La très vive Foy de Conques

28 Octobre 2003 | par

Commémorant le 1700e anniversaire de son martyre, sainte Foy, décapitée à l'âge de 12 ans, patronne l'année 2003 dans les diocèses de Rodez et d'Agen. Pour l'occasion, l'évêque d'Agen et un groupe de croyants se sont rendus, cet été, en pèlerinage à pied à Conques, petite ville médiévale, étape très vivante du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Nous avons cheminé avec eux.
À une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Rodez, à une quinzaine de jours du Puy-en-Velay, voici Conques. Deux principaux chemins y mènent. Par le premier, on gare sa voiture en périphérie. Par le second, après avoir descendu et monté les terribles escarpements de Monistrol-d'Allier, après avoir traversé le fascinant désert de pierres et d'herbes de l'Aubrac, au détour d'une descente en raidillons tortueux, on survole brièvement les toits pour être jeté en plein centre, les godillots clopinant sur les pavés de ruelles en lacis.

Un bijou médiéval
Avec ses maisonnettes à colombages et ses toits de lauze se chevauchant en cascade désordonnée, Conques en Aveyron est un bijou médiéval, au croisement entre le chemin de grande randonnée 65 et la départementale 901. Les godillots se joignent aux sandalettes pour faire face au tympan de l'abbatiale, et à sa représentation du Jugement dernier datant du début du XIIe siècle.
À la droite du Christ, les élus, parmi lesquels on reconnaît l'abbé constructeur Oldoric, entraînant par la main Charlemagne qui soutint la communauté par ses donations. Puis sainte Foy prosternée en prière, la tête touchant la main de Dieu, mais aussi Abraham, saint Jérôme, les apôtres, les saintes femmes...
À la gauche du Christ, les anges gardent la porte de l'enfer où le démon et ses diables font périr les pécheurs par des peines correspondant à leur propre péché. Les sept péchés capitaux sont illustrés tour à tour par un chevalier excommunié par l'abbaye, un évêque qui pilla son trésor, un abbé dispendieux qui manigança pour se faire élire... L'ensemble s'inscrit dans une construction romane de pierres ocres, orangées et bleues, ornée des récents vitraux de Pierre Soulages, que dore la lumière du soir.

Sainte Foy d'hier et d'aujourd'hui
Le plan de l'abbatiale révèle un but précis : permettre la circulation des très nombreux pèlerins venant toucher les reliques.
Le lieu n'est pas seulement une étape vers Saint-Jacques : il est aussi un sanctuaire en soi, où, par le passé, les chrétiens venaient demander bonnes récoltes, conversions et guérisons. Depuis le IVe siècle, sainte Foy a libéré les prisonniers des Maures, rendu ses yeux à un homme à qui on les a arrachés, converti l'intellectuel dubitatif. Et aujourd'hui ? La statue reliquaire, en or et pierres précieuses, est abritée derrière une vitrine dans le Trésor qui jouxte l'abbatiale. Elle n'y retourne que pour la Sainte Foy, le dimanche qui suit le 8 octobre. Les visiteurs ont rarement l'occasion de vénérer la sainte par une procession aux flambeaux, comme a pu le faire le groupe de pèlerins venu d'Agen. Et pourtant...

Au cœur de la ville, l'abbatiale
L'abbatiale est à la fois au cœur et le cœur de la ville. Tenue par les Prémontrés -3 prêtres et 2 frères- depuis 1874, elle est ouverte tous les jours, toute l'année, de l'aube à la nuit tombée (de 6 h 30 à 23 h 30 l'été). Splendide avec sa nef relativement courte pour sa grande élévation, elle résonne de 7 ou 8 grands concerts annuels et, chaque soir d'été, d'un récital mais surtout de la messe et de quatre offices quotidiens. C'est, pour le père Joël, prieur, ce qui rend le lieu visiblement habité et touchant. Passé par là il y a quelques années, Jean-Paul, qui aime tant polémiquer sur l'Église et ses saints, se souvient : Il n'y avait pas grand monde. Je suis entré admirer les vitraux et j'ai senti que ce lieu était vivant. Comme j'étais derrière le chœur, de la musique a retenti. Personne ne me voyait, je me suis couché par terre, je suis resté deux heures et cela m'a fait du bien.
Chaque soir et chaque matin, les pèlerins reçoivent une bénédiction solennelle, un évangile et une miche de pain. Marinette Itier, la bonne mère des Jacquets , accueillant les marcheurs à Saugues, raconte dans Passants de Compostelle de Jean-Claude Bourlès : Fin janvier nous avons reçu un jeune homme de 27 ans sur le chemin du retour. Il s'était arrêté à l'aller. Il venait d'Auxerre et se disait randonneur. L'Eglise n'était pas sa préoccupation, saint Jacques non plus. Et puis, soudain, à Conques, lors de la bénédiction des pèlerins, il a senti qu'il n'était plus randonneur. Qu'il fallait qu'il poursuive. A Compostelle, il a décidé de revenir à pied [...] Aujourd'hui, il est en Pologne où il est ingénieur, et il nous donne de temps en temps de ses nouvelles.
Pierre, professeur d'Histoire, marche avec un compagnon du Puy jusqu'à Conques : juste pour la marche , dit-il. En route, il pose des questions au groupes exhibant une coquille. Arrivant à Conques, il est bouleversé : Nous nous sommes perdus en Aubrac, nous ne trouvions plus d'eau. Et j'ai entendu sans cesse : Je suis la Source, Je suis la Source.

Le centre d'accueil Sainte-Foy
13 400 nuitées en 2002 : chaque année, le centre Sainte-Foy voit croître le nombre des pèlerins. Les marcheurs du chemin se retrouvent là et échangent des confidences autour du repas commun au sein de la communauté des Prémontrés, qui en assure la direction. Ils viennent de partout, pèlerins catholiques, protestants, sur la trace des Celtes, randonneurs amoureux de la nature, citadins en quête de lenteur, humanistes...
Être pèlerin, explique le père Joël, c'est une attitude de vie, une manière d'être ouvert à la Providence. Saint Augustin, dont nous suivons la Règle, disait à la communauté rassemblée dans son église que certains qui y étaient présents ne feraient pas partie du Royaume lors du jugement, tandis que d'autres qui n'y étaient pas en feraient partie. Et le père Joël de poursuivre : Passent ici des groupes, des marcheurs seuls, des gens qui vont d'une traite jusqu'à Saint-Jacques, d'autres qui avancent par tronçons au rythme de leurs vacances. Quelques-uns affichent leur incroyance, certains vivent une grande souffrance, amorcent un changement de vie, partent en quête de vérité. Qui peut dire qui est pèlerin ou non ?  Ce qui fait le pèlerinage, c'est la rencontre. Parce que Dieu s'est incarné, il passe par le prochain.

La route de la rencontre
Mary Ellen, colombienne venue des Etats-Unis, a marché jusqu'à Saint-Jacques l'an dernier. Elle illustre sans le savoir et à sa manière les propos du père Joël : On ne se rencontre pas sur le chemin par hasard. Quand je traversais le petit village d'Auvillar, je marchais avec un Belge. Nous avons entendu un bouchon de champagne sauter : un couple d'Anglais fêtait l'arrivée de son premier chèque de retraite. Ils venaient de s'installer, nous avons bavardé et ils nous ont invité à partager leur bouteille. Puis, nous avons repris la route. Nous avons marché un bout de temps ensemble, puis mon compagnon est passé devant. J'ai accéléré, parce que je ne lui avais pas vraiment dit au revoir ; puis voyant que je ne le rattraperais pas, j'ai confié un mot pour lui à un couple qui marchait plus vite que moi.
Pour le Nouvel An, j'ai envoyé une carte à tous ceux que j'avais rencontrés. Je prévoyais de partir le 20 juin de Genève pour aller à pied jusqu'à Conques et accueillir à mon tour les marcheurs, comme hospitalière. Le couple d'Anglais m'a répondu me fixant un rendez-vous à Conques pour dîner, mais pas de nouvelles de notre ami Belge. Arrivée à Conques le 13 juillet, je me suis rendue à la Poste pour recevoir des vêtements et tandis que je faisais la queue, quelqu'un a tapé sur mon épaule : Tu attends quelque chose ou quelqu'un ? : c'était mon ami belge. Il était venu à moto, préférant ne pas me prévenir. Si je n'étais pas arrivée, tant pis. Le soir, nous nous sommes tous retrouvés au restaurant avec les Anglais...
Depuis, quand nous marchions, je chantais souvent la chanson de Mouloudji : Un jour, tu verras, on se rencontrera, Quelque part, n'importe où, Guidés par le hasard. Je crois que votre écrivain Victor Hugo disait à peu près cela : Si tu regardes l'autre bien dans les yeux, tu finis par te voir ; si tu regardes encore mieux, tu vois Dieu.

Pour informations :
Centre d'accueil Sainte-Foy : 05 65 69 85 12. Site Internet : www.mondaye.com

 

L'ordre des Chanoines réguliers de Prémontré
L'ordre des Chanoines réguliers de Prémontré a été fondé par saint Norbert au début du XIIe siècle. Le petit prieuré de Conques dépend de l'abbaye de Mondaye, en Normandie. Il compte 3 prêtres et 2 frères qui ont pour mission la garde des reliques de sainte Foy et l'actualisation du message de cette petite martyre ; mais aussi la louange de Dieu, l'accueil des pèlerins et retraitants et la charge de plusieurs paroisses. Celle de Conques ne compte qu'une soixantaine d'habitants l'hiver, mais 27 autres clochers sont inclus dans la paroisse Saint-Vincent-du-Vallon.

Sainte Foy
Fille d'un haut fonctionnaire, elle fut martyrisée au IIIe siècle, à Agen, pour être restée fidèle à sa foi ; son exemple a incité un autre chrétien de la ville, saint Caprais, à subir lui-même le martyre. Sin culte fut très populaire au Moyen Age. Transportées à Conques au IXe s., ses reliques devinrent l'objet de pèlerinages, d'autant plus importants que Conques se trouvait sur l'une des grandes routes de Saint-Jacques-de-Compostelle. Ses reliques seraient également à l'origine de Sainte-Foy-la-Grande, en Gironde.

Updated on 06 Octobre 2016