Jean-Marie Pelt, la foi d'un scientifique

28 Juin 2004 | par

Je suis botaniste presque par mes gènes. Mon grand-père, jardinier professionnel, qui me racontait la nature, m'a insufflé la foi vers l'âge de 3 ans. Je savais par cœur le Notre Père et le Je vous salue Marie. J'ai toujours été un enfant de la nature et un enfant du Seigneur.

Le Messager de saint Antoine. Dans cette série d'entretien avec Rachel et Alphonse Goettmann, un mot frappe, cohérence , entre le Créateur et la création, des choses qui s'articulent. Même au moment de la disparition de vos parents, épreuve terrible, vous n'avez jamais douté de Dieu.
Jean-Marie Pelt. J'ai eu, très tôt, une impression d'harmonie. La nature, le Créateur, la créature, ne font qu'un. Malade, j'ai fait l'expérience d'une solitude profonde. J'écrivais. Ce qui devait devenir un livre intitulé Dialogues sur la tendresse de Dieu et que j'ai perdu. Peut-être était-ce un dialogue singulier entre le Seigneur et moi qui n'était pas destiné à d'autres lecteurs. Je murmurais ma peine au Seigneur dans les rues de Paris et le soir je m'endormais dans ses bras.

- Vous accueillez la vie comme elle est.
- J'ai mis en exergue de mon livre une citation de Lao Tseu : Quiconque veut s'emparer du monde et s'en servir court à l'échec. Le monde est un vase sacré qui ne supporte pas qu'on s'en empare et qu'on s'en serve. Qui s'en sert le détruit, qui s'en empare le perd. La vie est, dans son émergence, comme une source féconde qui nous féconde.

- Vous découvrez le monde scientifique et, grâce à un de vos professeurs, l'évolution et Teilhard de Chardin, à qui vous reprochez un certain optimisme.
- Ce professeur, élève de Teilhard à l'Institut Catholique, avait été marqué par son esprit cosmique et évolutionniste. J'ai découvert la botanique et la biologie avec des yeux que n'avaient pas la plupart de mes condisciples et, très tôt, l'évolution, un concept important pour moi. Théologiens et philosophes se sont cassé les dents sur le sens de la souffrance. Je pense aujourd'hui, en regardant autour de nous, que Teilhard était optimiste. On ne passera pas à côté d'une apocalypse. Entre nous et la vision éternelle de Dieu, il y aura des crises encore. On ne fait pas l'économie de la souffrance.

- Dans le froid calcul de la productivité, le spirituel est nécessaire.
- La compétition économique crée la concurrence dans ce monde matérialiste, américain, sans amour. Je veux vivre dans un monde humaniste, altruiste, de compassion, de solidarité. Dans le métro il n'y a que des anonymes mais par mon regard j'en fais des frères. Frères avec un père.

- Après Teilhard vous rencontrez Graf Dürkheim.
- J'ai fonctionné dans la première partie de ma vie selon le permis et le défendu. Vous vous mariez, ou vous devenez prêtre, ça marche, c'est bien. Mais quand ça ne marche pas il n'y a plus de réponses à vos questions, vous débattez seul. Dürkheim enseigne que la vie n'est pas linéaire, que le moindre mal vaut mieux que le plus grand bien quand on ne peut y atteindre, à prendre la vie comme elle vient dans la mesure o_x009d_ le sens moral est développé. Il avait une sensibilité chrétienne et a beaucoup vécu en Extrême-Orient. Il n'avait pas de codes mais une philosophie : On vit comme on peut, pas comme on veut. Il y a dans nos souliers quelques petits cailloux. Graf Dürkheim m'a enseigné l'art de vivre avec eux. L'histoire de l'arbre de la connaissance nous dit que le Bien et le Mal, Dieu seul les connaît.

- Votre contact avec le divin depuis l'enfance, s'est centré sur le Christ.
- Pour plagier Stan Rougier, j'avais un Dieu à deux visages, le Deus Sabbaoth, Dieu des armées et le petit Jésus, Dieu désarmé. Une épreuve m'a rapproché du Christ. Notre Dieu a visage humain. C'est la spécificité du Christianisme. Le Christ, visage humain de Dieu, m'a accompagné. Un poète brésilien raconte qu'à la fin de sa vie quelqu'un arrive au ciel et revoit son parcours terrestre. Dans les épreuves, il a toujours été accompagné par Dieu dont il lit la trace des pas à côté des siens. Tout d'un coup les pas de Dieu disparaissent. Il dit : Ç C'était la pire époque de ma vie et tu n'étais pas là. Dieu lui dit : Si, mais là je t'ai pris dans mes bras, parce que je savais que tu ne pouvais plus marcher tout seul et les pas que tu vois, c'étaient les miens.

- Le prophète Isaïe dit Tu es un Dieu caché.
- J'aime cette image parce qu'à voir Ç les nations en tumulte ÈÊcomme dit la Bible, le Christ semble absent. Le thème de l'absence de Dieu, moderne, fut vécu par les mystiques, par exemple La nuit de Saint Jean de la Croix. Je suis frappé par ce monde matérialiste o_x009d_ les germes spirituels sont minces.

- Et la science ?
- Elle n'est plus autonome comme pendant mes années universitaires. Le scientifique dépend des multinationales qui payent ses études, auxquelles il est inféodé. En tant qu'expert il est juge et partie.

- On a parfois la tentation de se retirer. Vous avez eu la tentation du monastère.
- Oui, j'ai passé beaucoup de temps dans les monastères, je ne ratais pas un office, je vivais au rythme des moines. J'aime cette vie rythmée qui donne à la journée une ossature. Les moines ont un grand rôle à jouer. Ils sont en train d'appliquer le développement durable : ne pas épuiser les ressources de la planète pour en laisser aux générations futures. Les monastères sont aussi des entités économiques mais leur travail est en-dessous de leur vocation spirituelle. C'est l'économie au service de l'homme, pas l' homme au service de l'économie.

- Le Christ est le libérateur, le transgresseur, le pauvre.
- Il ne vit pas selon les codes de ses pairs en religion, moins encore des Romains. Il place l'esprit avant la lettre, l'amour avant la loi. Les pouvoirs y compris le religieux, ne supportent pas des trublions de ce genre et lorsqu'il guérit un jour de sabbat ou parle à la prostituée, il dérange ce qui est devenu immuable, donc presque sans vie.  Le Christ a épousé la vie sans en épouser l'un des aspects les plus fâcheux, le pouvoir.


- A Metz vous avez créé l'Institut européen de l'écologie.
- Dans un cloître franciscain du XIVe s., sous l'égide de saint François, patron des écologistes, nous travaillons sur la toxicologie de l'environnement, les changements climatiques, les plantes médicinales des sociétés traditionnelles. L'écologie est la science de l'équilibre entre les êtres sur terre, dont l'homme fait partie. Si nous le détruisons nous ne savons plus le reconstruire. Nous sommes des veilleurs. Le réchauffement climatique peut entraîner des perturbations météorologiques et des catastrophes climatologiques si importantes qu'on ne pourrait plus faire marche arrière. Dans le souci des générations futures nous travaillons à ce que cela n'arrive pas.

 

* Dien en son jardin, Jean-Marie Pelt. Desclée de Brouwer,  2004

Updated on 06 Octobre 2016