La forêt qui pousse

20 Mai 2015 | par

La particularité du Messager est qu’il ne s’agit pas seulement d’une revue diffusée dans le monde entier mais aussi d’une façon d’aider les autres. La Caritas Saint-Antoine réalise pendant l’année des projets pour les personnes en détresse. Pour la fête de saint Antoine, en ce mois de juin, la Caritas Saint-Antoine s’engage sur un grand projet en Indonésie : la construction d’une école pour les 11 à 18 ans et la création d’une plantation de salak.



Un proverbe ancien dit qu’« un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ». Pourquoi ai-je cette pensée ? Je suis en avion, je pars pour l’Indonésie. Destination : Tiga Juhar, un lieu perdu sur l’île de Sumatra. C’est là que nous allons orienter notre solidarité à l’occasion de la fête de saint Antoine. Le projet que nous avons en tête s’adresse aux jeunes. Il ressemble à nombre d’autres projets mais il a la force d’une forêt qui pousse. Il concerne l’école, mais aussi des graines et des arbres, des enfants abandonnés et des rêves pour l’avenir. Je me demande si je suis en mesure de vous démontrer que « c’est la forêt qui pousse qui fait le plus de bruit ». Du moins pour nous qui cherchons à porter saint Antoine dans le monde. 

Voilà pourquoi je vous raconterai cette histoire comme si c’était une plante, qui pousse, de la graine jusqu’au fruit.

 

La semence

J’arrive à Medan, la capitale de la région septentrionale de l’île de Sumatra. La semence du prochain projet est proche d’ici, à Bandar Baru, une petite ville dans un territoire parsemé de rizières, de plantations et de forêts. Le terrain est fertile grâce au climat chaud et humide, mais il appartient aux riches et à de grandes propriétés de palmiers à huile et d’arbres de caoutchouc. Il ne reste aux pauvre que les miettes, à savoir les champs les plus petits pour survivre. Il suffit d’un rien, par exemple la maladie d’un parent, pour que la famille s’écroule. Ici, il n’y a ni santé publique ni assistance sociale.

À Bandar Baru, en 1971, un frère planta une graine. Il s’appelait Ferdinando Severi. Aujourd’hui, il n’est plus parmi nous, mais pour les frères et les habitants du lieu, il est une légende. Il a été un des premiers missionnaires estimé aussi par les musulmans pour sa façon originale d’être à côté des plus pauvres. Ferdinando comprit que le problème des enfants orphelins ou abandonnés était un des plus urgents et ouvrit la première maison d’accueil. En 1992, l’orphelinat Bethléem, que je m’apprête à visiter, a été construit grâce aux dons de la Caritas Saint-Antoine.

Je suis accueilli par le frère Thomas, un frère indonésien de moins de 40 ans. Je suis frappé par son rire. On comprend en un instant qu’il possède une intelligence hors du commun et un amour infini pour son peuple. Ce n’est pas un hasard s’il est un point de repère dans ce coin du monde. Ils est le responsable de notre projet et mon guide pour ce voyage.

 

Les bourgeons

J’entre dans le bâtiment, une centaine de personnes m’attend dans une salle colorée et lumineuse. Ce sont des enfants et des jeunes âgés de 4 à 17 ans. Je suis ému et aussi un peu embarrassé. Je m’assieds par terre et ils m’entourent. Grace, 4 ans, la plus petite, me suit comme mon ombre. On m’a raconté son histoire : à sa naissance, le père a abandonné la famille et la mère est devenue folle. La grand-mère ne se sentait pas en mesure de la garder et le curé avait cherché à la faire accepter par un orphelinat, mais personne ne la voulait car elle n’avait qu’un an. Mais ici, elle a trouvé une maison.

Ici, tous étudient et travaillent dur : « Les jeunes – explique Thomas – sont exposés à tout type de dépendance car personne ne parie sur eux, et eux, parient sur le vide. Si on veut sortir du tunnel, il faut avoir sa propre place, il faut savoir qui on est, il faut partager une responsabilité. »

 

Les petites plantes

Le frère Nicolas vient me chercher avec le groupe des grands. « On va au champ », m’annonce-t-il. Je monte sur le fourgon, entouré par les jeunes, des faux, des pioches... Je les observe et les mots du frère Thomas se bousculent dans ma tête : « Leur avenir dépendra de leur initiative, de leur capacité de supporter la fatigue et de ne rien attendre du ciel. » Je leur demande ce qu’ils aimeraient faire. « Je veux être footballeur », s’exclame Joannes, 9 ans. « Moi, enseignante », dit timidement Rosa, 17 ans. « Lui, il sera agriculteur », s’écrient les autres en désignant Denis, 12 ans. Guardo Matyu, 13 ans, a un chapelet autour du cou et serre entre ses mains un crucifix : il souhaite devenir frère. Chacun a son rêve, comme tous les enfants du monde. Nous ne pouvons pas les décevoir. Ils sont la forêt qui grandit, l’avenir d’un pays sans rêve.

« Quand ils ont 18 ans, nous ne pouvons plus les garder ici – me dit Thomas à mon retour à l’orphelinat. Nous devons faire quelque chose, autrement tous ces efforts et ces sacrifices seront gâchés.

 

En rêvant aux fruits futurs

La custodie des frères indonésiens est pauvre, mais à Tiga Juhar, elle a une nouvelle mission et des terrains. C’est un des lieux les plus abandonnés du pays, cependant c’est ici que les frères indonésiens souhaitent faire fructifier de petites plantes qui ont poussé à Bandar Baru. C’est pour cela que le frère Thomas a déménagé ici. 

« Avec votre aide, nous aimerions construire à Tiga Juhar des écoles pour les 11-18 ans et utiliser les vingt hectares que nous avons pour créer une plantation », m’explique le frère Thomas. Le projet a plusieurs buts, le principal étant de créer des postes de travail pour les orphelins de Bandar Baru : « Nous offrirons aux meilleurs élèves la possibilité de devenir enseignants ou éducateurs dans la nouvelle structure et aux autres d’avoir une maison et un travail dans la plantation. »

La future plantation des frères est à 10 km de la nouvelle mission. Le terrain est prêt pour accueillir un autre rêve. « Si nous voulions faire fructifier tout de suite ce terrain – m’explique le frère Thomas – nous devrions planter des palmiers à huile. Il n’est pas dit que notre pauvreté ne nous y obligera pas un jour mais nous voulons parier sur le changement. C’est pourquoi nous avons choisi le salak, un palmier exotique aux fruits abondants et très appréciés. » Il s’agit d’un projet pilote, mené par les agronomes de l’État dans le but d’introduire des plantations différentes et plus respectueuses de l’environnement.

Je suis fatigué mais heureux d’être ici, au milieu de nulle part. Je suis heureux de vous avoir accompagnés jusqu’ici. Je rêve peut-être éveillé mais quelque chose me dit que cette forêt de jeunes et de plantes, faites de rêves et de fruits, grandira à Tiga Juhar et

« fera beaucoup de bruit ».

 

Les objectifs du projet

- Offrir un travail aux jeunes qui, en raison de leur âge, doivent quitter l’orphelinat Bethléem.

- Offrir des écoles et des soins pour les enfants et les jeunes de Tiga Juhar, zone très pauvre, où les plus petits vivent dans un grave état d’abandon.

- Donner vie à une plantation de salak. Le projet pilote pour rechercher une alternative plus écologique au palmier à huile, monoculture intensive qui ravage de vastes régions d’Indonésie.







 

 

Updated on 06 Octobre 2016