A La Défense, une église du XXIe siècle

01 Janvier 1900 | par

Le mois dernier, nous évoquions les bouleversements survenus dans Paris et dans sa proche banlieue au cours du XXe siècle et nous rendions hommage aux bâtisseurs d’églises. Depuis 1950, un quartier, à l’ouest de la capitale, a vu se réaliser la plus vaste opération jamais entreprise en région parisienne: le quartier de La Défense, qui doit son nom au monument commémoratif de la Défense de Paris en 1871, œuvre du sculpteur Barras. On ne présente plus La Défense tellement elle est connue de tous et, pourtant, en constante évolution depuis l’inauguration du CNIT – Centre National des Industries et Techniques – en septembre 1958 et, à la même date, la création de l’EPAD – Etablissement public chargé de l’Aménagement de La Défense – et même depuis l’arrivée, en 1989, de la Grande Arche.

Mgr Favreau: «Dieu habite La Défense»

Cet immense territoire, où se côtoient buildings de bureaux et immeubles d’habitations, les buildings l’emportant sur les immeubles, se répartit sur trois villes des Hauts-de-Seine: Puteaux, Courbevoie et Nanterre. C’est donc tout naturellement le diocèse de Nanterre qui est ici terre d’accueil, d’écoute, de partage. Et son évêque, Mgr François Favreau, réalise l’exigence de cette présence d’Eglise.

«La Défense, nous explique-t-il, est un espace étonnant dans lequel quelque chose de notre monde prend forme, une forme qui oppresse, élève, fascine... Un espace où les hommes, par centaines de milliers, se croisent et se côtoient, viennent pour acheter, commercer, tenir congrès, se promener, poser des signes de leur créativité, de leur art, vivent des relations de collaborations, mais aussi parfois d’exploitations, des relations constructives, mais aussi parfois des relations démolissantes.»

Et Dieu dans cet espace? Mgr Favreau s’interroge et répond: «Dieu habite La Défense par l’Esprit Saint qui nous devance. Il habite La Défense par les croyants qui y travaillent et par les baptisés qui y vivent.» D’où cette nouvelle interrogation: «N’y aurait-il pas pour Lui une adresse, un lieu de rendez-vous, un espace en vue d’une rencontre?» Et cette réponse: «Il y a déjà le relais Jean XXIII où, depuis près de vingt-cinq ans, l’équipe pastorale travaille en collaboration avec les forces vives des chrétiens de La Défense et essaie de frayer un chemin à l’Evangile. Nous comptons le garder pour qu’il poursuive la mission. Mais, pour tout le monde qui passe, il y a besoin d’un signe, d’un signal, d’une visibilité! La vie à La Défense changeant, se développant, se multipliant, nous avons décidé d’une construction qui donne directement sur le parvis. Le choix de l’emplacement a été long car les possibilités étaient peu nombreuses, la surface de la dalle étant pratiquement occupée.»

L’évêque de Nanterre précise: «Construire à La Défense ne relève en rien d’une volonté d’impérialisme spirituel et, cependant, c’est bien un défi que construire en ce lieu.» Et il ajoute: «Nous souhaitons un lieu qui soit un espace de recueillement et d’accueil, un espace d’écoute et de rencontre, un espace de formation et de célébration. Témoignage serein rendu à Dieu par ceux et celles qui osent vivre de Lui et qui attestent qu’il est tout à la fois l’avenir et le présent de l’homme.»

Un milieu de structures gigantesques

Une équipe pastorale est en charge du projet. Elle est animée par le Père Jacques Turck, présent également au Relais Jean XXIII. Il nous accueille au secrétariat provisoire de la Maison d’Eglise de La Défense, ouvert à Neuilly grâce à l’hospitalité donnée par la paroisse Saint-Jean-Baptiste (1).

«Il m’est arrivé, nous confie d’emblée le P. Turck, de rencontrer des chrétiens déçus de constater que le premier coup de pioche, la première coulée de béton de la future Maison d’Eglise n’avaient pas encore eu lieu. Je les comprends. Mais, au regard de tant d’énormes chantiers, de leurs moyens financiers et des structures gigantesques qui se trouvent autour de nous, les petits pas de fourmis qui sont les nôtres nous donnent l’impression de chausser des bottes de géant! Soyez-en sûr, aucun d’entre nous ne sommeille!»

Les travaux vont commencer en juillet de cette année 1997. Et tout laisse supposer qu’ils seront menés rapidement à leur terme. Ici, à La Défense, tout va vite une fois réglés les détails dont chacun a, nous le savons, son importance.

«Nous sommes nombreux, avoue le Père Turck, à aimer le quartier de La Défense, avec ses tours aux multiples couleurs et son architecture qui reflète le ciel et le visage des hommes, avec sa foule bigarrée venue de tous les lieux où se lève le soleil et qui déambule de-ci de-là sur un parvis balayé par le vent... Ruche laborieuse où chacun rejoint le centre d’intérêt qui est le sien pour construire, inventer, créer, exporter, acheter, traduire, financer... Les verbes de notre dictionnaire ne suffiraient pas pour décrire le mystère de cette humanité en marche.»

En quelques images est parfaitement dépeinte l’ambiance de La Défense, souvent survoltée, parfois désinvolte... Et le chrétien, comment vit-il au cœur d’un tel monde?

Le Père Jacques Turck nous répond: «Quelques verbes essentiels sont à ajouter à tout chrétien qui veut y vivre sa foi: prier, réconcilier, louer, célébrer, rendre grâce, demander pardon, réfléchir à l’avenir de l’homme, partager avec les plus pauvres, écouter – eh oui! – celui qui vient de perdre un emploi, accueillir celles et ceux qui viennent d’ailleurs et qui sont en quête d’une vraie fraternité...» Et de nous interroger, à la suite du Père Turck: «Où cela sera-t-il possible dans ce labyrinthe de couloirs, d’escaliers roulants, de boutiques, de parkings, de bureaux, de restaurants?» La réponse: «Il faut aux chrétiens un point de repère pour se retrouver et inviter leurs amis. Il faut aux chrétiens une église à La Défense.»

Cette église va naître. «Elle ne sera ni une cathédrale, ni un monastère, mais une Maison où il fera bon célébrer l’Eucharistie et entendre la Parole de Dieu qui réveille toute Espérance. Une Maison d’Eglise où il sera possible de se former, de lire, d’écouter une conférence, de rechercher la meilleure manière possible d’être témoin de l’Evangile dans le monde de l’économie, du travail, du service, de parler aux hommes de toutes langues.»

Forte de l’expérience vécue depuis plus de vingt ans au Relais Jean XXIII, vivra demain une communauté originale, confrontée aux réalités d’aujourd’hui. «Nous voulons, avec ceux qui travaillent à La Défense, avec ceux aussi qui la visitent en passant, poser les gestes simples de la vie chrétienne et sous la protection de la Vierge Marie vivre une nouvelle Pentecôte.»

Notre-Dame de Pentecôte?... Dans quelques mois, les quelque 200 000 personnes qui, chaque jour, passent sur le parvis de La Défense, dirigeront leur regard vers la Maison d’Eglise et, peut-être, y seront attirés.

Pourquoi «Maison d’Eglise» ?

«Il ne s’agit pas seulement, nous explique le P. Jacques Turck, de construire un lieu de culte, un lieu de prière, aussi visible soit-il. L’édifice doit pouvoir abriter une multitude d’initiatives et de propositions permettant de découvrir les mille visages d’une Eglise soucieuse de l’homme, de sa réussite, de ses souffrances. Le concept de Maison d’Eglise qui émergea au cours des études que nous avons menées depuis des années et qui a finalement été retenu est un concept très ancien. Il intègre le fait qu’un lieu de rencontre des chrétiens se doit d’être un ensemble de lieux divers. Les salles y sont ordonnées les unes par rapport aux autres selon une importance due à leur fonction, toutes ayant pour vocation d’accueillir et d’abriter des hommes et des femmes en recherche et de les conduire à la foi, à la proclamation de cette foi dans l’Assemblée. La Maison d’Eglise offrait cette possibilité de présenter un visage de notre Eglise qui ne soit pas uniquement un espace de célébration, mais une invitation à entrer peu à peu jusqu’au cœur de la foi qui nous habite.»

Depuis juin 1993, où elle vit le jour, l’équipe pastorale, formée d’une dizaine de personnes et animée par le P. Jacques Turck, s’est mise au travail en retenant l’idée missionnaire qui ne se traduisait pas seulement par la construction d’un lieu de culte ou par un signe visible de présence chrétienne.

«Il s’agit, dit le P. Turck, d’annoncer l’Evangile; de l’annoncer en priorité à ceux qui ne sont touchés nulle part ailleurs. L’annoncer en héritant du travail du Relais Jean XXIII et en l’élargissant. Mais l’annoncer dans le contexte de modernité qui marque notre époque et qui appelle à utiliser, sans crainte, tous les moyens modernes de communication qui marquent les hommes et les femmes en cette fin de siècle. Utiliser tout ce qui peut l’être et permettre à l’Eglise de passer le siècle, comme j’aime à le dire, sans renier ce qu’elle est. L’entrée dans le XXIe siècle ne sera pas une simple prolongation de méthodes mais un positionnement nouveau d’une Eglise qui retrouve la parole sans la nostalgie d’un pouvoir perdu; une Eglise dans un site où les hommes construisent le monde, non sans souffrances, et où son regard aussi bienveillant que critique ne cessera de soutenir, de questionner, de proposer au même titre que beaucoup d’autres.»

Visite... anticipée

Comment se présentera à nous, s’offrira aux habitants, aux travailleurs, aux visiteurs de La Défense, la Maison d’Eglise Notre-Dame de Pentecôte? Regardons la maquette qui nous est présentée. Et puis, aussi, lisons la lettre écrite par Martine et datée de janvier... 1998! Anticipons et c’est très bien ainsi.

«Le bâtiment, vu de l’extérieur sur la dalle à côté du CNIT, a fière allure et tranche bien sur les tours avoisinantes, c’est en quelques sorte un cube sur pilotis au-dessus de la gare routière. Sur le mur le plus haut, se dresse une immense croix. La partie basse est transparente comme une vitrine qui permet de voir à l’intérieur une magnifique Bible ancienne, un message du jour en grosses lettres... et la liste des généreux donateurs.

«Dans le hall d’accueil, tout est très lumineux, une douce musique installe une ambiance de calme. Une partie est réservée à l’exposition d’œuvres d’art: cette semaine, une magnifique statue de la Vierge du XIIIe siècle.

«Des panneaux verticaux informent les visiteurs des différentes activités du centre, des thèmes d’expositions qui ont lieu au sous-sol (...) Des accueillants sont présents dans le hall: ils informent, dirigent, proposent une aide.

«J’ai emprunté l’escalier qui monte vers l’église: les horaires des messes y sont affichés: 8 h, 12 h, 18 h 30 tous les jours et le dimanche à 17 h, en anglais pour les étrangers de passage.

«L’église est vaste et haute. L’une des entrées permet d’accéder à la tribune destinée à la chorale. Le mur du fond est en verre, ce qui permet de laisser apparaître le mur végétal de bambous géants. Le tabernacle est encastré en son milieu. Le baptistère est situé dans l’allée, non loin du lutrin sur lequel un lectionnaire est toujours ouvert aux textes du jour.

«Descendons... Nous sommes dans la partie sous la dalle. Un large couloir orné de colonnes accueille des expositions. A ce niveau, on trouve une salle de documentation avec des rayonnages bien garnis, un mur de projection pour un ordinateur multimédia, des tables pour consulter les ouvrages et travailler. Une salle de conférence, éclairée par des miroirs renvoyant la lumière du ciel peut être, si nécessaire, divisée en trois par des cloisons mobiles. Une troisième salle est à la disposition de groupes désirant se réunir.»

Et Martine termine ainsi sa lettre de 1998: «J’ai terminé ma visite par un petit café dans la salle de restauration d’où je t’écris. C’est un endroit paisible, propice à la détente, à la conversation... J’espère que cette balade t’aidera à visualiser la Maison d’Eglise Notre-Dame de Pentecôte.»

Avouez que nous ne pouvions avoir un meilleur guide pour nous présenter la Maison d’Eglise à bâtir et qui, à quelques détails près – nous le verrons dans quelques mois – ressemblera à celle décrite par Martine.

Un projet ambitieux

La Charte qui la régit précise: «La Maison d’Eglise, Notre-Dame de Pentecôte, située dans le diocèse de Nanterre, est catholique. Elle se veut universelle et missionnaire. Elle participe aux initiatives qui favorisent l’annonce de l’Evangile, la pratique sacramentelle et les œuvres de charité (...) Le cœur de la Maison d’Eglise, Notre-Dame de Pentecôte, est l’église elle-même. L’Eucharistie est au centre de cette maison. La formation spirituelle, théologique et morale est une de ses dimensions indispensables. Elle permet aux chrétiens d’approfondir leur Foi et aux non-chrétiens de s’y initier.» La mission de l’Eglise à La Défense se traduit, note la Charte, «par une attention particulière au monde de l’Entreprise, des Services et des Commerces.»

Les futures activités de la Maison d’Eglise se rejoignent autour du thème central de la Pentecôte. «Tout jaillira, est-il écrit dans le Projet Pastoral, de ce souffle de l’Esprit Saint qui nous envoie en mission en ce lieu particulier de La Défense.»

Le Projet Pastoral s’édifie sur cinq axes:

L’accueil, par lequel passe l’annonce de l’Evangile. Accueil ouvert aux publics habituels et très divers du site, et qui s’étendra aux jeunes, aux pauvres, aux demandeurs d’emploi... attirés par l’édifice ou désireux de célébrer la foi en Jésus-Christ. Accueil actif qui obligera les animateurs à aller au devant des autres, à faire preuve d’imagination...

La liturgie. En ce haut-lieu de prière, l’Eucharistie sera la source où puiser l’invention missionnaire. Elle sera sans doute célébrée en diverses langues. Les rythmes liturgiques qui marquent la vie de l’Eglise, avec ses grands sommets, guideront tout ce qui sera mis en œuvre. La prière quotidienne sera celle qui conviendra aux hommes et aux femmes qui travaillent, qui passent ou qui habitent cet univers de bureaux, de commerces, de loisirs.

La formation, qui portera sur la connaissance du Mystère chrétien proposé aux personnes désireuses d’en mieux vivre et d’en mieux témoigner dès aujourd’hui, et qui portera sur le monde moderne, ses techniques, ses ambitions, dans lequel notre Eglise est engagée et engage la Parole de Dieu.

L’entreprise. Notre-Dame se voudra partenaire de toutes les recherches menées dans le monde du travail dont les repères bougent sans cesse. Elle sera un centre de propositions et de recherches sur le sens du travail, sur l’éthique professionnelle, sur le profit, la réussite... L’Eglise pourra prendre sa part dans les débats de société.

La création d’événements, soit provoqués par l’équipe d’animation, en partenariat avec d’autres, soit organisés à la suite de la demande d’un mouvement ou d’un service d’Eglise. Ces événements pourront être aussi le fait de créateurs qui voudraient s’associer avec l’équipe de la Maison d’Eglise pour un laps de temps et sur une opération déterminée.

Le projet est ambitieux, comme l’est celui de l’architecte, Franck Hammoutène. Porter l’Evangile au monde d’aujourd’hui exige de l’audace. «Loin de nous, explique le Père Jacques Turck, l’idée de bâtir une Eglise de chanceux et d’élites en surfant avec arrogance sur les vagues de la technologie moderne. Il n’y a pas d’Eglise chrétienne sans une attention forte et précise aux pauvres... Cependant, le réalisme spirituel, dont nous devons faire preuve, invite à mettre en œuvre la richesse des techniques modernes au service de l’Evangile.»

Dans quelques mois, nous viendrons nous recueillir en l’église Notre-Dame de Pentecôte. Peut-être y découvrirons-nous la liste, évoquée par Martine, des «généreux donateurs», ceux qui auront participé à sa construction en faisant un don aux Chantiers du Cardinal (2).

Ludovic Roger

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(1) Maison d’Eglise de la Défense, 25 rue des Poissonniers 92200. Neuilly-sur-Seine, Tél: 01 46 24 25 24.

(2) Les Chantiers du Cardinal, 106, rue du Bac, 75341 Paris Cedex 07. C.C.P. Paris 16 331 23 P.

Updated on 06 Octobre 2016