L’Eglise au Soudan forte dans la souffrance

01 Janvier 1900 | par

Depuis 1957, le Soudan connaît un conflit entre le Nord et le Sud, aggravé, depuis 1983, par une guerre civile. A l’occasion de la Semaine Missionnaire Mondiale, missionnaires et témoins confient aux lecteurs du Messager leurs souffrances et leurs appels à la paix.

– Le Messager. Quand et comment le christianisme est-il apparu au Soudan ?
– Père Hubert Barbier. C’est dès le 1er siècle que le trésorier de la reine de Candace, (titre des reines de Méroé, l’actuelle Nubie, au cœur du Soudan), a été baptisé. L’épisode est évoqué dans les Actes des Apôtres (8, 26-39). Mais ce baptême n’a pas eu de suite. A partir du IVe siècle, le peuple nubien, occupant une grande partie du Nord Soudan, en contact avec les coptes d’Alexandrie, se christianisa et dès le VIe siècle, des missionnaires furent envoyés au Soudan par la reine de Byzance et par son époux. Trois royaumes chrétiens vont ainsi se développer dans le Nord du pays.
Le Soudan est sans doute le seul pays d’Afrique qui a résisté pendant presque 900 ans à l’invasion arabe ! L’ère musulmane commence en effet en 620. Après la prise d’Alexandrie, les Arabes tentent de pénétrer au Soudan, mais ils se heurtent à une forte résistance. Un accord commercial est signé entre Arabes et Kouchites (Soudanais). C’est également un pacte de non-agression. La création du barrage d’Assouan (1970) a permis de découvrir des basiliques et des églises des IXe et Xe siècles et quelque 130 à 150 fresques presque intactes. Des œuvres de toute beauté, qui témoignent de la vitalité chrétienne. Il y a donc eu une chrétienté, mais sans clergé local. Par la suite, des mariages avec des Kouchites ou Nubiennes ont favorisé les infiltrations arabes. Le premier royaume chrétien passe sous la domination arabo-musulmane aux XIIe-XIIIesiècles. Sous la poussée d’une tribu africaine du Sud (les Funj), le troisième royaume tombe en 1504 et c’est à partir de ce moment-là que l’on peut parler d’islamisation du pays. L’Eglise, non soutenue de l’extérieur, périclite. Mais, au XIXe siècle, la foi chrétienne va resurgir, sous l’impulsion, notamment, d’un missionnaire italien, Daniel Comboni (1831-1881), béatifié le 17 mars 1996. « Je me suis fait missionnaire, écrivait-il, pour travailler pour la gloire de Dieu et donner ma vie pour le bien des âmes. » Un véritable résumé de toute sa vie apostolique. C’est alors que commence ce qu’on appelle la seconde évangélisation : dès la fin du XIXe siècle, en effet, les missionnaires reviennent au Soudan, d’abord au Nord puis au Sud.

– Cette seconde évangélisation se déroule, depuis un siècle, sur fond de troubles politiques…
– Certes ! Libéré, dès les années 1880, de la tutelle ottomane par un mouvement nationaliste à forte inspiration islamique, le pays est soumis, à partir de 1899, à la double domination égyptienne et anglaise. Le début du XXe siècle a vu différentes tentatives d’indépendance, mais ce n’est que le 1er janvier 1956 que le Soudan devient indépendant. Un slogan est alors appliqué : un pays (aucune confédération avec le Sud) ; une religion (imposer l’islam à tout le pays, alors qu’il n’y avait que 7 à 8 % de musulmans dans le Sud) ; une langue (imposer l’arabe à tout le pays, alors que la langue officielle du Sud était l’anglais).
Six mois avant cette date historique, un conflit avait éclaté entre le Sud et le Nord, entre les Arabes et les Africains, ce qui fait dire à Mgr Paride Taban, actuel évêque de Torit (Sud Soudan), « que le conflit est d’abord un conflit racial avant d’être un conflit ethnique, religieux et économique ». Ce conflit n’a pris fin qu’en 1972 et s’est soldé par 7 à 800000 morts.

– Y a-t-il eu persécution contre les chrétiens et contre les minorités africaines ?
– En effet, alors que commence la première guerre civile du Sud, le double processus d’arabisation et d’islamisation est mis en place. En avril 1957, près de 350 écoles catholiques et protestantes comptant environ 30000 élèves sont confisquées. En février 1960, le gouvernement de Khartoum décrète que le jour de repos hebdomadaire dans le Sud serait le vendredi au lieu du dimanche. Irrités par cette mesure, les gens du Sud, chrétiens aussi bien qu’animistes, se rendent compte pour la première fois que le gouvernement a réellement l’intention de leur imposer l’islam, ce qui suscite protestations et répressions.
En mai 1962, le gouvernement promulgue la « loi sur les sociétés religieuses », qui interdit aux prêtres, religieux et religieuses d’exercer leurs activités sans une autorisation accordée par le Conseil des ministres. Il était évident que l’objectif de la loi était de paralyser les activités des Eglises dans le Sud, mais l’effet obtenu fut inverse : dans le Sud, le nombre des fidèles de l’Eglise catholique augmenta et pour la seule année 1962, 100000 habitants de l’une des trois provinces se firent baptiser.
En 1964, le gouvernement expulse les missionnaires qui travaillaient dans les provinces du Sud et à partir de 1965, les bâtiments des missions deviennent la cible privilégiée des opérations militaires. Les lycéens et les séminaristes du Sud sont systématiquement l’objet d’une chasse à l’homme. Aux yeux de la plupart des politiciens du Nord, un homme du Sud instruit est un « fauteur de trouble potentiel ».
En 1969 : le colonel Nimeyri prend le pouvoir et, avec l’aide des différentes Eglises du Soudan et de l’Empereur d’Ethiopie, Hailé Sélassié, engage des négociations avec la rébellion du Sud.
En 1972, les accords d’Addis-Abeba donnent au Sud une autonomie régionale, et l’année suivante, une nouvelle constitution est promulguée qui garantit une totale liberté culturelle et religieuse à tous les citoyens. Une ère de paix s’ouvre alors pour le pays, qui ne dure que onze ans. En effet, en 1983, les accords d’Addis-Abeba sont rompus, le Sud est redivisé en trois provinces pour l’affaiblir, la charia est imposée à tout le pays et la guerre civile reprend. Elle n’est pas terminée et c’est elle qui a déjà fait plus de 2 millions de morts et plus de 4,5 millions de déplacés...

– Actuellement, quelle est la situation ?
– Le 30 juin 1989, les intégristes islamiques renversent le gouvernement par un coup d’Etat militaire. Leur but : la guerre sainte. Ils intensifient le conflit contre le Sud Soudan avec l’aide de l’Iran. On assiste à des déplacements de population. Dans le Sud, des enfants sont emmenés en esclavage, des femmes sont torturées. Beaucoup vont trouver refuge dans le Nord en périphérie des grandes villes et cherchent tout simplement à survivre ! Il n’y a plus de culture, peu de vie religieuse possible. En outre, d’importants gisements de pétrole sont découverts dans le Sud, qu’exploitent plusieurs compagnies étrangères ; cet enrichissement profite à la guerre, car le gouvernement qui dépensait un million de dollars par jour pour la guerre contre les Sudistes, en dépense aujourd’hui deux millions par jour. Des avions et des hélicoptères russes sont achetés pour intensifier les bombardements contre les populations du Sud.

– Dans ces conditions, comment pouvons-nous venir en aide à nos frères du Soudan ?
– Sur le terrain, une première action consiste à « aider les populations à survivre ». Le Secours catholique a, sur les dix dernières années, investi plus de 35 millions de francs. Il participe au financement d’un pont aérien, en particulier, qui partant de Nairobi ravitaille le Sud Soudan. D’autres organisations non gouvernementales, comme le CCFD, viennent en aide au Sud Soudan.
De son côté, l’archevêque de Khartoum, Mgr Gabriel Zubeir Wako, avec l’aide du Secours catholique et des amis de Sœur Emmanuelle, a pris en charge 35000 enfants dans 70 écoles primaires et secondaires des banlieues de Khartoum. Il les scolarise, leur donne un repas par jour. Le gouvernement a voulu confisquer ces écoles, mais l’archevêque a tenu bon et l’Etat a dû capituler.

– Y a-t-il, en ce moment, des espoirs de paix ?
– Pour que cela se réalise, il faudrait que l’O.N.U., les pays membres de l’Union européenne et les pays occidentaux fassent pression pour que soit appliquée la déclaration de principes élaborée en 1994, par l’IGAD (Inter Governemental Authority on Development), structure mise en place par les pays de la région (le Soudan, Djibouti, l’Ethiopie, l’Erythrée, le Kenya, l’Ouganda et la Somalie).
Et que soient associées à ces négociations de paix les forces vives du pays, en particulier les Eglises chrétiennes qui représentent près de 20% de la population et ont joué un très grand rôle pour la négociation des accords d’Addis-Abeba de 1972. La conférence des évêques du Soudan, pour sa part, a dénoncé les exactions commises aussi bien par le gouvernement de Khartoum que par l’Armée de libération du Peuple Soudanais (la Spla) (1).

(1) En février 1992, le Père Barbier a créé le Comité Vigilance Soudan, dans le but d’informer et de sensibiliser sur le respect des droits de l’homme et des libertés au Soudan. Une publication Vigilance Soudan (en français et en anglais) peut être consultée sur le site internet : www.eglisesoudan.org

 

Témoignages
«Nous sommes profondément préoccupés par l’atroce souffrance humaine qui règne dans le Nord et le Sud du pays. Plus de trois millions de personnes sont mortes à cause de la guerre ; plus de six millions ont été déplacées vers l’intérieur et des millions d’autres ont quitté le pays. »
(Déclaration commune des évêques catholiques et épiscopaliens, août 2001)

« Dans de nombreux endroits, au Soudan, l’Eglise est le principal acteur, sinon le seul, à intervenir auprès des populations, dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de la sécurité alimentaire. »
(Nicolas Vercken, chargé de mission au CCFD pour le Soudan)

Le 20 juillet dernier, le gouvernement soudanais et le Mouvement/Armée de libération des peuples du Soudan ont signé un protocole d’entente en vue de négociations de paix.
Les tractations avaient commencé le 12 août 2002. Khartoum a quitté la tables des négociations, à la suite de la prise de la ville de Torit par les rebelles.
Nous y reviendrons.
(Misna)

Pour en savoir plus...
Sud-Soudan, la longue route vers la paix, par Mathew Haumann, éd. Karthala.
La force de la croix, par Thomas Grimaux, éd. Aide à l’Eglise en détresse.

 

Quelques chiffre
Avec 30 millions d’habitants, le Soudan est le plus vaste pays d’Afrique.

Parmi les habitants, 62% sont musulmans ; 20% de religion traditionnelle (animistes) ; 18% chrétiens.

L’Eglise catholique compte :
– 9 diocèses (deux dans le Nord et 7 dans le Sud).
– 9 évêques résidentiels et 3 évêques auxiliaires.
– 230 élèves au grand séminaire de Khartoum.
– Il y a eu de 10 à 14 ordinations sacerdotales, dans chaque diocèse, au cours de ces dernières années.

Updated on 06 Octobre 2016