Le prêtre sera-t-il présent à mes derniers adieux ?

28 Octobre 2003 | par

Si je meurs demain... que fera mon Église pour le repos de mon âme et la consolation de mes proches ? En novembre 2001, Le Messager a consacré un premier article à la prise en charge des funérailles par les laïcs. Comment cette pratique évolue-t-elle dans nos églises ?
Récits et témoignages.

En septembre1997, en effet, les évêques de France avaient fait paraître un document de référence, Points de repère pour la pastorale des funérailles, à la suite duquel de nombreux diocèses ont encouragé la formation d'équipes de laïcs pouvant animer la célébration des funérailles ; et même les présider lorsque le prêtre ne peut être présent. Cette évolution est, certes, motivée par la diminution du nombre de prêtres, leur âge et leur surcharge, mais également par des raisons théologiques : c'est toute l'Eglise qui est responsable de l'accompagnement des familles en deuil. Des laïcs engagés, des prêtres, des évêques expliquent leurs choix.

Une réalité contrastée
D'après les Pompes funèbres, il y avait, en 1995, 82,5 % des funérailles catholiques, 14 % civiles. Un sondage CSA pour La Vie-Le Monde auprès de 1014 personnes, en 1994, révélait que sur  63 % qui se déclarent catholiques, dont 5 % très pratiquant, 15 % assez pratiquant et 31 % peu pratiquant, 56 % ne croient pas à la résurrection des morts.
En 1992, une enquête menée auprès des secrétaires des commissions nationales de liturgie, montrait que, en Europe, l'on meurt majoritairement à l'hôpital. Ce sont en majorité des prêtres qui préparent les funérailles avec la famille et, lorsque le prêtre ne peut être présent au cimetière, il n'y a en général aucune prière d'adieu sur la tombe.

Messe ou pas messe ?
Le rituel prévoit trois étapes : la veillée de prière en famille ; la cérémonie des obsèques ; le dernier adieu au moment de l'inhumation. Les funérailles ne sont pas un sacrement, la cérémonie peut donc être célébrée par un prêtre, un diacre ou un laïc. Lorsque la famille demande une messe et que les funérailles ne peuvent être présidées par un prêtre, celle-ci est seulement différée.
Messe et funérailles ont été très tôt associées dans l'histoire de l'Église, pour souligner l'union entre l'événement de la mort et la résurrection réalisée dans le Christ, qui ouvre nos cœurs à l'espérance. Pendant très longtemps, à cause du jeûne eucharistique, on ne célébrait pas de messe l'après-midi, jusqu'à ce que le pape Pie XII les autorise en 1953. C'est pour cette raison que l'on trouve dans des testaments espagnols du XIVe siècle l'exigence de n'être enterré que le matin, et avec une messe. 

Une nécessaire souplesse
Plusieurs semaines après, Mme X en est encore bouleversée. Ma sœur, dit-elle, est allée à l'enterrement d'une amie, une dame pieuse. Sa famille voulait avoir une messe, mais le prêtre de la paroisse, à la campagne, lui a fait dire qu'il ne célébrait plus de funérailles, et que désormais des laïcs s'en occuperaient. Ils ont donc appelé un ami de la dame, un bénédictin, qui a accepté de sortir de son monastère. Mais l'équipe de laïcs, au nom de l'égalité de tous devant la mort et parce que tous les enterrements étaient célébrés ainsi dans le village, lui a refusé le droit de célébrer. Cette dame a été enterrée sans messe.  
La messe n'est pas un droit, l'absence de messe n'est pas une loi , notaient en 1997 les Points de repère pour la pastorale des funérailles. Les évêques recommandent en général la souplesse et, autant que possible, l'accord avec la famille.
 
Des prêtres expliquent leur choix
Dans le diocèse de Bourges, deux prêtres ont choisi de former des laïcs tout en continuant à célébrer eux-mêmes, dans la mesure du possible, toutes les funérailles chrétiennes, avec ou sans messe.
Le père Serge Jaunet, 56 ans, est curé du Blanc et de 10 autres clochers, avec, au total, 15 000 habitants. Sur son territoire, lui sont demandées environ 150 sépultures par an. En Berry, explique-t-il, ce n'est pas comme dans les grandes villes : il y a plus de monde aux enterrements qu'à la messe du dimanche. Comme beaucoup des habitants sont à la retraite, ils viennent et manifestent leur amitié à la famille. Un jour, un monsieur m'a même demandé : Monsieur le curé, quand revenez-vous pour un enterrement ? Ça me désennuie... Pour moi, les enterrements sont donc un premier contact avec les personnes que je ne vois pas à l'église ; une occasion d'évangélisation ; c'est pour cela que, avec ou sans messe, je préfère les célébrer.
Mais le choix de la messe pose lui-même des problèmes. Quand les familles viennent me voir et demandent une messe , elles signifient par là une cérémonie à l'église . Cela me semble une suite logique de célébrer l'eucharistie pour l'enterrement de quelqu'un de pratiquant. Mais, quand je prévois que personne ne communiera, je préfère suggérer de ne pas la célébrer. C'est terrible de s'avancer pour donner la communion et de ne voir personne venir, pas même les pratiquants réguliers qui n'osent pas, par respect pour la famille en deuil.
Je ne veux pas devenir un fonctionnaire
Nous avons aussi fixé que je ne célébrerai pas certains jours de la semaine où je suis occupé. Si la famille ne veut pas attendre, l'enterrement sera animé par l'équipe des funérailles. Mais je ne veux pas de cette division du travail qui fait que les laïcs rencontrent les familles, préparent avec elles les funérailles et que j'arrive, juste pour consacrer  - s'il y a une messe - et repartir après, sans avoir rencontré personne. Je ne veux pas devenir un fonctionnaire diseur de messe.
Former des laïcs
Le père Éric Robert, 43 ans, est curé du village voisin de Tournon-Saint-Martin et de 10 autres clochers, avec 5 000 habitants. Il célèbre environ 60 enterrements par an : Les gens ont ici le culte des morts, dit-il. Ils viennent pour la Toussaint, les Rameaux et les enterrements. La mort n'est pas vécue comme un traumatisme, elle fait partie de la vie. On croit à un Dieu de vie, à l'au-delà, mais cela ne change rien à la vie de tous les jours ; c'est une religion païenne. Avant de venir ici, je ne célébrais que 5 ou 6 enterrements par an. C'était facile. Mais quand il y en a plusieurs dans la même semaine, on a vite l'impression de se répéter. J'aimerais que les équipes de laïcs, qui ont commencé à se former, s'occupent de visiter les familles avant et après la cérémonie, d'animer les chants et de dire un mot pour le défunt.
Nous n'avons rien de mieux à donner
Il y a des enterrements faciles, poursuit le père Éric, dans lesquels la famille apporte sa foi, ou ne vient rien chercher. Mais il y a des familles dont je sens le vide spirituel, une attente. Alors, c'est le principe des vases communicants, je me sens aspiré. Je donne tant que je peux et, après, je suis vidé. Cela aboutit le plus souvent à un résultat : on vient me remercier - ce qui est important -, et je vois des gens qui se posent des questions, qui se remettent en route. Mais, après deux enterrements comme cela dans ma journée, je n'ai plus qu'à aller me coucher. C'est peut-être parce que je suis encore jeune , mais j'espère que cette sensibilité au vide spirituel des gens ne me passera jamais. Quand je rencontre les familles, je leur explique ce qu'est la messe et, s'ils ne la refusent pas, je la célèbre. Il se passe à ce moment-là quelque chose de tellement important ! Nous, prêtres, n'avons rien de mieux à donner...

Les évêques en parlent
L'adaptation des rites au nombre décroissant de prêtres et la prise de responsabilité de laïcs se fait parfois dans la douleur. Dans le diocèse de Digne, par exemple, Mgr Loizeau a décidé que, si le prêtre de la paroisse n'est pas libre et que la famille ne veut pas changer de date, les funérailles chrétiennes seront célébrées par des laïcs. Il en donne les raisons à ses fidèles dans une lettre ouverte, pleine d'émotion.
Il y a sept ans, le conseil presbytéral et le conseil pastoral diocésains rédigeaient, à la demande de mon prédécesseur, des orientations diocésaines pour les funérailles. Ce texte d'orientation a permis une participation progressive des laïcs à la pastorale des funérailles : accueil et accompagnement des familles en deuil, participation plus active à la prière liturgique des funérailles, prière au cimetière. Mais ils n'envisageaient pas l'hypothèse d'une conduite de la célébration des funérailles chrétiennes par des laïcs. Les prêtres tenaient alors à redire toute l'importance qu'ils accordent à cet aspect de leur ministère et leur volonté d'être présent à ce lieu d'évangélisation. Cette conviction reste aujourd'hui la leur, toujours aussi forte.
Depuis sept ans, la situation a bien changé : les prêtres en ministère paroissial sont aujourd'hui deux fois moins nombreux, et ils ont... sept ans de plus. Leur volonté de disponibilité est intacte mais certains d'entre eux sont à la limite du possible. Leur évêque se doit, pour eux et pour vous, de leur préserver les conditions d'un ministère équilibré. [...] Les prêtres ne peuvent plus assurer seuls la mission de l'Église dans les situations de deuil. [...] Je sais que l'introduction de cette nouvelle manière n'ira pas sans difficultés. Nous touchons là un domaine où les sensibilités sont vives. Il nous faut pourtant vivre positivement cette évolution si nous souhaitons que l'Église puisse continuer sa mission auprès des familles en deuil. J'ai la conviction qu'il n'y a, pour l'heure, pas d'autre choix.

Des laïcs s'engagent
Éliane Lalanne habite le village de Mérigny, en Berry. Cet été, voyant le prêtre débordé, elle s'est proposée pour l'aider. Je m'étais dit que je m'engagerais dans ma paroisse une fois à la retraite. J'étais arrivée depuis peu quand, il y a quatre ans, ma marraine est décédée. Le prêtre, sûrement plein de bonne volonté mais très âgé, s'est perdu dans ses papiers et son prêche était sans espérance. Ça n'était pas du tout apaisant. Sans l'avoir prévu, je me suis levée à la fin de la célébration pour dire un petit mot pour ma famille. Tout le monde m'a remerciée. Je fais partie depuis un an des équipes de funérailles et je me doute que je devrai un jour les animer. Je suis une formation. J'en ressors pleine de vie. Pour moi, ce sont les vivants qui comptent.
Viviane Dumont a été, pendant 9 ans, responsable de la formation en pastorale des funérailles à Paris. Elle raconte : Dans la capitale, explique-t-elle, les funérailles chrétiennes sont toujours présidées par un prêtre. Les laïcs vont à la rencontre des familles pour préparer la cérémonie, les accueillent à l'église puis gardent le contact, invitent à la paroisse pour les messes anniversaires, la Toussaint, Pâques. Je me suis aperçue que les personnes qui demandent des funérailles chrétiennes et qui sont loin de l'Église sont plus touchées par des gestes, un accompagnement, un rituel qui pacifie, que par des paroles. La foi en la Résurrection et l'espérance chrétienne restent, à ce moment, pour elles, des notions floues.
Maritxu Pareti, 52 ans, est depuis 10 ans aumônière au CHU d'Auch. Elle célèbre une soixantaine de funérailles par an.  À l'hôpital, je viens quand le malade ou la famille me le demande. Quand un décès a eu lieu, je propose aux gens les différentes formes de funérailles, chrétiennes ou laïques. Il m'est arrivé de recevoir un couple qui venait de perdre sa fille, jeune. Ils se disaient athées, mais ils ont choisi des funérailles religieuses. Nous avons préparé la cérémonie, longuement. Ils étaient inquiets de savoir où serait enterrée leur fille : Elle n'était pas baptisée... sera-t-elle enterrée dans un lieu du cimetière réservé aux non-baptisés ? Je les ai rassurés en disant : Mais c'est fini ça, depuis longtemps ! . Après la cérémonie, je suis passée la dernière pour leur présenter mes condoléances. La femme m'a dit : Je n'aurais jamais cru que l'Eglise était aussi accueillante ! Les funérailles sont une fantastique opportunité de catéchèse.

Updated on 06 Octobre 2016