Le match agriculture bio, agriculture raisonnée

22 Juillet 2004 | par

Les crises successives de la vache folle au poulet à la dioxine, en passant par les salmonelles, ont semé le doute parmi les consommateurs. Avec raison semble-t-il, comme en témoignent les résultats des analyses effectuées en décembre 2003 et auxquelles ont accepté de se soumettre 47 personnes dont 39 parlementaires européens provenant de toute l'Europe. Au total, 76 substances chimiques toxiques sur les 101 recherchées ont été détectées et les résultats montrent que le sang de chaque personne testée en contenait en moyenne 41.
Parmi ces produits, certains sont interdits depuis plus de vingt ans, ce qui prouve leur haute persistance dans l'environnement. Actuellement, chaque européen consommerait par an, en moyenne, 1,5 kilos de produits chimiques, colorants, résidus d'engrais et de pesticides. Or nous savons aujourd'hui, qu'ils sont à l'origine de nombreuses maladies, cancer, leucémie, perturbation du système hormonal, baisse de la fertilité et malformations congénitales à tel point que le professeur Dominique Belpomme, un éminent cancérologue auteur du livre Ces maladies créées par l'homme, a récemment rejoint le combat des écologistes.
Manger sain sera de toute évidence l'une des principales préoccupations du XXIe siècle. L'agriculture biologique qui n'utilise ni pesticides, ni engrais de synthèse, est sans doute le meilleur choix. D'ailleurs certains consommateurs se sont tournés vers le Bio mais, avec des prix de 15 à 20% plus cher, ce n'est pas à la portée de tous les porte-monnaie. L'agriculture raisonnée qui recommande de n'utiliser les produits chimiques qu'en dernier recours prétend être l'alternative. Mais en quoi consiste-t-elle ?
J'observe mes arbres et si je m'aperçois qu'il y a une maladie ou un parasite, alors seulement, j'ai recours à des traitements, explique Michel P. Cela limite le nombre d'interventions. Cet ingénieur agronome installé dans le Var cultive principalement des oliviers. Conscient des problèmes environnementaux, il restaure les terrasses de manière traditionnelle, entretient ses fossés mécaniquement et non chimiquement et, il a le souci du paysage et de la biodiversité.

Une fausse solution
En prônant des techniques adaptées selon l'environnement géographique, social et économique de chaque exploitation, l'agriculture raisonnée a donc pour but de diminuer l'utilisation des produits chimiques de synthèses. Depuis avril 2002, un référentiel en 98 points d'engagements tels que la traçabilité des pratiques, la santé et sécurité au travail, la maîtrise des risques sanitaires, le bien-être des animaux, la gestion des déchets... a été mis en place en France. Les exploitations qui le souhaitent sont soumises à un audit au terme duquel elles obtiennent la qualification agriculture raisonnée pour 5 ans, crédibilisée par des contrôles inopinés. Actuellement, ce fonctionnement n'existe qu'en France mais un cadre légal régularisant l'agriculture raisonnée devrait être adopté dans toute l'Europe dans les années qui viennent.
La démarche ne fait pourtant pas l'unanimité. Agriculture intensive ou agriculture raisonnée, c'est toujours de l'agriculture chimique, rétorque Christian G., agriculteur bio depuis une quinzaine d'années. Le choix pour l'avenir de la terre, pour notre environnement, pour notre santé et pour l'avenir de nos enfants n'est pas entre plus ou moins de chimique, mais entre chimique et biologique.
L'agriculture biologique, elle, considère notre planète dans sa globalité et pense à long terme. Ses objectifs : la protection de la terre, du consommateur et de l'environnement recherché. Ses moyens : vitaliser au maximum la terre pour lui (re)donner un équilibre naturel et (re)créer un biotope, notamment avec des haies pouvant héberger les prédateurs d'insectes ravageurs. Cet équilibre naturel est difficile à trouver, et la simple dérogation à cette façon de faire, comme un seul traitement chimique intempestif, peut détruire le travail de plusieurs années.
Oui mais, argumente Christiane Lambert, 42 ans, éleveuses de porc et présidente du FARRE, (Forum de l'Agriculture Raisonnée Respectueuse de l'Environnement), l'Agriculture Biologique ne représente en Europe que de 2 à 3% de la production selon les pays. Son objectif à terme est d'atteindre 15%. Il restera donc toujours 85% à produire. Nous, nous proposons de le faire avec le moins de dégâts possibles. Disons que la Bio, c'est l'effet excellence et que le raisonné, c'est l'effet masse.

Le principe de précaution
Mais pourquoi devrions-nous accepter un pis-aller ? En effet, si, à priori, l'agriculture raisonnée est séduisante, elle résiste mal à l'analyse. L'un de ses arguments, par exemple, est la baisse en volume de la consommation réelle de produits phytosanitaires, environ 20% en Europe, mais à y regarder de plus près, la démonstration ne tient pas la route. Les produits utilisés aujourd'hui sont en effet beaucoup plus concentrés. Il suffit donc maintenant de quantités infimes mais leur toxicité est proportionnelle à leur efficacité. Ainsi bien que le tonnage diminue, l'intensité des effets négatifs perdure sensiblement de la même manière.
Autre point qui chagrine, le refus de l'agriculture raisonnée de prendre position dans l'utilisation des OGM dont la contamination aux autres cultures est avérée, et dont nous ne savons pas, à long terme, leur effet sur l'homme ni par rapport à des produits aussi dangereux que le Gaucho ou le Régent, responsable entre autres de la mort des abeilles.
A l'heure où les erreurs du passé se révèlent, ne pourrions nous pas exiger au moins le recours au principe de précaution ? Est-il nécessaire de rappeler la lamentable histoire du DDT ? Lorsque ce pesticide organichloré fut découvert en 1939 par le chimiste Paul Muller, il est accueilli comme un miracle. Les récoltes augmentent de manière spectaculaire et il est utilisé pour contrôler la malaria en tuant les moustiques. En 1944, Muller reçut le prix Nobel pour sa découverte. Mais en 1962, la scientifique Rachel Carson remarque que les oiseaux insectivores meurent en masse dans les zones où le DDT avait été épandu. L'information est immédiatement réfutée par les fabricants de pesticides mais, les effets désastreux sont confirmés quelques années plus tard et le DDT finit par être interdit dans les années 1970.
Imprévisibles à l'époque, nous avons la chance d'être aujourd'hui informer et nous devrions en profiter pour ne pas réitérer les erreurs du passé. La législation européenne sur les produits chimiques va être profondément révisée. Un projet de loi appelé REACH (enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques) simplifie le système actuel très complexe d'autorisation de nouveaux produits chimiques et permet le contrôle de ceux qui sont sur le marché depuis de nombreuses années. En permettant d'identifier et d'éliminer les produits les plus dangereux, il réduira le risque pour la santé des populations humaine et de la faune, mais il ne doit rentrer en vigueur qu'en 2006 et ne sera pleinement efficace qu'en 2017 ! C'est long. N'aurons-nous pas passé le seuil de l'irréversible ?
Les intérêts économiques pèsent bien évidemment très lourds, tant du côté des industriels producteurs d'engrais de synthèse et de pesticides que du côté des lobbies bio qui bénéficient d'un marché florissant. Actuellement, aucun gouvernement ne peut imposer un changement de comportement à 180° mais chacun chez soi, nous pouvons renoncer aux produits chimiques. Les agriculteurs ne sont en effet pas les seuls responsables. Les légumes cultivés maison sont en effet souvent encore plus pollués que ceux de l'agriculture intensive. Un peu de bon sens et le retour aux bonnes vieilles recettes, comme les lâchers de larves de coccinelles aujourd'hui en vente dans le commerce et dévoreuses hors pair de ces pucerons, qui maltraitent aussi bien nos aubergines que nos rosiers, évitent le recours à tous ces produits si nocifs pour notre santé. Et puis, sur un marché, n'hésitons pas à acheter à un producteur bio. Nous aidons ainsi cette agriculture respectueuse à sa base. Ces simples attitudes responsables sont déjà un grand pas pour que nos enfants et petits-enfants reçoivent une Terre encore vivable.

Le prix du passé
L'agriculture intensive est apparue après la seconde guerre mondiale en ayant pour louable but de mettre fin aux crises alimentaires et d'assurer une autosuffisance agricole. Dans les années 70, la course aux rendements a conduit à bouleverser les pratiques agricoles et le paysage national : utilisation massive des engrais, labour des terres de plus en plus profond, abattage massif des haies, élevage en batterie de centaines de porcs et de milliers de poulets. L'hyper-spécialisation des régions a fait disparaître le système dit de polyculture élevage, jugé archaïque, et a favorisé une mécanisation souvent surdimensionnée par rapport aux besoins des exploitations familiales ayant pour conséquence l'endettement des paysans. Trente ans plus tard, le bilan des dégâts du progrès est très lourd. Pollutions agricoles, problèmes d'environnement, de sécurité sanitaire sans compter le découragement du monde rural.

Updated on 06 Octobre 2016