Le casse-tête des aliments transgéniques

01 Janvier 1900 | par

Le public veut savoir ce qu’il mange et il pense, à une forte majorité, que les organismes ou aliments génétiquement modifiés (O.G.M.) sont dangereux pour la santé. L’Europe se montre prudente et ses ministres de l’Environnement, réunis au Luxembourg, ont décidé, le 26 juin dernier, de durcir la procédure de mise en culture de ces produits.
Toute forme de vie – qu’il s’agisse de bactéries, de plantes, d’animaux ou d’êtres humains – est, en partie, composée de gènes. Ces gènes renferment, sous une forme codée universelle, les principaux caractères héréditaires, comme chez l’homme, la taille, la couleur des yeux et celle des cheveux.
Les molécules d’A.D.N., semblables à des fils de nylon, sont le support des informations génétiques. Suivant les informations transmises par l’A.D.N., les cellules produisent les protéines spécifiques indispensables à la bonne marche de tout organisme vivant. Cela, nous le savons grâce aux recherches effectuées à partir des années 40. Or, depuis quelques années, les scientifiques peuvent changer le patrimoine génétique d’une cellule en isolant, à l’aide d’enzymes, des fragments d’A.D.N. correspondant chacun à un gène bien déterminé. Le gène sélectionné est ensuite intégré dans un autre A.D.N. provenant d’une bactérie pour être cloné en grand nombre. Le gène est ensuite introduit dans les cellules receveuses. C’est ainsi que le gène qui produit un insecticide a pu être isolé dans une bactérie et transmis à des cellules de maïs. Les plants de maïs générés à partir de ces cellules sont alors devenus résistants contre leur principal prédateur, une chenille en l’occurrence. On appelle donc O.G.M. (Organisme génétiquement modifié) une bactérie ou une plante dans laquelle on a introduit, grâce aux techniques du génie génétique, un nouveau caractère héréditaire : meilleure résistance au froid, à la sécheresse ou à la salinité, la tolérance aux herbicides, la résistance aux insectes et aux maladies.
Alors que les recherches se poursuivent à l’I.N.R.A. (Institut National de la Recherche Agronomique), les applications agronomiques sont réelles. Aux Etats-Unis, vingt millions d’hectares sont désormais cultivés avec des semences d’origine transgénique, principalement du maïs, du soja et du coton. En France, seules trois variétés de maïs ont été autorisées à la production et 1430 hectares officiellement mis en culture. Outre l’Amérique du Nord, l’Argentine et la Chine sont en train de basculer de l’expérimentation à la production de masse de ces céréales, ainsi que le Brésil pour le tabac. En Europe, seule l’Espagne est en pointe, avec plusieurs milliers d’hectares cultivés.

Sont-ils dangereux pour la santé? Les experts ont identifié quatre dangers potentiels autour desquels ils ont concentré leurs recherches. D’abord le risque génétique. Un gène intégré dans un organisme pourrait se transmettre de façon involontaire à un autre organisme et le transformer. Par exemple, un gène introduit dans une plante pourrait migrer vers les bactéries du sol et être transmis ensuite à l’homme.
Ensuite, un certain nombre de plantes transgéniques contiennent un gène de résistance à un antibiotique. Le risque est que ces gènes migrent de la plante vers des bactéries dangereuses pour l’homme, des bactéries contre lesquelles on ne pourrait plus lutter aussi efficacement.
D’autre part, le risque toxicologique n’est pas négligeable. Des toxines naturelles produites d’ordinaire à faibles doses pourraient l’être en quantité anormale par des plantes, au point de les rendre toxiques pour l’homme. Certains chercheurs s’inquiètent, en particulier, de la multiplication des plantes tolérantes aux herbicides totaux. Leurs résidus risquent d’être de plus en plus présents dans notre alimentation.
Enfin, les propriétés allergisantes de certains aliments (arachide, noix du Brésil, œufs, crustacés) pourraient être transmises par le biais des gènes et l’introduction de certains gènes pourrait modifier, de manière incontrôlée, la composition de la plante et ainsi entraîner des déséquilibres nutritionnels.

Et sur l’environnement? Jusqu’ici, la seule façon de lutter contre les ennemis des cultures – mauvaises herbes, parasites, insectes – était l’utilisation de produits chimiques. L’arrivée des plantes transgéniques, résistantes à des maladies virales ou à des ravageurs, a permis de réduire l’utilisation de produits chimiques, donc de mieux préserver l’environnement. On s’achemine de plus en plus vers une protection intégrée des cultures qui combine lutte chimique, lutte biologique et utilisation de variétés résistantes.
L’utilisation d’O.G.M. a fait surgir un certain nombre de risques pour l’environnement. On cite notamment le cas de colza génétiquement modifié pour résister à un herbicide. On s’est en effet aperçu que ce colza avait, par le biais du pollen et des graines, transmis son gène de résistance à des plantes indésirables, de la même famille que lui. Il s’en est suivi une prolifération désordonnée de ravenelle, roquette et moutarde. Sans compter les repousses de colza, l’année suivante.
Des groupes de réflexion se sont constitués en Europe, étudiant le devenir de ces choix scientifiques. Ils ont mis en évidence les principaux risques encourus pour l’environnement : prolifération anarchique, nuisance sur l’écosystème, uniformisation des variétés transgéniques qui supplanteraient les cultures traditionnelles. Il apparaît indispensable de développer la recherche, liée au risque écologique, avant de développer la diffusion des O.G.M.

Le casse-tête de la détection des O.G.M. Depuis septembre 1998, l’étiquetage des produits alimentaires comprenant des O.G.M. est obligatoire en Europe. Vu la faible quantité de plantes transgéniques semées sur notre continent, les O.G.M. proviennent surtout des maïs et du soja transgéniques importés des Etats-Unis.
Rarement observé dans les rayons des magasins, cet étiquetage ne pourra être pratiqué sérieusement que lorsque des méthodes fiables de détection des O.G.M. seront normalisées.
Pour le moment, un laboratoire public de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (D.G.C.C.R.F), situé à Strasbourg, est capable de déterminer la présence d’O.G.M. dans un aliment mais pas encore d’en préciser la quantité.
La détection consiste à rechercher le gène ajouté dans la plante ou plus précisément à repérer la séquence d’A.D.N. qui le précède, appelée amorce. Cette amorce représente la signature du gène étranger, le transgène, qui a été introduit dans la plante par les généticiens pour en modifier les caractéristiques. En connaissant cette amorce, il est facile de déterminer si la plante contient ou non un gène modifié. Malheureusement pour les laboratoires de contrôle, les grandes compagnies de bio-technologies gardent leurs secrets de fabrication et ne donnent pas le code de leurs précieuses amorces. Or, pour les scientifiques, plus les aliments sont transformés, plus la détection des O.G.M. est difficile.
Signalons toutefois qu’un laboratoire privé, le Trepal, des Etablissements Danone, situé lui aussi à Strasbourg, affirme être capable de donner la quantité d’O.G.M. contenue dans un échantillon, à au moins un dixième de pour cent près. Le Secrétariat d’Etat au Commerce vient d’annoncer son intention d’équiper le laboratoire public avec un matériel comparable à celui de son homologue privé.

Un moratoire de fait C’est ainsi que les ministres européens de l’Environnement des Quinze, réunis au Luxembourg les 25 et 26 juin 1999, sont parvenus à trouver un accord pour renforcer une législation européenne déjà ancienne, sur la commercialisation des organismes génétiquement modifiés. Le texte demande un étiquetage plus explicite, interdit toute procédure simplifiée d’autorisation de produits réputés non nocifs, prévoit une évaluation préalable des risques et limite la durée des licences à dix ans. L’entrée en vigueur de cette législation n’est pas prévue avant 2002.
Il est regrettable que la tentative de rédiger une déclaration politique commune, qui aurait souligné le refus des Quinze d’accorder de nouvelles autorisations à ces produits avant d’avoir resserré les contrôles, ait échouée. Les pays se sont ainsi divisés en trois blocs : la France, l’Italie, le Danemark, la Grèce et le Luxembourg, favorables à la suspension, jusqu’à l’entrée en vigueur de la directive. En face, six pays : Autriche, Belgique, Allemagne, Finlande, Pays-Bas et Suède qui veulent attendre des certitudes scientifiques avant d’interdire et les quatre autres pays : Royaume-Uni, Irlande, Espagne et Portugal qui ne se sont associés à aucun de ces textes. La dernière autorisation accordée à la commercialisation de nouveaux O.G.M. remonte à octobre 1998 et onze autres demandes sont, depuis, en sommeil. Un moratoire de facto, donc. L’éventualité d’une saisine de l’Organisation mondiale du Commerce (O.M.C.) par Washington est hélas possible. Il faut se rappeler la position de cet Organisme à propos du contentieux transatlantique sur le bœuf aux hormones, qui a accepté que les U.S.A. puissent, en représailles, taxer certains produits français importés, (roquefort, truffes etc... ) de 100 %.
Le vieux continent n’aime pas être bousculé dans ses habitudes alimentaires. Même si près de 50% des surfaces cultivées américaines sont d’ores et déjà plantées de semences du type O.G.M., notre méconnaissance des effets à long terme de ce type de culture ne fait pas de doute. En Grande-Bretagne on observe déjà que les allergies au soja augmentent depuis qu’il est transgénique. Sans compter les risques de diffuser des gènes résistant aux antibiotiques. Ne cite-t-on pas le cas d’un maïs biologique dans le Sud-Ouest qui est devenu partiellement transgénique parce que le vent et les abeilles l’ont pollénisé, avec les épis d’un champ voisin, qui était transgénique ?

 

Chronologie de la transgénèse

Cette technologie consiste à modifier les caractères d’une espèce en introduisant un gène étranger dans son patrimoine génétique. Dans le domaine agricole, les modifications ainsi obtenues visent à améliorer la résistance de certaines cultures au climat, aux agressions etc. Ou encore à leur faire produire des substances médicamenteuses.
Décembre 1996. L’Europe autorise 1a culture du maïs transgénique résistant à la pyrale, un insecte ravageur.
Novembre 1997. Le gouvernement Jospin donne son feu vert à la mise en culture en France, de ce maïs transgénique.
Juillet 1998. Autorisation de la commercialisation de nouvelles variétés de maïs transgénique, mais moratoire de deux ans sur les autres plantes, comme le colza ou la betterave.
Décembre 1998. Saisi par plusieurs associations écologistes, le Conseil d’Etat décide de consulter la Cour de justice des Communautés européennes sur l’autorisation de novembre 1997.

La France au banc des accusés

La Commission européenne a ouvert une procédure contre la France, pour ne pas avoir donné son autorisation de mise sur le marché de deux variétés de colza génétiquement modifiées, qui avaient été autorisées au niveau européen.
Cette procédure concernant les O.G.M. s’est traduite par l’envoi d’un « avis motivé ». En cas de réponse non satisfaisante de Paris, il y aurait ensuite une remise en demeure, dernière étape avant l’intervention de la Cour de justice européenne.
Sur le dossier O.G.M., la Commission européenne reproche également à la France de ne pas avoir donné de réponse à une autre demande de mise sur le marché dans le délai prescrit par la législation européenne. Celle-ci précise que l’Etat en question doit fournir une réponse dans les 90 jours, soit en transmettant un avis favorable à la Commission européenne, soit en demandant son rejet.

 

Des milliards de dollars

Monsanto, Novartis, Du-Pont et les autres, les géants mondiaux de l’agrochimie, ont tout misé sur les O.G.M. Pour rassurer les futurs utilisateurs, ils ont même imaginé un nouveau concept : les « Sciences de la vie. Et pour se donner les moyens de dominer le marché mondial des semences. ils ont multiplié les rapprochements industriels et les achats de brevets.

Méfiance des consommateurs et de plus en plus d’agriculteurs, en dépit de la pression des semenciers, mais surtout, depuis quelques mois, de l’industrie agro-alimentaire elle-même. Conséquence : la grande distribution, prise en tenaille, adopte une position de plus en plus rigide vis-à-vis des O.G.M., au point de faire de leur prudence un argument commercial.

Nestlé, Unilever, Danone, les trois grands de l’agro-alimentaire européen, décidaient de limiter, voire pour le dernier, d’arrêter le recours aux ingrédients génétiquement modifiés.

Premiers concernés par l’utilisation des O.G.M. les maïsiculteurs du sud-ouest de la France n’en finissent pas d’observer ce qui se passe en Amérique du Nord, considérant que le blocage français relève d’un suicide collectif.

Des melons et des tomates qui ne pourrissent pas, du colza anti-odeur de friture, en passant par des fraises qui atteignent la taille des poires, la gamme des aliments mutants, issus des progrès génétiques, serait sans fin. Mais à quel prix pour notre santé, demain ?

 

L’appétit américain...

Les enjeux financiers entraînés par les O.G.M. apparaissent considérables. En 2005 en effet, les organismes génétiquement modifiés devraient concerner le quart des cultures mondiales et générer, en semences, des centaines de milliards de francs annuels de chiffre d’affaires. Assez hypocritement, les partisans de ces nouvelles technologies font valoir que les O.G.M. constituent la solution pour nourrir les 8 milliards d’hommes que comptera le globe en 2010.
Or, les Etats-Unís détiennent déjà 85% de ces cultures, 90% du commerce mondial dans ce domaine et surtout 70% des brevets. Ils n’abandonneront donc pas la partie en Europe, en particulier en France, premier concurrent mondial sur les marchés agricoles.

Le maïs et le droit

En France, le débat sur les O.G.M. se concentre en fait sur le maïs Bt!’ de Novartis, la première espèce transgénique autorisée à la culture.
5 février 1998. Le ministère de l’Agriculture autorise la mise en culture de trois espèces de maïs transgénique de la marque Novartis, chacune protégée contre les attaques d’une larve ravageuse : la pyrale.
19 février 1998. L’association Green-Peace saisit le Conseil d’Etat, contestant la régularité des procédures d’autorisation du mais Bt Novartis.
11 décembre 1998. Le Conseil d’Etat suspend l’autorisation de mise en culture du maïs transgénique de Novartis et renvoie la décision sur le fond à la Cour européenne de justice. Le tribunal européen n’a toujours pas rendu son verdict.

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Bibliographie sur les O.G.M.

Le Génie génétique appliqué à la production alimentaire, par Françoise Decloître et Christine Collet-Ribbing. Une synthèse intelligente, éditée par le Centre national d’études et de recommandations sur la nutrition et l’alimentation.(CNERNA). 
Organismes génétiquement modifiés à l’INRA
,
rédigé par des spécialistes de la question et découpé en quatre grands chapitres : OGM et agriculture, OGM et environnement, OGM et alimentation, OGM et santé humaine.
Plantes et aliments transgéniques,
par Jean-Marie Pelt (Fayard), un ouvrage qui aborde, en termes clairs, les questions éthiques, scientifiques et socio-économiques, posées par l’émergence des OGM.
Tais-toi et mange,
par le président de l’INRA, Guy Paillotin et Dominique Rousset, journaliste à France-Culture, édité par Bayard-Presse, dans la collection Sciences-Société, fait le point sur l’évolution du monde de l’alimentation.

Updated on 06 Octobre 2016