Les nouveaux martyrs du XXe siècle

Début décembre, la Commission Nouveaux martyrs du Comité du Jubilé, présidée par Mgr Michael Hrynchyschyn, exarque apostolique pour les fidèles de rite byzantin en France et en Allemagne, a remis à Jean-Paul II l'aboutissement de son travail: soit une liste de 13 400 fidèles catholiques, préparée par les Eglises du monde entier, que le témoignage de leur foi a conduit jusqu'à la mort en ce XXe siècle.
On en dénombre 7000 en Europe, dont 4000 proviennent d'Espagne, victimes pour la plupart de la guerre civile, 900 de Pologne, tombés sous le nazisme et le communisme, 800 d'Allemagne, 600 d'Ukraine, 300 de France, victimes du nazisme… «Ils sont si nombreux, déclarait le Pape en les évoquant, que leur mémoire ne doit pas être perdue!»

Nouveaux témoins de la foi
Lorsqu'il parle des nouveaux martyrs du XXe siècle (1), le Pape fait référence aux témoins de la vérité qui ont donné leur vie pour leur foi. Mais, dépassant les critères habituels de l'Eglise catholique, Jean-Paul II prend l'appellation de martyr dans un sens large: il insiste sur l'universalité du martyre et, dans cet acte de donation extrême, il donne une place de premier plan à l’amour/charité.
Pour éviter tout malentendu, à côté des martyrs ou chrétiens tués par haine de la foi, pour lesquels peut être envisagée une démarche de canonisation, on a retenu pour désigner tous les autres le terme de témoins de la foi.
Les martyrs reconnus par l'Eglise catholique ne sont que quelques centaines. Et, à lui seul, le Pape actuel a canonisé 246 martyrs (sur 284 saints) et en a béatifié 711 (sur 931 bienheureux) (2).

Un siècle de persécution
Le phénomène de la persécution, répandu dans au moins 70 pays, a atteint une ampleur jamais égalée dans toute l'histoire de l'Eglise. En 1994, Jean-Paul II écrivait dans Tertio millennio adveniente (n° 37): «L'Eglise du premier millénaire est née du sang des martyrs. Au terme du IIe millénaire, l'Eglise est devenue à nouveau une Eglise de martyrs.»
Les chiffres sont là pour le montrer, ces témoins de la foi (au sens large) sont tombés plus nombreux au cours de ce dernier siècle qu'au cours des dix-neuf siècles qui nous séparent de l'époque du Christ: sur les 40 millions de martyrs chrétiens dénombrés au cours de ces vingt siècles, 26,7 millions (soit les deux tiers), sont tombés au XXe siècle (3), sacrifiés par les totalitarismes de tous bords: nazisme, communisme, idolâtrie de l'Etat ou de la race (guerres ethniques).
Dans la seule Russie soviétique, à partir de 1917, plus d'un million de chrétiens orthodoxes, dont 300 évêques, ont été les victimes de l'idéologie communiste. Sur le continent latino-américain, entre les années 60 et 80, beaucoup de chrétiens anonymes ont perdu la vie, représentés dans leur lutte pour la liberté et la justice par des figures emblématiques, connues et honorées aujourd'hui dans le monde entier.

Comme autant d'étoiles
Ces chrétiens de différentes confessions ne figurent pas au martyrologe de l'Eglise catholique, mais leur vie n'en demeure pas moins exemplaire. Les voici: Dietrich Bonhoeffer, théologien protestant, exécuté le 9 avril 1945, pour avoir résisté au régime nazi. Martin Luther-King, pasteur baptiste américain, assassiné à Memphis le 4 avril 1968. Mgr Oscar Romero, archevêque de San Salvador, assassiné le 24 mars 1980 alors qu'il célébrait la messe. Le Père André Jarlan, tué au Chili le 4 septembre 1984. Alexandre Men, prêtre russe orthodoxe tué à coups de haches près de chez lui le 9 septembre 1990. Cyprien et Daphrose Rugamba, du Rwanda, fusillés avec six de leur dix enfant durant le génocide de 1994.
A côté de ces héros de la foi que nous connaissons, espérance pour ceux qui luttent encore dans la nuit, toutes les victimes inconnues: en Colombie, au Guatemala, au Brésil, au Soudan, au Burundi et dans beaucoup de pays d'Asie… Comme autant de milliers, de millions d'étoiles, des chrétiens anonymes continuent à mourir chaque jour.

Un témoignage d'unité
L'année 2000 a donc été émaillée de manifestations pour célébrer la mémoire de ces martyrs de la foi. A la mi-décembre, le Jubilé du monde du spectacle a donné lieu à une importante célébration en leur honneur. Mais la mémoire officielle a eu lieu en mai dernier à Rome, au Colisée.
Quel lieu plus propice que le Colisée pour rappeler les grands témoins de la foi du XXe siècle ? Le Pape s'est profondément réjoui de la dimension œcuménique de l'événement: «La participation de représentants d'autres Eglises et communautés ecclésiales, a-t-il déclaré, confère à notre célébration une valeur et une éloquence tout à fait particulières (…). L'exemple de ceux qui sont restés héroïquement fidèles à leur foi apporte un témoignage de grand prix à tous les chrétiens.»
Déjà dans Tertio Millenio adveniente (n° 37), il soulignait que, dans notre siècle: Le témoignage rendu au Christ jusqu'au sang est devenu un patrimoine commun aux catholiques, aux orthodoxes, aux anglicans et aux protestants.
Ces frères et sœurs dans la foi, expliquait-il encore le 7 mai dernier, forment comme une grande fresque de l'humanité chrétienne du XXe siècle. La fresque de l'Evangile des Béatitudes.Il n'a pas hésité à inviter chacun à être fier de l'héritage précieux qu'ils nous lèguent: «L'œcuménisme des saints, des martyrs, est celui qui convainc le plus.»
L'évêque catholique de Moscou s'est réjoui lui aussi de l'hommage rendu à ces témoins de la foi de différentes confessions: «Un tel témoignage, a-t-il déclaré avec force, est plus convaincant que n'importe quelle tentative de dialogue ou d'encouragement à l'unité. La voix des martyrs est plus forte que les voix de la division.»