La famille insérée dans les générations

30 Janvier 2004 | par

Quand on parle de la famille aujourd'hui, on pense souvent a cette famille nucléaire réduite au couple des parents et aux enfants. Pourtant, pour qu'une famille soit vivante, elle doit être bien plus large que cela. C'est parfois le manque qui révè1e 1'essentiel : quand on perd une partie de sa famille, on sait combien chacun de ses membres compte, ceux de la même génération autant que ceux qui ont précédés, et autant que les plus jeunes.

Un petit enfant compte tant !
A sa naissance, Yvan a des problèmes respiratoires graves. Sa jeune mère, pas mariée, ne s'en rend pas compte, mais les grands-parents sont bouleversés : s'il venait à mourir, comme il manquerait déjà. Bien sûr, le parents de la jeune femme auraient préféré des conditions plus normales pour leur fille et pour le bébé. Mais il tiennent, pendant l'enfance et l'adolescence d'Yvan, à le faire participer à toutes les fêtes familiales afin qu'il ait sa place parmi ses cousins. Plus tard, Yvan comprend et remercie ses grands-parents de 1'avoir toujours considéré comme un membre a part entière de la famille et de l'avoir fait, tout naturellement, accepter par les autres.

Un couple sans enfant, c'est triste
Sylvie, mariée depuis quatre ans, annonce à son mari qu'elle est enceinte, mais sans joie : ses parents sont en train de divorcer, et elle se sent coupable, comme autrefois lorsqu'ils se disputaient. Est-ce le moment d'avoir un enfant ? Eric reçoit la nouvelle avec gravité, affirme qu'il désire vivement un enfant : Mes parents avaient divorcé. Ma sœur et moi étions ballottés entre eux. Malgré cette souffrance, je me disais toujours : un couple sans enfant, c'est triste. L'homme et la femme risquent de s'enfermer dans un certain égoïsme. Je t'aime, Sylvie, et je voudrais que nous connaissions ensemble la joie d'être parents. Un enfant oblige à sortir de soi-même, à se sentir responsable. C'est tout autre chose que d'être concerné par ses parents et grands-parents de qui on a tant reçu. A un enfant, on donne, et c'est normal. Mais c'est lui qui nous ouvre le monde et nous conduit à faire un monde où il puisse vivre.

Un enfant adopté a besoin de toute la famille
Nous venons d'adopter Léa et nous avons eu grand besoin de nos parents pendant la longue attente. Aussi avons-nous donné à Léa les prénoms de ses deux grands-mères, expliquent Denis et Caroline. Nos parents, frères et sœurs ont été formidables : comme les démarches administratives traînaient dans le pays de naissance de Léa malgré notre présence quotidienne à la pouponnière, ils se sont relayés pour nous soutenir. Sans eux, nous n'aurions pas tenu le coup... Depuis notre retour en France, nous sommes ravis des visites de toute la famille, depuis l'arrière-grand-mère jusqu'au plus jeune cousin : tous adoptent Léa qui en a besoin.

L'importance de sa propre génération
Un enfant souhaite bien souvent des frères et sœurs, comme ses parents du reste. Mais leurs désirs ne sont pas toujours exaucés. C'est la cas de Clémence qui, à quatre ans, déclare au médecin scolaire en présence de sa mère : Oui, j'ai un frère, Rémi, et une sœur; Juliette. La maman fait signe au médecin que Clémence parle de ses désirs, mais pas de la réalité trop difficile à supporter pour la petite fille qui s'invente une fratrie.

Et les trous dans les générations ?
La famille ne vit pas seulement de ceux que l'on fréquente ou à qui l'on écrit quand ils sont loin. Ceux qui ont précédé en font également partie à condition qu'on en parle. C'est ce qui a tant manqué à Eliane : son père est mort lorsqu'elle avait quelques mois, et sa mère ne lui en a jamais parlé. Elle savait bien qu'il était mort puisqu'elle accompagnait régulièrement sa mère au cimetière, mais toujours en silence. Je n'arrivais pas à accepter cette réalité, confie-t-elle bien plus tard à sa belle-fille. Vers 8 ans, je me souviens que je guettais tous les coups de sonnette, et j'avais le cœur qui battait quand un ami, un commerçant entrait à la maison : c'était un homme et j'espérais que c'était mon père. Adulte, je m'arrangeais pour aller sans ma mère voir des cousins qui, eux, me parlaient de mon père et de ses parents.
Pour Thérèse, c'est bien différent. Elle aussi a perdu son père pendant son enfance, mais sa mère lui en a toujours parlé, lui a montré les albums de photos de ses voyages d'explorations. Elle a même confié à Thérèse les lettres qu'écrivait son père à son sujet. Ce père est vivant dans la famille, et deux générations plus tard, ses descendants s'intéressent encore à lui, lisent ses carnets de voyage, regardent les photos. Mon grand-père compte pour moi autant que celui de mon cousin Jean, dit Benoît. Jean me disait combien il avait aimé ses grands-parents qui habitaient un appartement à l'étage au-dessus du leur et qui accueillait ses six petits-enfants, surtout les petits-fils, avec une gentillesse permanente : Jean a toujours la collection de timbres que ce grand-père l'a aidé à faire et qu'il n'a jamais emmenée chez ses parents...

On ne maîtrise pas la constitution de sa famille : on naît parfois sans connaître ses parents et même sans savoir qui ils étaient, de même qu'on n'a pas toujours les enfants qu'on veut quand on veut. Comment faire pour que la vie continue à passer d'une génération à l'autre ? C'est à la naissance de ma première petite-fille que j'ai commencé à m'enraciner dans ma vie, dit Nadia adoptée très jeune. Sa famille d'adoption l'avait beaucoup aimée, l'avait même aidée à retrouver sa mère de naissance. Elle a eu d'excellentes relations avec ses parents adoptifs qui lui ont permis de faire des études, de se marier avec un homme qu'elle aime et d'avoir cinq enfants. Pourtant ce n'est qu'à la naissance de ce premier petit enfant qu'elle s'est sentie avoir sa place dans l'arbre généalogique. Oui, il faut toutes les générations pour faire une famille !

Updated on 06 Octobre 2016