Le troisième trésor de saint Antoine

30 Juin 2014 | par

Le père Alberto Fanton nous emmène à la découverte de la bibliothèque antonienne. Peu connu du grand public parce qu’il est situé en dehors des itinéraires de visites habituels, ce trésor littéraire conserve des documents d’une valeur inestimable par leur particularité historique et culturelle.

 

Après les dépouilles mortelles de saint Antoine et les objets conservés dans la chapelle baroque dite du Trésor, le troisième trésor de la basilique Saint-Antoine de Padoue est la bibliothèque antonienne. Sa construction remonte aux temps de saint Antoine, en tant que « librairie » de l’ancien couvent, afin d’offrir un support à l’activité pastorale des franciscains qui l’habitaient. Elle a par la suite été agrandie, après l’achat de nombreux manuscrits précieux. Il était donc légitime qu’elle soit installée dans des lieux adéquats, jusqu’à son emplacement actuel, dans un grand salon – aménagé entre 1698 et 1711 – dont les longues parois sont constituées de 24 grandes armoires, avec au fond de la salle deux globes parfaitement conservés, construits par le père Vincenzo Coronelli (1650-1718), cartographe et graveur de génie.

La bibliothèque a réussi à maintenir presque intact son riche patrimoine car elle n’a pas été touchée par les razzias et les dispersions du matériel, un cas quasiment unique parmi les bibliothèques anciennes. Toutefois, la bibliothèque a souffert des aléas de la politique italienne, jusqu’à devenir, après les Accords du Latran de 1929, une propriété du Vatican. C’est pour cette raison qu’elle a pris le qualificatif de bibliothèque « pontificale ». Les frères de la basilique ont gardé, au fil des siècles, la direction et la tenue de la bibliothèque, actuellement confiée au père Alberto Fanton.

 

La pièce la plus précieuse

Le père Alberto, entré très jeune au séminaire de Camposampiero, a parcouru sereinement son chemin de formation franciscaine : le lycée à Brescia, le noviciat à la basilique Saint-Antoine, la profession religieuse, l’étude de la théologie, l’ordination sacerdotale, et enfin le transfert vers Rome pour obtenir une spécialisation en théologie spirituelle à l’Université Grégorienne. De retour à Padoue, il est chargé d’enseigner à l’Institut Théologique Saint-Antoine-Docteur et, peu après, il devient aussi directeur de la bibliothèque provinciale. Suite à la proposition du supérieur provincial, le Saint-Siège le nomme, en 2009, directeur de la bibliothèque antonienne.

« J’ai dû remettre à niveau les notions que j’avais acquises sur les bibliothèques anciennes – souligne le père Alberto – car des réalités comme celle-ci ne peuvent être adaptées aux caractéristiques modernes. » Je lui demande à quand remonte le codex le plus ancien. « Au fil des années, des codex et des manuscrits précédant l’arrivée des franciscains ont été achetés. Nous avons au moins deux codex du IXe siècle. Dans l’un d’entre eux, le manuscrit I-27, il est question du sujet du calcul du temps, qui passionne encore les spécialistes en astronomie. »

À la question de savoir lequel est le plus « précieux », le père Alberto est sans appel : « Pour nous Franciscains, le plus précieux des manuscrits est le XXIV-720, le codex donné aux frères en 1237 par le magister Aegidius, chanoine de la cathédrale de Padoue, qui contient les Sermons de saint Antoine. Le saint était mort depuis six ans seulement. La personne qui a rédigé la copie de ses sermons a donc très probablement eu accès à des textes de « première main ». C’est sur cette copie que les spécialistes se sont appuyés pour rédiger l’édition critique des Sermons.

 

Des codex et des incunables

Dans la bibliothèque sont conservés 828 manuscrits, dont 600 remontent au Moyen Âge, y compris les 41 grands livres de chœurs du XIVe siècle pour la prière liturgique, agrémentés de précieuses enluminures. Ce riche répertoire est complété par 230 incunables (imprimés avec des caractères mobiles entre la moitié du XVe siècle et l’année 1500), recueillis en 195 volumes, et 3 200 éditions du XVIe siècle.

En pêchant dans le très vaste « fonds » des codex médiévaux (les « fonds » sont les secteurs dans lesquels est organisée la bibliothèque, ndlr), le père Alberto prend comme exemple quelques-uns des trésors qui y sont conservés. En commençant par la Bible parisienne glosée en 25 volumes, décorée d’enluminures du magister Alexander, directeur de l’un des principaux ateliers de Paris, offerte vers 1240 par le chanoine de la cathédrale, Uguccione. Ensuite vient le missel constitué d’enluminures sur des pages entières, offert en 1461 par Bianca Maria Visconti Sforza en ex-voto pour la guérison de son fils, Ludovic le More.

Parmi les raretés, le père Alberto cite le code 322 qui contient des œuvres de Gioacchino da Fiore, l’abbé calabrais du XIIe siècle qui a marqué par ses textes la théologie et la philosophie de son temps et le Traité sur la Trinité d’Acardo di san Vittore, une œuvre peu connue, retrouvée dans les années 50 par la chercheuse Marie-Thérèse d’Alverny.

Parmi les curiosités en revanche, la lettre de Ghezo à Vanni datant de 1314, à la calligraphie presque indéchiffrable, un document d’une importance majeure dans la formation de la langue italienne.

Le père Alberto explique : « Nous avons aussi d’importants documents de la première génération franciscaine, comme des exemplaires de Ordo breviarii et missalis (le calendrier des messes et des festivités liturgiques) remontant à la deuxième moitié du XIIIe siècle.

 

Les autres « fonds »

D’autres « fonds » enrichissent le patrimoine de la bibliothèque antonienne : l’archive de la Vénérable Arche de saint Antoine et l’archive musicale.

Le premier abrite la documentation de l’activité administrative de l’Arche depuis sa fondation jusqu’à nos jours : des chiffres arides, des actes ennuyeux, qui peuvent cependant se transformer en sources précieuses d’information sur l’histoire du sanctuaire et sur les activités des grands artistes qui y ont travaillé. Les rémunérations et les frais de réalisation de leurs œuvres ont été minutieusement enregistrés.

Le deuxième fonds relève de la tradition musicale du sanctuaire. Dès la fin du XVe siècle, les liturgies étaient accompagnées par les chants de la prestigieuse Cappella Musicale, qui a connu pendant le XVIIIe siècle un énorme succès, grâce aux chefs d’orchestre et aux compositeurs de génie comme le père Francesco Antonio Vallotti, et à des musiciens comme Giuseppe Tartini, violoniste et compositeur parmi les plus importants du courant de la musique baroque. Pour empêcher la dispersion de ces œuvres, au XVIIe siècle un fonds a été construit pour les conserver. Au fil des siècles, le fonds musical s’est enrichi en devenant une mine d’or : parfois des spécialistes ont découvert des morceaux inédits – ceux de Tartini sont les plus célèbres – qui sont joués par les meilleurs orchestres. n

Updated on 06 Octobre 2016