L’éducation au goût

De gustibus non disputandum est (en matière de goûts, on ne discute pas)... Le goût est une affaire très personnelle, mais s’éduque-t-il ? Et comment ? Des parents et éducateurs donnent leur vision des choses.
22 Octobre 2023 | par

L’éducation au goût est un domaine qui s’est beaucoup développé ces dernières décennies. En témoigne la fondation de l’Institut du goût en 1976 en France, qui a conçu une pédagogie adaptée aux enfants, afin de leur apprendre à « goûter », à « nommer leurs sensations » et à s’émanciper des goûts « préfabriqués ». Outre les « Classes du goût » dans les écoles maternelles, de plus en plus de professionnels se penchent sur la petite enfance (0-2 ans) qu’ils estiment être « la période d’acquisitions sensorielles la plus riche et la plus intense de toute la vie ».
Déjà Maria Montessori, dans la première moitié du XXe siècle, fondait sa méthode éducative sur l’écoute des sens. Elle préconisait entre autres de « faire confiance en les capacités de l’enfant à se réguler », explique le site internet de « Ma Petite école Montessori », ouverte dans le 15e arrondissement de Paris. « Ainsi, laissons l’enfant se servir une portion dans son assiette. Il connaît son appétit et sa satiété. […] N’hésitez pas à faire participer vos enfants à la préparation des repas : ils adorent. Selon son âge, il peut vous aider à découper, éplucher, laver les légumes, verser, assaisonner… Ces activités lui permettront également de progresser en termes d’autonomie. Laissez-le goûter, toucher, sentir s’il est curieux : les expériences sensorielles sont importantes. Grâce à ces dernières, il va affiner ses sens et stimuler sa curiosité ».

La conscience de la valeur des choses
Jérôme, infirmier dans un service d’Urgences dans le Jura, et père de quatre enfants de 7 à 16 ans, a été éduqué « de façon rigoureuse sur l’alimentation ». « Comme tous les enfants, on aurait préféré manger des frites toute l’enfance mais il a fallu manger des haricots verts », plaisante-t-il. Avec ses propres enfants, il estime que l’injonction à « finir son assiette » est un principe sain, et ce « autant par conviction que les enfants doivent voir le bon en tout ; que par rejet viscéral de l’enfant roi qui n’a pas assez de ketchup, ou encore par refus du gaspillage d’aliments qui finissent à la poubelle ».
Au-delà des goûts personnels, cette éducation à « manger de tout » est importante pour « le respect du travail qui est derrière », souligne Jérôme, qui défend le labeur du paysan, « seul métier qui crée quelque chose, qui apporte une valeur ajoutée, qui rend cent graines pour une ». Car le goût va de pair avec la conscience de la valeur des produits, estime en substance le père de famille qui promeut la cuisine maison, les denrées naturelles. « On essaie de vivre avec les fruits de saison, et d’éviter le chimique, même si une boite de Haribo aura son succès chez nous ! Mais on essaie de ne pas tomber dans la facilité purée-saucisse faute de temps. En même temps, reconnaît-il, dans notre environnement rural, on a la chance de pouvoir le faire, de trouver un juste milieu entre la facilité et la nécessité ».
 
Le beau mène au bon

De même Luce, mère de famille et enseignante, entretient un potager et poulailler dans la campagne drômoise, y voyant un élément décisif dans l’éducation de l’enfant. « Pour apprendre à apprécier et sentir la valeur des produits frais, lui proposer d’avoir son propre carré potager est un plus. C’est toujours plus motivant pour un enfant de goûter un légume qu’il a lui-même fait pousser ». Elle privilégie « des produits bruts, qui ont du goût, et pas trop d’industriel ». Mais plus largement, Luce englobe l’éducation au goût du palais dans « l’éducation au goût des bonnes choses », qui ne se réduit pas à l’alimentation. « Chez nous par exemple, on est assez pointilleux sur le goût des belles lettres, sur la qualité des lectures pour enfants, des films et des nombreuses propositions culturelles ». C’est dans cet ensemble que l’enfant apprend à exercer son goût.
« L’éducation au goût passe par l’art et par le fait que le beau mène au bon et le bon mène au bien, abonde Jérôme. Ce ne doit pas être une obsession mais cela doit baigner le quotidien. Il doit y avoir une sorte de globalité ». S’il convient qu’il existe une part de « subjectivité » dans les critères du beau, il estime qu’il est « en grande partie objectif ». « Mozart ne vaut pas le groupe NTM… non. On essaie d’exposer le plus possible nos enfants au beau, qui peut être aussi très simple, il ne s’agit pas forcément d’aller tous les dimanches à la messe dans la cathédrale de Chartres ou à l’Orangerie », conclut-il.

Updated on 22 Octobre 2023
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