À la crèche, avec François et Claire

25 Novembre 2013 | par

François d’Assise apparaît souvent parmi les santons de la crèche. Cette tradition franciscaine renvoie à l’événement de Greccio, il y a 790 ans cette année. À défaut de vivre la nuit de Noël dans ce « nouveau Bethléem », admirons les œuvres d’art qui s’inspirent de cette première crèche vivante.



 

Le modeste événement de Greccio, au cours de la nuit de Noël 1223, a profondément marqué la culture occidentale. La tradition des crèches – toujours vivante, malgré la sécularisation – s’enracine en effet dans cette mise en scène de la Nativité du Christ que François a voulu s’offrir à lui-même, ainsi qu’à ses frères et aux populations vivant aux alentours de l’ermitage. « Je veux faire mémoire de cet enfant qui est né à Bethléem, a expliqué le Poverello, et observer en détail, autant que possible de mes yeux corporels, les désagréments de ses besoins d’enfant, comment il était couché dans une mangeoire, et comment, à côté d’un bœuf et d’un âne, il a été posé sur le foin » (Celano, Première vie, 84). Grâce à ce stratagème, François cherche à toucher du doigt l’humilité de l’Incarnation. Et selon le témoignage de Jean de Greccio, rapporté par Bonaventure, on vit alors « un petit enfant fort beau qui dormait dans cette mangeoire, que le bienheureux père François, entourant de ses deux bras, semblait réveiller du sommeil » (Legenda major, 10, 7).

La nuit de Greccio a souvent été représentée par les artistes. Parmi les œuvres les plus connues, mentionnons celle de Giotto pour la basilique supérieure d’Assise. Le peintre florentin a placé la scène de la crèche au sein du chœur liturgique d’une église. On perçoit nettement l’arrière du jubé qui sépare ce chœur de l’espace destiné aux fidèles, et de ce point de vue insolite, la croix qui surmonte ce jubé. Cette manière de représenter le côté non-sacré de l’objet – les baguettes de bois qui soutiennent la croix, mais aussi le procédé d’attache de cette croix – met particulièrement en évidence la révolution artistique accomplie par la peinture occidentale. Giotto ne peint pas des icônes, mais la « réalité ». Après tout, la crèche n’est-t-elle pas une humble réalité ? Notons également que l’artiste, à la suite de Bonaventure, a représenté François en diacre, revêtu d’une dalmatique.

 

Saint François et sainte claire à la crèche

De l’épisode de Greccio, on passe insensiblement aux scènes évangéliques de Nativité et d’Adoration des bergers marquées par l’emprunte franciscaine. Certes, au couvent San Marco de Florence, Fra Angelico a bien représenté Dominique à genoux devant la crèche, mais c’est fort peu courant dans l’iconographie dominicaine. La présence de François à la crèche paraît beaucoup plus fréquente. Ainsi, en 1635, lorsque Laurent de La Hyre conçoit le grand retable du couvent des capucins du Marais à Paris, il choisit comme thème une adoration des bergers* et il y place, bien visible – à gauche, derrière le paysan vêtu de rouge –, François d’Assise, habillé… en capucin, comme il se doit en un pareil lieu. Ce tableau se trouve aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Rouen, tout comme un autre tableau représentant la même scène, mais cette fois en présence de François et de Claire. Il s’agit d’une œuvre du peintre italien Giovanni Francesco Romanelli (Viterbe, 1610-1662) réalisée pour le maître-autel de l’église des clarisses anglaises de Rouen. En raison de la persécution latente qui sévissait alors en Angleterre, les catholiques anglais avaient obtenu le droit d’établir des collèges, des séminaires, des couvents et des monastères, dans les villes du Nord-Ouest de la France et des Flandres. Ainsi, parmi ces bases arrière du catholicisme anglais, on comptait plusieurs établissements de clarisses, Aire-sur-la-Lys, Gravelines et Rouen. Le tableau de Romanelli, réalisé vers 1655, à l’occasion d’un séjour en France du peintre, traduit le meilleur de la grande peinture italienne de l’époque. Observez le parfait équilibre de la composition (deux diagonales, l’une partant de François, l’autre, de Claire, se croisent sur l’Enfant), mais aussi le savant contraste des couleurs entre la gamme de bruns des bures franciscaines, l’éclatante blancheur de l’Enfant, et le rouge de la tunique de la Vierge. Dans le même temps, mais à Nyons (la capitale française des olives, dans la Drôme actuelle), Guy François peint pour les récollets une Adoration des bergers, en présence de François et de Bonaventure. Le tableau récemment restauré est visible à l’église paroissiale.

 

Le chef-d’œuvre de Josefa d’Óbidos

On pourrait certainement trouver d’autres tableaux représentant l’Adoration des bergers (plus rarement celle des mages, sans doute moins adaptée à la pauvreté franciscaine) en compagnie de saints franciscains. Mais l’Adoration de l’Enfant par François et Claire que l’on doit à Josefa d’Óbidos (1630-1684) constitue à ma connaissance un unicum de l’iconographie franciscaine. On est ici face à une Nativité classique – mais audacieusement transformée puisque Joseph a été remplacé par François, et Marie, par Claire. Ce tableau, conservé aujourd’hui dans une collection particulière, apparaît aussi étonnant par son thème que par son auteur. Josefa d’Óbidos est en effet l’une des rares femmes peintres du XVIIe siècle à avoir mené une carrière professionnelle à dimension internationale. Née à Séville en 1630, Josefa appartient à une famille de peintres et de collectionneurs. Son père, Baltazar Gomes Figueira peint d’excellents retables et natures mortes. Un de ses oncles maternels est un disciple de Francisco de Zurbarán, son parrain de baptême n’est autre que Francisco Herrera l’Ancien, son grand-père possède une grande collection de tableaux et sa sœur se marie avec un peintre portugais. En 1634, sa famille retourne au Portugal et emménage à Óbidos, une petite ville de la province d’Estrémadure. En 1645, Josefa commence un noviciat à Coïmbra, mais ne poursuit pas dans la vie religieuse. C’est de cette époque (1647) que date l’Adoration de l’Enfant par François et Claire. Désormais revenue à Óbidos, Josefa commence par travailler en collaboration avec son père, puis elle poursuit sa carrière de manière autonome. Elle connaît le succès, et son œuvre, bien qu’en partie détruite par le tremblement de terre de 1755, se trouve aujourd’hui dispersée dans les églises et les musées, aussi bien au Portugal qu’à l’étranger.

Reste ce chef-d’œuvre franciscain. Les codes gestuels propres à Joseph et à Marie ont été conservés, mais ce sont désormais François et Claire qui veillent sur Jésus. Il fallait oser ! Cette image si singulière peut nous aider à prier en ce temps de Noël et à prendre soin de l’Enfant-Dieu dans la grande tradition franciscaine.  n

 

*Pour découvrir dans ses moindres détails l’Adoration des bergers de Laurent de La Hyre, au musée des Beaux-Arts de Rouen : http://mbarouen.fr/fr/oeuvres/l-adoration-des-bergers-1

Updated on 06 Octobre 2016