Le rire et nous

01 Janvier 1900 | par

On a dit du rire qu’il était parfois entendu, déplacé, pincé, méchant, sournois, épanoui, complice, nerveux, franc ou bête.
Le sourire commercial est bien connu et l’on sait que l’on peut être malade de rire; ce qui présente quelques risques car le rire est, aussi, contagieux. Lorsqu’ils explosent, des éclats de rire peuvent blesser. Mais qu’est-ce que le rire ?
Tenter de répondre à la question, avec un rien de sérieux, n’imposerait pas de remonter au déluge si l’écho de certains rires irrespectueux des fils de Noé, constatant l’état d’ivresse du patriarche, qui avait quelque peu abusé du jus de la treille, plantée au sortir du cataclysme divin, n’était encore dans toutes les mémoires et les scandalisait.

Rabelais en riait déjà

Dans l’Antiquité, les Ris étaient de malicieuses divinités païennes qui présidaient à la gaieté. Nous nous contenterons d’un modeste retour en arrière d’un demi millénaire, pour retrouver, en la Renaissance, le temps d’un joyeux étudiant errant, franciscain, bon médecin et aussi curé de Meudon : François Rabelais. Celui qui sut user de sa verve truculente pour affirmer :
Mieux est de ris que de larmes écrire Pour ce que le rire est le propre de l’homme !
Ainsi, depuis l’an 1534 et la révélation de L’inestimable vie du grand Gargantua, le rire nous est bien particulier. Cela étant, dans sa diversité, il garde son mystère et ce n’est pas le moindre de ses charmes.
Tout ce qui a pu être dit ou écrit sur le rire concourt à rendre plus évidente l’importance de la place tenue dans notre vie par ces curieuses manifestations de gaieté que sont l’hilarité, le fou rire, le gros rire, la risette de l’enfant, le sourire de l’innocence et toute autre aimable humeur plus ou moins extériorisée.

Perdue, la journée où l’on n’a pas ri

Tel propos, marqué au coin du sérieux et de la sagesse, ne manque pas d’assurer : La plus perdue des journées est celle où l’on n’a pas ri . Chamfort le prétendait. Et, en dépit de son apparente légèreté, ce mot pour rire du jeune académicien français du XVIIIe siècle exprimait bel et bien une vérité maintes fois vérifiée depuis.
Venue bien plus tard, une réplique de comédie d’Eugène Labiche est plus artificielle. Mais la robuste bonhomie de son auteur nous oblige toujours à pouffer : Un homme ne doit cesser de rire que lorsqu’il a perdu toutes ses dents !
Tout cela pour nous convaincre, comme s’il le fallait encore, que le rire est bon et a, de tous temps, été de première nécessité pour l’homme. Certains rieurs ont aussi ajouté que pour vivre longtemps en bonne santé, ils ne connaissaient pas de meilleur désinfectant de la rate et du foie !
Mais pour ce qui est de la naissance provoquée plus ou moins spontanée du rire et sa nature même, Molière quelque peu désabusé, disait seulement : C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens . Faire rire est une chose. Savoir rire en est une autre. Etre gagné par le rire et Rira bien qui rira le dernier , a pu prétendre un fabuliste.

Se presser de rire

Le rire peut naître du comique, mais cet épanouissement de la gaieté ne procède pas toujours de la drôlerie d’un mot, de l’imprévu d’une situation ou d’une raillerie savamment distillée. Il peut, aussi, être une mimique d’appel à une complicité de bon aloi.
Sans profiter de l’occasion pour lui extorquer une consultation gratuite (ce qui ne le ferait pas rire du tout), votre médecin vous dira que le rire est fait de contractions à caractère convulsif ou spasmodique des muscles de la face, dont les fameux risorius qui ont trouvé leur nom en agissant sur nos commissures de lèvres pour nous faire exprimer une joyeuse humeur. Dans le rire intense, les muscles respiratoires, ceux de la phonation et parfois aussi ceux des membres peuvent entrer dans le jeu également, d’une manière irrésistible. Un rire convulsif s’accompagne souvent de larmes, mais cela n’a rien de triste, bien au contraire. Semblant anéanti par le passage d’une soudaine tornade, le rieur qui s’est ainsi pâmé, doit toujours faire un tel effort pour retrouver la sérénité...
Rire, même à s’en rendre malade, n’effrayait pas La Bruyère : Il faut, prétendait-il, se presser de rire avant être heureux, de peur de mourir sans avoir ri !

Sourire puis rire

Psychologues, philosophes, thérapeutes de toutes sortes, romanciers et poètes, ont aussi su parler du rire : chacun l’a fait à sa manière... L’ayant apprécié comme un breuvage agréable dont l’écume pétillante est de saveur assez amère. Bergson assurait : Le rire châtie en humiliant .
Dans un rire qui est autre, il nous montrait aussi du mécanique plaqué sur du vivant. Dostoïevski, lui, connaissait l’homme à son rire : Si, disait-il, à la première rencontre, un inconnu rit d’une manière agréable, le fond est excellent !
Depuis Alain, le sourire est connu comme la perfection du rire : Il rassure l’autre sur soi et toutes autres choses autour . Mais il n’est pas qu’un sourire. Mille nuances séparent l’ineffable expression de l’ange statufié de la cathédrale de Reims, du fameux sourire de l’énigmatique Joconde. Touchant à l’infime, cette précision dans l’extériorisation du rire ajoute à la valeur du moindre sourire.

Qu'est-ce que le rire?

Voici le rire, multiple, divers, et qui, selon la devise du théâtre d’Arlequin corrige nos mœurs en nous divertissant.
Ce rire ultime fustige l’odieux rictus du fourbe dont la grimace calculée rejoint dans l’ignominie le sarcasme goujat des moqueries venimeuses. La gaieté de bonne compagnie méprise l’ironie outrageante et déplacée autant qu’elle rejette le rire dont on a honte : ces fleurs vénéneuses et ces mauvaises herbes n’ont pas leur place dans les jardins extraordinaires de la fantaisie ou de talentueux artisans, qui, modestement, ne se veulent que joyeux drilles ensemencent d’humour des parterres de bons mots et cultivent le paradoxe pour nous faire rire davantage.
Mais, malice est bien ici mère d’infortune : ne dit-on pas de ceux qui dépensent d’ardeur pour nous faire rire qu’ils sont... impayables ? Raymond Devos – ce maître – a su, finement, en scène, nous le faire remarquer...
Mais, demande toujours le rieur, finalement, le rire, c’est quoi ?
– C’est tout ! Tout et rien à la fois. Quand tout vous amuse, un rien vous fait rire.
Et... nous en resterons là, laissant le rire se propager joyeusement. Il en a la plaisante habitude.

LE RIRE DANS LA BIBLE

Simple modification du visage, son de voix à peine articulé ou éclat bruyant et excessif, le rire est bien présent dans la Bible et exprime joie, bienveillance, surprise, assurance, incrédulité, sottise, moquerie, mépris.

Rire de joie sincere…


La joie est vraie chez Abraham et Sara, d’abord incrédules, puis étonnés de ce qui va réellement leur arriver : Dieu dit à Abraham : Ta femme, je la bénirai et je te donnerai d’elle un fils… Abraham tomba la face contre terre et il se mit à rire car il se disait en lui-même : Un fils naîtra-t-il à un homme de cent ans ? … Et Sara rit en elle-même, se disant : Maintenant que je suis usée, je connaîtrais le plaisir ? … (Gn 17, 15-17 ; 18, 12).

… éphémère


Du rire j’ai dit sottise , et de la joie, à quoi sert-elle ? (Qo 2, 2).

… trompeur


Malheur, vous qui riez maintenant ! car vous connaîtrez le deuil et les larmes (Lc 6, 25).

Rire de moquerie


Ils verront, les justes, ils craindront, ils se riront de lui (l’impie) (Ps 52, 8).

Rire du sot et du sage


Le sot éclate de rire bruyamment, le rire de l’homme de sens est rare et discret (Eccli 21, 20).

Rire de bienveillance


Evoquant ses jours de bonheur, Job dit : Si je leur souriais (aux chefs de la ville), ils n’osaient y croire, ils recueillaient sur mon visage tout signe de faveur (Jb 29, 24).

Rire de libération


Quand Yahvé ramena les captifs de Sion… notre bouche s’emplit de rire et nos lèvres de chansons (Ps 125, 2).

Rire joueur et éternel de la Sagesse de Dieu


Quand il traça les fondements de la terre… j’étais à ses côtés… jouant en sa présence en tout temps et trouvant mes délices parmi les enfants des hommes (Pr 8, 30-31).

 

 

Updated on 06 Octobre 2016