Ma quête du Saint-Sépulcre

En ligne de mire, le sommet de notre année liturgique : la Semaine Sainte, le Triduum et Pâques. À cette occasion, faisons retour au Saint-Sépulcre, à Jérusalem, au travers de superbes maquettes de bois d’olivier rapportées par les pèlerins.
22 Avril 2017 | par

Le Saint-Sépulcre ! À l’approche de la Semaine Sainte et du Triduum pascal, nous voudrions tous nous tenir au plus près du lieu où Jésus, le Christ, a été crucifié, est mort, a été enseveli, et, le troisième jour, est ressuscité. De très anciennes traditions, paradoxalement confirmées par tous ceux qui ont voulu rayer ce lieu de l’histoire, militent en faveur de son authenticité. Comme des milliers de croyants au cours des siècles, nous aimerions pouvoir nous laisser enfermer une nuit au Saint-Sépulcre, pour tenter, aussi mal sans doute que les apôtres, d’y veiller et prier. Comme le déclarait Benoît XVI, venu en pèlerin en 2009, « cette antique église de l’Anastasis (l’église de la Résurrection, l’autre nom du Saint-Sépulcre), rend un témoignage muet aussi bien aux lourdeurs de notre passé, avec ses erreurs, ses incompréhensions et ses conflits, qu’à la promesse de gloire qui continue de rayonner du tombeau vide du Christ. Ce lieu saint, où la puissance de Dieu s’est manifestée dans la faiblesse, où les souffrances humaines ont été transfigurées en gloire divine, nous invite à tourner encore notre regard de foi vers la face du Seigneur crucifié et ressuscité ». 

Mais voilà, vous comme moi, n’avons pas la chance insigne d’être à cet instant au Saint-Sépulcre. Alors, pour permettre à nos pauvres corps de chair de « percevoir » quelque chose de ce saint lieu, intéressons-nous aux maquettes du Saint-Sépulcre. Mais pour bien comprendre la fonction primitive de ces objets, il importe de revenir à la présence franciscaine en Terre Sainte.

Depuis le XIVe siècle, les Franciscains, ont la garde, la « custodie », des Lieux Saints. Cela signifie qu’ils assurent l’accueil dans un certain nombre de « lieux de mémoire » évangéliques, mais également qu’ils s’efforcent de prendre la défense des minorités chrétiennes vivant au pays de Jésus. Et leur rôle ne s’arrête pas là. Les frères de la custodie disposent d’antennes dans le monde entier (les « commissariats ») afin de sensibiliser l’opinion publique à la Terre Sainte et de recueillir des aumônes. Dans ce contexte, les frères ont diffusé des récits de pèlerinage et des descriptions des Lieux Saints. Le Bouquet sacré composé des plus belles fleurs de la Terre sainte du frère Jean Boucher, paru en 1614, fait figure de best-seller en ce domaine. Les Franciscains n’oublient pas non plus les pèlerins qui, rentrant dans leur pays, doivent à leur tour participer à la « promotion » de la Terre Sainte. C’est à leur intention que des ateliers d’artistes, travaillant pour la custodie, conçoivent ces maquettes-souvenirs de leur pèlerinage.

Les maquettes du Saint-Sépulcre

L’art de la maquette est vieux comme le monde. De tout temps, les architectes ont réalisé des modèles réduits de leurs projets de constructions. Certaines de ces maquettes sont représentées sur des peintures, tandis que d’autres, comme celles de Saint-Pierre de Rome, ont subsisté jusqu’à nous. S’agissant du Saint-Sépulcre, les plus belles datent du XVIIe siècle, et les grands musées en conservent une trentaine d’exemplaires, comme celle du musée Rupert de Chièvres à Poitiers (à découvrir ci-contre) ou celle récemment acquise par le MuCEM de Marseille. Tous ces objets sont réalisés en bois d’olivier incrusté de motifs en nacre et en ivoire. Cette technique de marqueterie s’inscrit dans la tradition du décor des pièces de mobilier de la région syro-libanaise, en usage depuis le XIIe siècle. Leur origine franciscaine se vérifie par la présence de la croix de la custodie (dite « croix du Saint-Sépulcre ») mais aussi du monogramme du Christ (IHS, Iesus Hominum Salvator, Jésus sauveur des hommes), si prisé par les prédicateurs de l’Observance. Ces maquettes ne sont pourtant pas toutes identiques, et on peut, grosso modo, les classer en deux catégories, les unes à visée plus décorative, et les autres à fonction plus pédagogique. Dans le premier cas, comme dans l’exemplaire poitevin, le décor en nacre couvre toute la structure en bois. L’objet joue à plein son rôle de « support mémoriel » du pèlerinage.

À l’intérieur de la maquette

Les maquettes du second groupe (comme celle de Marseille) sont beaucoup plus complexes et s’apparentent à de vrais jeux de construction dont les éléments sont mobiles et permettent de découvrir l’architecture intérieure. Exactement comme ces maisons de poupées dont on peut enlever le toit et meubler chacune des chambres.

 À l’intérieur de ces modèles-réduits de Saint-Sépulcre, on trouve en général une petite reproduction de l’édicule couvrant le tombeau de Jésus – cet édicule dont la version du XIXe siècle est actuellement en restauration. Ces ma-
quettes comportent également, à l’intérieur comme à l’extérieur, de nombreuses inscriptions et des chiffres renvoyant à des légendes explicatives qui ont souvent disparu. Ainsi, dans le vestibule d’entrée on peut lire : LOCUM UNTIONE DNI NRI IESU XPI, lieu de l’onction de Notre Seigneur Jésus Christ. Il s’agit de la pierre de l’onction, où le corps de Jésus a été enduit d’aromates par les saintes femmes – un lieu toujours très vénéré par les pèlerins.

Dans tous les cas, on reconnaît toujours parfaitement les deux coupoles du monument, celle troncoïdale surmontant l’ancienne rotonde de l’Anastasis (avec l’édicule en son milieu), et l’autre, moins volumineuse, au dessus de « l’église des Grecs », c’est-à-dire la partie du monument occupée par les Grecs orthodoxes. On distingue également très bien la façade sud de l’église construite par les croisés au XIIe siècle, et par laquelle, aujourd’hui comme hier, on pénètre dans l’édifice.

Qu’il s’agisse de ces superbes maquettes, mais aussi des gravures ou des plans anciens, ce qui frappe, c’est l’impression que le temps s’est arrêté au Saint-Sépulcre. Que le pèlerin d’aujourd’hui passe par les mêmes portes, découvre les mêmes perspectives, vénère les mêmes objets que celui du Moyen Âge ou du siècle de Louis XIV. Cette impression est en partie fausse (le monument a connu de très nombreuses vicissitudes), mais elle traduit bien la volonté des chrétiens de tous les temps de préserver ce lieu unique, ce véritable « lieu géométrique » de l’histoire du monde, où tout a été renouvelé. 

 

Pour en savoir davantage :

Émilie Girard, « Acquisition par le MuCEM d’un ensemble de maquettes de lieux de pèlerinage de Terre sainte », dans La revue des Musées de France, Revue du Louvre, février 2012, p. 59-113.

Quelques autres musées conservant les maquettes : Londres, British Museum ; Vienne, Kunsthistorisches Museum ; Rio de Janeiro, Museo Historico Nacional ; Copenhague, Musée national danois (trois exemplaires) ; Brescia, Musei d’arte e storia; Jérusalem, Studium Biblicum Franciscanum ; Malte, La Valette, musée de la cathédrale (quatre exemplaires).

Updated on 22 Avril 2017
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