Le tour du monde en 72 jours
Pour cette exposition, la bibliothèque des papes a puisé dans le patrimoine du diplomate et philologue italien Cesare Poma (1862–1932) dont elle a hérité. Outre des monnaies, ou divers objets rares, ce passionné a accumulé une impressionnante collection de 1 200 quotidiens récoltés dans ses voyages sur tous les continents. Chaque pièce est pratiquement unique et difficile à classifier, puisque Cesare Poma a sélectionné des journaux de langues rares, ou improbables. Le visiteur pourra voir ainsi sous verre des Unes en langue hébraïque écrites en alphabet turc ou encore en guarani. Parmi ces journaux, les conservateurs ont découvert l’histoire burlesque de deux compères journalistes français, Lucien Leroy et Henri Papillaud, partis faire le tour du monde « sans le sou » et décidés à se financer sur le chemin. En bons Parisiens, ils n’envisagent pas cependant d’accepter n’importe quel emploi qui n’honorerait pas leur rang – ils ont d’ailleurs mis un smoking dans leurs bagages –, et ils décident de fonder un journal de route dont les encarts de publicité qu’ils vendraient serviraient de subventions. Ce journal, dont Cesare Poma a conservé plusieurs numéros, aura 14 éditions, dont une à Pékin et deux en Égypte, et connaîtra un tel succès que les deux rédacteurs pourront s’adonner à un train de vie somptueux. Ils seront reçus au cours de leur périple par le roi du Cambodge et l’empereur du Japon, mais tous deux connaîtront ensuite un déclin… avant de sombrer dans l’oubli. En reconstruisant le fil de leur curieuse aventure, la Bibliothèque vaticane a même consulté les archives du Figaro, où l’un d’eux a travaillé.
La « concurrente » de Jules Verne
À leur côté, la bibliothèque a mis à l’honneur une femme beaucoup plus connue, dont le destin fut de défier Jules Verne : l’Américaine Nellie Bly (1864-1922), pseudonyme de Elizabeth Jane Cochrane. Avant même de s’illustrer dans le monde entier, la journaliste d’investigation est connue pour sa vie professionnelle audacieuse, où ses enquêtes sous couverture dans des usines ou des asiles lui valent une renommée d’avocate de la cause féminine. Un jour que celle-ci a besoin de « vacances », l’idée lui traverse l’esprit de partir faire le tour du monde en faisant le pari d’être plus rapide que le Phileas Fogg de Jules Verne. Pour ce faire, Nellie doit d’abord convaincre son éditeur, farouchement opposé à laisser partir une femme seule. Elle a gain de cause et entre dans l’histoire en parvenant à boucler son tour du monde en 72 jours, portée par la ferveur populaire. Elle bat d’ailleurs les 76 jours de sa concurrente, Elizabeth Bisland, envoyée par un autre journal en même temps qu’elle, et dont Nellie apprend l’existence en cours de voyage. Cerise sur le gâteau : malgré sa course à la montre, Nellie réalise un rapide détour pour saluer Jules Verne en personne à Amiens.
Dans cette exposition visible jusqu’en décembre, la Bibliothèque a mis en lumière également Annie Londonderry (1870-1947), alias Annie Cohen, première femme à avoir réalisé le tour du monde en vélo. Partie sans valise, l’aventurière provoquera un tollé en osant se départir de ses vêtements féminins empesés de l’époque – les classiques corsets, jupes longues et lourdes sur des jupons ou des cerceaux de jupons, chemises à manches longues et cols hauts – pour endosser des pantalons d’homme. Elle réussira son exploit en 15 mois. Autres mises en exergue de femmes ayant lutté contre leur condition : Gertrude Margaret Lowthian Bell, première femme diplômée en histoire moderne à Oxford, et les jumelles Agnes et Margaret Smith, grandes voyageuses et chercheuses anglaises.
Pour la centaine d’employés de la BAV, l’afflux de visiteurs de tous bords dans le cadre de cette initiative est une nouveauté enthousiasmante, a assuré le père Giacomo Cardinali, responsable de la salle d’exposition. Les murs habitués aux doctorants ont accueilli une bicyclette, qui trône dans l’entrée comme un trophée, annonçant que la bibliothèque « n’est pas qu’un lieu de conservation mais aussi un lieu de voyage ».