'un électron libre, sans référence. La recherche de mes ancêtres m'a permis d'aller vers les vivants, précise Eric. Que de personnes rencontrées, de cousinages et d'amitiés grâce à ces recherches. D'ailleurs, une nouvelle sorte de fête se répand, les cousinades. Le principe? Réunir toutes les ramifications de la descendance familiale, c'est à dire tous les cousins et les cousines, même très éloignés. La rencontre est joyeuse. On se réjouit d'avoir des cousins du bout du monde, on s'émeut de se découvrir la même fossette, le même menton... Et on ressent une énergie nouvelle et une joie profonde à se sentir une appartenance.

 


 

Updated on 06 Octobre 2016