Le linge en famille

01 Janvier 1900 | par

 Marie Laquier *

  Presque chaque jour, une publicité met en scène du linge : les torchons qu'une femme étend sur un fil, la chemise qu'un enfant macule de chocolat ou de ketchup, les nappes impeccables d'un restaurant, les draps immaculés d'une maternité...
Depuis l'apparition des machines qui tissent, façonnent industriellement et lavent au pressing ou à domicile, le statut du linge a bien changé. Tout est plus facile, et les enfants ne redoutent plus de se salir, ce qui donnait autrefois du travail à leur mère, à leur nounou. Le linge reste cependant un témoin des relations entre mari et femme, entre parents et enfants

Le trousseau des générations anciennes
Quelques vestiges en subsistent parfois sous forme de gros draps de toile inusables, mais encombrants : «Je vous ai mis les anciens draps du trousseau de ma mère, dit Antoinette à ses cousins qui ont passé la soixantaine. On est tellement bien dedans! Je ne les sors plus pour mes enfants et petits-enfants : ils préfèrent le coton traité, léger, sans repassage, qui prend moins de place dans la machine. Je comprends la jeune génération... Ma petite-fille de quatre ans, regardant le placard, m'a dit Mamie, quand tu seras morte, ces draps et ces torchons seront pour moi? Cette question aurait enchanté ma mère qui prenait grand soin de son trousseau pour le transmettre aux futures générations.»

L'homme ou la femme : qui lave et qui repasse ?
Le linge de maison et les vêtements, c'était l'apanage de la femme. Le lave-linge a favorisé un changement, même si les habitudes éloignent encore bien des hommes de la machine. Les femmes elles-mêmes se reconnaissent prisonnières de leurs modèles. Ainsi Geneviève confie-t-elle: «Mon mari m'appelle pour me demander: Je fais une machine: as-tu du linge à me donner? Bien que ce ne soit pas la première fois, je n'ai pas pu m'empêcher de le remercier en lui confiant mon petit paquet, alors qu'il ne m'a jamais dit un merci quand j'assurais les lessives. Et je trouvais cela normal...»
Le repassage dévoile encore davantage les rôles clivés dans les ménages: un mari n'attend-il pas tout naturellement de trouver des chemises prêtes dans le placard dès qu'il en a besoin? Il y a une trentaine d'années, un reportage montrait la scène de ménage provoquée par une telle revendication adressée par un conjoint à sa jeune femme féministe, laissant imaginer une prochaine séparation!

Entre les enfants adultes et leurs parents
Les jeunes mariés, dès qu'ils ont un enfant tout en travaillant, sont parfois un peu dépassés par les tâches autour du linge. Et s'ils cèdent à l'engouement pour les vêtements de coton ( C'est naturel et si agréable à porter!), les corbeilles débordent vite.
«Maman m'a fait mon repassage, confie Annick à sa belle-mère Chantal, et ça m'a bien soulagée.» La mère d'Annick est loin, et Chantal entend le message: elle propose d'assurer le repassage tant que le jeune couple n'aura pas trouvé une organisation stable pour le bébé et pour le linge. « C'est provisoire, dit-elle. Mais ils travaillent dur tous les deux, et je préfère qu'ils soient détendus pour s'occuper de leur fils. Seulement, je ne voudrais pas qu'ils deviennent dépendants de moi.»

Le linge : lien d'amour avec l'enfant
Karine et Jean connaissent une lourde épreuve : à la naissance, Dimitri était atteint de graves anomalies ; il est en pouponnière spécialisée depuis sa sortie de l’hôpital. Ses parents vont le voir aussi souvent que possible. Bien que l'institution propose de s'en charger, Karine tient à laver elle-même les petits vêtements de Dimitri. «C'est comme si j'imprégnais ses vêtements de ma tendresse, comme si je le caressais.», dit Karine. Le linge personnel est en effet, pour certains, une seconde peau qu'on ne confie pas à n'importe qui, ni à n'importe quelle machine. Ainsi, Madame V., venue de Taïwan, semble l'avoir oublié quand elle s'indigne auprès d'une amie: «Ma mère est venue passer un mois chez nous. Elle m’agace quand je la vois laver son linge de corps chaque soir dans le lavabo alors que nous sommes assez riches pour avoir une machine qui tourne chaque jour pour les enfants. Mais elle refuse de me confier ses affaires.» Une amie tente de lui expliquer: «Je comprends que tu sois contente et fière de ta machine. Mais pour bien des personnes, le petit linge, c'est l'intimité. Moi-même, je ne sais pas si j'oserais confier mes sous-vêtements à ma propre fille. Question de pudeur, je suppose.»

Une preuve de confiance
«C'est une question de confiance, dit encore Chantal. Quand Annick me donne à repasser le linge de son bébé ou les chemises de son mari, c'est bien. Ce qui me touche, c'est qu'elle me donne parfois, discrètement ses propres affaires. Je vois aussi passer de temps à autre une nappe, et je comprends que ce jeune couple parvient à garder une vie d'amitié, même si rien ne m'en est dit. Je m'en réjouis beaucoup pour eux, pour leur équilibre et pour ceux qu'ils accueillent.»
Confiance encore quand on laisse un peu de linge chez un proche aimé. Laurence vit dans le midi avec son mari et leurs trois enfants. «Quand je viens à Paris, je suis contente de trouver les quelques vêtements que je laisse pour moi et pour les enfants chez mes parents. Les bagages sont moins lourds, et, surtout, je me sens un peu chez moi, comme autrefois.»
A l'inverse, lors d'une crise conjugale, lorsqu'un conjoint emporte son linge, l'autre le prend comme un signe de rupture. «J'avais des soupçons, mais j'ai compris cette fois que c'est la fin de notre vie commune», dit Lise sans illusion.
En fait, le linge, dont on dit qu'on ne le lave qu'en famille quand il est sale, n'est-il pas un révélateur privilégié des relations que nous entretenons avec ceux qui sont appelés à partager notre intimité ?

_________________
* Marie Laquier est thérapeute de couple.

Updated on 06 Octobre 2016