L’Irlande, verte et franciscaine

À l’extrémité ouest de l’Irlande, véritable « finisterre » de l’Europe, la ville de Galway a été choisie cette année comme Capitale européenne de la culture. Profitons-en pour découvrir les trésors franciscains, passés et actuels, du pays au trèfle vert.
09 Août 2020 | par

Une immense pelouse verte et un ciel changeant — auquel il arrive d’être bleu — des bâtiments conventuels presque intacts, à l’exception des toitures, dominés par une église disposant d’une haute tour carrée et crènelée. C’est ainsi que se présentent, en Irlande, nombre d’anciens couvents franciscains. Surprenant pour un visiteur français qui rencontre beaucoup moins dans son pays ce genre de ruines aussi imposantes et bien entretenues. Sur la soixantaine d’établissements franciscains que compte l’Irlande au XVIe siècle, une dizaine sont quasiment complets aujourd’hui, tandis qu’une quinzaine ont au moins sauvegardé leur église. Les mieux conservés se situent à l’ouest et au sud du pays, souvent dans des endroits isolés et difficiles d’accès.
Tous ces couvents résultent de deux vagues de fondations : la première, à partir de 1226, permet le quadrillage de l’île dès la fin du XIIIe siècle (Cork, avant 1230, Drogheda vers 1240, Armagh en 1263, Galway, en 1296). La seconde, au XVe siècle, participe de la réforme franciscaine de l’Observance et correspond à une période de renaissance de la langue gaélique. Dès 1433, le pape Eugène IV autorise un seigneur local à construire un couvent pour les frères observants à Quin (comté de Clare), sur les ruines d’un château fort. Plusieurs couvents de la première vague, comme celui de Galway, passent également à l’Observance. Avec la réforme anglicane et la colonisation anglaise, les frères connaissent plusieurs siècles de grandes tribulations. Des maisons, établies sur le continent (Louvain, Prague, Paris, Rome), servent de base arrière aux religieux et abritent des intellectuels renommés comme Luc Wadding (1588-1657). En dépit des persécutions et des destructions, les franciscains irlandais s’accrochent à leurs couvents et continuent à y exercer un ministère, souvent jusqu’au début du XIXe siècle.

Claregalway
S’il ne reste rien du couvent médiéval de Galway, en revanche, celui de Claregalway, fondé en 1250, est bien conservé, à l’ouest du village et au cœur d’un cimetière aux typiques croix irlandaises. En 1538, Léonard Grey, le cruel émissaire du roi d’Angleterre, Henri VIII, le dépouille de ses cloches et de ses objets liturgiques. Par la suite, en 1589, les frères sont expulsés et le couvent transformé en caserne. Dans les années 1640, les franciscains tentent d’y rétablir la vie conventuelle. En 1731, l’évêque anglican de Tuam observe qu’ils sont encore trois frères à y résider. En 1798, une milice anglaise battant en retraite endommage l’église, mais le gardien du couvent, Martin Blake, parvient à la réparer. Enfin, le 28 août 1858, meurt le dernier franciscain résidant à Claregalway, le père John Francis.
Approchons-nous de ces ruines. Le style franciscain n’existe pas, mais on observe, selon les régions, des familles de couvents aux fortes ressemblances architecturales. C’est le cas en Irlande, et Claregalway présente toutes les caractéristiques d’un couvent franciscain irlandais. L’église comporte une nef, non voutée, bordée d’un unique bas-côté, et prolongée par un chœur destiné aux religieux. Presque aussi long que la nef, ce chœur se termine par un mur plat, percé d’une fenêtre ogivale divisée en cinq lancettes.
Entre la nef et le chœur, se trouve inséré un espace faisant fonction de jubé et ouvert sur le cloître que l’on appelle la walking place. C’est au-dessus de cette singularité architecturale que se loge la tour, largement plus haute que les clochers franciscains du continent. Notons encore une chapelle assez profonde et perpendiculaire à la nef (sorte de demi-transept), abritant les sépultures des seigneurs du lieu.

Ross, un couvent bien conservé
Situé dans un endroit désert non loin du village de Headford (comté de Galway), le couvent de Ross a été fondé au cours du XVe siècle pour les frères de l’Observance. Lui aussi a connu une histoire très mouvementée, mais il a pu fonctionner jusqu’au premier tiers du XIXe siècle. Protégés par la très ancienne famille irlandaise des Clanricarde, les frères ont pu longtemps résister aux attaques anglaises. En 1616, Donatus Mooney, ministre provincial des franciscains irlandais, en visite à Ross, rapporte que les religieux y sont au nombre de six frères prêtres et deux frères laïcs.  Il note également que le couvent a été fortement endommagé par les soldats anglais, qui ont brûlé tous les registres et livres de la communauté.
Ross est l’un des ensembles conventuels franciscains parmi les mieux conservés. L’église reprend le dispositif architectural habituel, mais en doublant l’espace de la chapelle perpendiculaire à la nef.
Les bâtiments conventuels, presque intacts, permettent de se faire une idée des activités quotidiennes des frères : la cuisine, avec sa grande cheminée et son four, une profonde fosse en pierre servant d’aquarium, le réfectoire avec la chaire du lecteur, ou encore les escaliers menant aux dortoirs des frères.
Le cloître, avec ses particularités — il est dit « intégré » parce qu’il apparaît comme le rez-de-chaussée des bâtiments conventuels —, est en lui-même un petit chef-d’œuvre.

L’aujourd’hui franciscain de Galway
Revenus à Galway au XVIIe siècle, les frères construisent une nouvelle église en centre-ville à partir de 1781. Consacrée en 1849, elle est connue pour avoir été la première église en Irlande dédiée à l’Immaculée Conception. Aujourd’hui, c’est le siège d’une paroisse toujours desservie par les frères mineurs. La bien nommée Nun’s island, oasis de paix non loin de la cathédrale contemporaine, abrite une petite, mais bien vivante communauté de clarisses fondée au XVIIe siècle. Ses racines plongent dans la trajectoire complexe de ces jeunes filles catholiques, anglaises et irlandaises, ayant commencé leur vie conventuelle à Gravelines, dans le nord de la France. Au hasard des rues de Galway, le visiteur découvre de nombreuses portes décorées d’émaux portant le monogramme « IHS » — signe de la dévotion franciscaine au saint nom du Christ.
Malheureusement, touchée de plein fouet par la sécularisation, l’Irlande semble actuellement tourner le dos à sa longue histoire chrétienne. Puissent le respect, le silence et la paix qui entourent ces ruines franciscaines conduire les Irlandais à renouer avec leur vie spirituelle.

Pour en savoir davantage :
Claregalway : http://monastic.ie/tour/claregalway-franciscan-friary/
Ross : http://monastic.ie/tour/ross-errilly-franciscan-friary/

Updated on 09 Août 2020
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