La pêche (de papa) est devenue un sport

01 Janvier 1900 | par

L’image de la pêche se modifie : elle a pris un coup de jeune. Alors qu’en 1970, les plus de 45 ans étaient largement majoritaires, ils n’en représentent plus que 35%. A quoi est dû ce changement?
Dans un monde agité, de plus en plus instable, ce passe-temps incarne le calme et la sérénité. Dans un univers où l’environnement est malmené, il privilégie le retour à la nature. Quoi de plus reposant et de plus apaisant que d’être au bord d’une rivière et de regarder l’eau s’écouler ? La pêche dépasse les clivages sociaux. Elle est une distraction, une passion. La seule distraction universelle. On pêche, en effet, dans le monde entier. Que l’on pêche le vairon, l’ablette, la truite, le saumon ou le marlin, le principe est le même. L’attente est la même, la prise procure les mêmes sensations. Les pêcheurs appartiennent à la même famille.
L’augmentation du nombre des pêcheurs tient aussi à l’évolution du mode de pêche. Le pêcheur immobile sur son pliant existe toujours, mais désormais, c’est une pêche plus active qui a la préférence. On se déplace au bord de l’eau, on bouge. De simple loisir, la pêche est devenue un loisir sportif et celui-ci séduit fortement les jeunes.
Cette évolution est symbolisée par l’engouement pour la pêche à la mouche ou au lancer. Une analyse que confirme Pascal Grillot, l’un des responsables de Mitchell-France, le spécialiste mondial de la fabrication des moulinets. «Nos ventes de moulinets pour ce type de pêche sont en forte croissance.»
Combien sont-ils à pratiquer la pêche à la mouche ou au lancer? Les chiffres exacts sont difficiles à déterminer, mais tous les spécialistes affirment que 25% des pêcheurs en eau douce sont aujourd’hui concernés.

L’écologie profite à la pêche On trouve une autre évolution avec le développement du no kill. Il s’agit alors moins, pour le pratiquant, de ramener chez lui du poisson que d’être en communion avec la nature : on relâche sa prise, on ne la tue pas. Cette pratique, qui a d’abord touché les pêcheurs de truites, de brochets ou de saumons, s’est élargie. Un fabricant a même mis récemment sur le marché un tapis à carpe, dont l’objectif est d’éviter d’abîmer les écailles du poisson lorsqu’on le ramène sur la berge, afin de pouvoir le relâcher dans les meilleures conditions. Mais si le no kill se pratiquait vraiment, on ne verrait plus disparaître les truites sauvages ou les saumons!
A la différence de la chasse, la vogue de l’écologie a fortement profité à la pêche, vécue comme une activité complémentaire à la protection de l’environnement.

L’attrait de la mer Les jeunes sont également fortement attirés par la pêche en mer. Le surfcasting» connaît une véritable explosion. «Comme toutes les pêches qui demandent aux pratiquants de se déplacer, de bouger, explique Alain Boyer, l’un des responsables du GIFAP (Groupement des Industriels Fabriquant des Articles de Pêche), la pêche, de phénomène ringard voici peu de temps encore, gagne ses galons de loisir sportif à part entière. Aujourd’hui, on peut dire qu’il n’y a vraiment aucune différence entre un pêcheur au coup, un moucheur ou un pêcheur au gros. Comme le disait Jonathan Swift: «Il y a toujours un hameçon à un bout et un imbécile à l’autre.» Sans être d’accord sur l’imbécile, on peut admettre que le principe est assez bien vu. Prendre un espadon, une truite ou un gardon déclenche finalement les mêmes joies.
La pêche en mer s’est développée parce que de plus en plus de vacanciers se rendent sur le littoral de la Méditerranée ou de l’Atlantique. Elle s’est développée aussi parce que la pollution a touché de nombreux cours d’eau et que les pêcheurs ont cherché des lieux plus propres. Cela étant, la pêche en mer est moins pratiquée chez nous qu’elle ne l’est aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou même en Australie. Ils étaient cinq à six cent mille à pêcher en mer il y a une dizaine d’années, ils sont aujourd’hui près d’un million et demi. Sans oublier le petit nombre de fanatiques qui pratiquent régulièrement la pêche au gros. Cette moindre participation s’expliquerait par le fait que notre littoral reste sous la coupe de trois à quatre cents armateurs, qui sont persuadés que la mer leur appartient et en pillent les ressources sans aucun contrôle, même au bord du rivage.
«Ce même littoral est également exploité par des pêcheurs semi-amateurs ou semi-professionnels, explique Pierre Clostermann, aviateur héros de la Seconde guerre mondiale et pêcheur passionné, qui vendent leur pêche aux restaurateurs et aux poissonniers et qui, à longueur d’année, épuisent les fonds proches du rivage. Deux ou trois daurades royales par jour permettent aujourd’hui à de nombreuses personnes d’arrondir leurs fins de mois. Ces pratiques n’existent pas ailleurs et surtout pas dans les pays anglo-saxons où, entre les pêcheurs professionnels et les amateurs, un code de conduite très strict a été mis en place : les professionnels ne pêchent pas près des côtes et les amateurs ne peuvent utiliser ni palangres ni petits filets.

Les femmes aussi Comment expliquer l’engouement des femmes d’aujourd’hui pour la pêche? Par une nette amélioration de la qualité des eaux depuis une dizaine d’années, tant en rivière, qu’au bord de la mer, peut-être. Mais alors qu’elles étaient pratiquement absentes des effectifs il y a seulement une vingtaine d’années, elles représentent désormais près de 20% du total des pêcheurs. Une autre explication est donnée par Pascal Grillot (Mitchell-France), celle de l’évolution du matériel. «Le poids des gaules et des cannes a été divisé par dix en quelques années, avec la généralisation du carbone. L’utilisation des moulinets est devenue de plus en plus facile. Les fils tressés, qui ont une meilleure résistance, sont d’un maniement plus simple. Autant d’éléments qui, s’ils ont profité à tous les pêcheurs, ont facilité la pratique des femmes.»

Pour des rivières vivantes Si la pêche a des raisons d’espérer, elle a aussi quelques raisons de s’inquiéter, car les fortes pollutions des années 60-70 ont laissé des traces, surtout en eau douce. Thomas Changeu, directeur des services techniques du Conseil Supérieur de la Pêche, s’inquiète de l’évolution de plusieurs espèces: «L’apron, l’anguille, l’ombre voient leurs effectifs se réduire fortement. Les populations de brochets doivent également être suivies avec attention. Il faut, pour les quarante à cinquante espèces de poissons qui fréquentent exclusivement nos eaux douces, mettre en place des mesures de gestion cohérentes et rigoureuses, si nous voulons conserver des rivières vivantes.»
Une inquiétude partagée par tous les spécialistes qui regrettent qu’une truite sur deux pêchées aujourd’hui, provienne de repeuplement et non de souche sauvage. «C’est comme si, en Afrique, les buffles disparaissant, on les remplaçait par des vaches. Croyez-vous que ce soit la même chose pour les chasseurs?», commente Pierre Clostermann.
A partir du moment où vous aimez la pêche, la distraction peut facilement devenir un vice, au même titre que l’alcool au le tabac. Vous ne pouvez plus vous en passer. Ernest Hemingway était devenu pêcheur de gros sur le tard. Toute la fin de sa vie, il a essayé d’attraper un espadon. Il n’y est jamais parvenu. Il a attrapé des poissons à rostre, des voiliers, mais jamais un véritable espadon. Il a traîné ce regret, ce manque, comme quelque chose de douloureux et il l’avouait. La pêche, c’est aussi cela.
Quoi qu’il en soit, elle reste l’un des loisirs préférés de l’homme de l’an 2000. Longtemps cantonnée dans les populations ouvrières ou campagnardes, elle gagne chaque jour du terrain auprès des habitants des villes, des classes moyennes et supérieures. Le phénomène va-t-il se poursuivre? Tout indique qu’il faille y répondre par l’affirmative.

 

75% des saumons pêchés en France sont bretons

2 786 saumons ont été pêchés en 1996 dans les cours d’eau français, selon les décomptes du Conseil Supérieur de la Pêche (CSP)
Toute prise de cette espèce de poisson doit faire l’objet d’une déclaration officielle. Les spécialistes du CSP estiment à 80% seulement les pêcheurs qui respectent la réglementation en vigueur. Aussi apportent-ils un certain nombre de corrections aux chiffres déclarés.
C’est la Bretagne qui est le paradis français des salmonidés. Les rivières des départements bretons ont fourni 75% des prises totales effectuées dans le pays, soit 2130. Le Finistère vient en tête avec 1449 saumons déclarés pour 1606 prises estimées. Il est suivi du Morbihan : 252 déclarés, 299 estimés et des Côtes d’Armor 210 déclarés, 225 estimés.
La région normande arrive en seconde position avec 329 saumons déclarés, pour 396 prises estimées. Six cours d’eau sont concernés.
Le Sud-Ouest prend la troisième place, avec 182 saumons péchés et 260 estimés. La pêche dans la Loire a, elle, été interdite.

Une réglementation complexe

C’est l’excessive complexité de la réglementation française en eau douce qui fait fuir de nombreux pécheurs. Sur le même cours d’eau, on peut capturer telle espèce et pas telle autre, on peut pratiquer tel type de pêche et pas une autre. A cent mètres près, les interdictions ne sont pas les mêmes. Plus personne ne s’y retrouve. Aussi, beaucoup de pêcheurs, surtout des occasionnels ou des vacanciers, choisissent des plans d’eau privés où ils n’ont pas besoin de permis, se contentant de payer un droit d’entrée au propriétaire.

Où pêcher ?

Avec 16 800 kilomètres de cours d’eau, 31 000 hectares de lacs domaniaux et 250 000 kilomètres de rivières (assimilés juridiquement au domaine public), où les permis sont obligatoires, la France compte aussi près de 25 000 hectares d’étangs et de plans d’eau, ainsi que plusieurs milliers de kilomètres de berges de rivières totalement privées, où les pêcheurs ne sont pas assujettis aux taxes piscicoles, mais uniquement à un droit de pêcher fixé par le propriétaire des lieux.

Updated on 06 Octobre 2016