Le chien, meilleur ami de l’âme ?

Dominicain, le frère Xavier Loppinet est l’auteur de Mon chien me conduira-t-il au Paradis ? (Éd. du Cerf, 2020).Il explique comment l’homme peut devenir le « sauveteur de son prochain » grâce à son compagnon à quatre pattes.
16 Mai 2021 | par

Pourquoi avoir écrit ce livre ?
C’est un sujet qui me tenait à cœur depuis longtemps et qui s’enracine autant dans mon expérience personnelle – la rencontre fortuite des animaux dans mes randonnées – que dans une connaissance théologique. Cet ouvrage est né de la conviction que tout sur notre Terre, dans notre histoire, a de l’importance. En un mot : une Providence veille. Et celle-ci peut intervenir joyeusement par tous les éléments de la Création, spécialement les animaux. J’avais bien remarqué aussi que dans les évangiles de conversion, les animaux étaient présents : le fils prodigue fait un retour sur lui en regardant des cochons, Pierre se convertit au chant du coq, etc. Notre conversion intéresse la Création tout entière !

Pourquoi avoir choisi d’écrire précisément sur le chien et pas sur un autre animal ? 
L’élément déclencheur, c’est le récit de Pierre, l’un de mes amis sourds, à qui Dieu a signifié sa présence par le regard de son chien. Son chien l’a regardé de telle manière qu’il s’est dit : « Il y a quelqu’un à côté de moi ». Et il a alors entendu : « Viens et suis-moi ». Son chien s’est alors mis à remuer la queue et reprendre la route. En rentrant chez lui, il a appris par sa femme que le diocèse l’appelait à prendre en charge la pastorale des sourds. Je me suis alors dit qu’il y avait un sujet à développer : Dieu peut par un chien se manifester aux hommes.

Vous évoquez la présence de l’ange aux côtés du chien dans la Bible en faisant référence au Livre de Tobie. Qu’est-ce qui unit l’ange et le chien ? 
Le chien de Tobie est un joyeux compagnon de route. Il déboule dans l’histoire de Tobie au moment où celui-ci s’engage dans un périlleux voyage, avec l’ange Raphaël. Le chien les suit de son propre mouvement, manifestant une rare insouciance, comme s’il savait que la Providence allait veiller. Effectivement, il a, à côté de Raphaël, comme une mission de gardien et d’« évangéliste », au sens strict, d’annonciateur de bonne nouvelle. Au retour du périple, c’est lui qui devance Tobie et Raphaël pour annoncer par un battement de queue aux parents éplorés que le fils est vivant et va arriver. Autre exemple, dans la parabole du pauvre Lazare [Luc, chapitre 16], personne ne s’occupe de Lazare, sauf les chiens, qui sont ses compagnons, puisqu’ils partagent ou guettent ensemble le pain qui tombe de la table. Et, la phrase suivante : « Les anges emmenèrent Lazare au Paradis ». Si l’homme ne s’occupe pas de son prochain, la Création toute entière, de la bête à l’ange, s’en occupe. Lamartine dit joliment : « Là où il y a un malheureux, Dieu envoie un chien ». Ange gardien, chien gardien, les fonctions sont proches !

Le chien est-il un prophète ?
Je ne formulerai pas les choses ainsi. Il est plutôt un signe. Et en particulier signe du partage du pain. Je parle aussi de la figure de saint Roch, pauvre ermite dans la forêt, et de ce chien qui chaparde le pain pour lui apporter. Son maître, un riche Seigneur, suivit un jour son animal, et, voyant la bonne action de son chien, se convertit. C’est comme un signe qu’un chien peut conduire au Paradis.

Le chien peut donc guider l’homme vers le Ciel ? 
J’utilise deux images pour l’expliquer. Attention, il ne s’agit pas du chien en général, mais de « mon » chien, celui avec lequel j’ai établi une heureuse et généreuse complicité en vue du bien. C’est l’image du chien de pompier, spécialement formé pour sauver des personnes ensevelies dans les tremblements de terre. Grâce à ce chien, le pompier peut devenir sauveteur de son prochain. Le chien joue un rôle de démultiplicateur de charité, et c’est la charité qui nous conduit au Paradis. Sans le chien, l’homme ne pourrait pas retrouver à temps les victimes et, bien sûr, le chien tout seul n’arriverait pas non plus à soulever les gravats. Un beau travail d’équipe ! Autre image : celle du chien de traîneaux : matériellement, ce sont les chiens qui conduisent l’homme, mais c’est l’homme qui sait où il va.

Certains croyants, par peur des antispécistes, pourraient se montrer réticents devant cet intérêt porté à l’animal, même aux chiens. Que leur répondre ?
Mon idée de fond, c’est celle de Paul exprimée dans la lettre aux Romains (8, 19) : « La Création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ». Les animaux n’attendent qu’une chose, que l’homme se tourne vers Dieu. Quand l’homme se détourne de Dieu, le chaos se met en route. En revanche, l’ « homme de Dieu » rétablit une harmonie. C’est bien sûr le cas de saint François et du loup de Gubbio, mais c’est aussi le cas de tout maître qui a une relation juste avec son chien, comme un bout de Création qui lui est attachée de manière privilégiée.

L’animal domestique, en l’occurrence le chien, peut-il redonner de l’espérance aux hommes en ce temps de pandémie ?
C’est maintenant bien établi : la vente de chiens a explosé dans tous les pays depuis la pandémie. Ces animaux de compagnie sont vite compris – au moins intuitivement – comme un véritable don dans la vie des personnes en ces temps difficiles. Il est même possible que cette période change le rapport au chien. Un homme du métier faisait remarquer qu’avant la pandémie, les gens disaient : « je viens acheter un chien » et maintenant, ils disent : « je viens adopter un chien ». La responsabilité et la « reconnaissance » au sens de gratitude sont plus au centre de la relation, et c’est bien. Je remarque d’ailleurs, que souvent, les gens parlent en termes d’adoption réciproque. Qui a regardé le premier : l’homme ou le chien ? Qui a adopté qui ? « Tout le chien est dans son regard » dit justement Paul Valéry. Au fond, ces chiens de temps de pandémie redonne goût à la Création, à sa beauté et sa bonté. C’est essentiel pour revivre ! On remarque aussi que bien souvent, les clochards de la rue n’ont pas grand-chose, sauf un chien grâce à qui ils sont renvoyés à leur responsabilité. Le chien les humanise.

Votre ouvrage connaît un franc succès. Comment l’analysez-vous ?
Cela me dépasse un peu. Le titre est une question, et c’est à chacun d’y répondre, mais j’ai bien l’impression que si les lecteurs l’achètent, c’est qu’ils ont déjà des éléments de réponses bien ancrés en eux. J’ai été aussi surpris de voir comment ce livre a été acheté – parfois à plusieurs exemplaires – pour être offert à son voisin, ses proches, tous fous de chien. Peut-être se disent-ils  : « Je ne sais pas trop comment parler de Dieu, mais j’ai bien vu que le chien de mon voisin est super important. Alors je vais lui offrir ce livre, et on pourra en reparler. » C’est aussi une manière de reconnaître que le chien élève (au sens de hausser) mon voisin, et donc peut, peut-être même, le hausser jusqu’au Paradis. Et ce ne serait pas la première fois qu’un chien met en relation des « frères humains ».

Updated on 16 Mai 2021
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