Mariages interculturels : sagesse ou folie ?

01 Janvier 1900 | par

Ces mariages mixtes nous surprennent : est-ce bien raisonnable, quand le voyage est si difficile, d’ajouter la difficulté de cultures, langues, religions différentes ? Ces jeunes couples rétorquent par leur choix : quand le monde devient un village, est-ce bien raisonnable de ne pas regarder plus loin que le seuil de sa maison ou le bout de la rue ? Sagesse ou folie... à chacun de conclure. Mais l’étrange étrangeté de l’autre, sa radicale altérité, n’est-elle pas de toute façon présente dans toute rencontre ?

Un mariage mixte est d’abord un mariage

Avant de nous interroger sur ce qu’il y a de spécifique dans l’expérience de ces couples d’origines différentes, regardons ce qu’ils ont de commun avec tous ces couples qui, aujourd’hui, se marient. On se marie, explique la sociologue Irène Thery pour le bonheur de se marier car le mariage n’étant plus la seule voie pour vivre en couple, il est valorisé parce qu’il peut être désiré . Il demeure, selon elle, la seule institution qui lie l’amour et le toujours.

Un terme étrange

Mixte, tous les mariages ne le sont-ils pas puisque, par définition, ils unissent deux personnes de sexe différent ? En réalité, ce terme est d’origine religieuse, indiquant le mariage entre deux personnes de confessions chrétiennes différentes. Ce sens est toujours valable, dans sa sphère d’origine.

L’expression s’est peu à peu élargie, laïcisée. Elle est désormais employée par les démographes pour parler des mariages entre deux personnes de nationalité différente.

Les mariages mixtes, au sens démographique, concernent aujourd’hui environ 10% des mariages. Ce nombre a doublé depuis 20 ans. Or ces données ne prennent pas en compte les unions entre deux personnes de nationalité française, dont l’une est issue de l’immigration.

Passez, il n’y a rien à dire, rien à voir

Quand on les invite à parler d’eux, ils ne sont guère bavards, ces jeunes couples issus de deux cultures différentes... Intarissable sur sa passion pour l’Afrique et pour l’art, Emma ne tient pas à parler du couple qu’elle forme avec Joseph, sénégalais arrivé en France pour ses études : Je n’ai rien à dire de spécial. C’est mon homme et je l’aime. Je sais qu’il m’aime aussi. Basta . Antoine, de son côté, est profondément agacé par les interrogations de ses proches : Alors, vous en êtes où ? , à propos de son projet de mariage avec Leila... On dirait qu’ils espèrent secrètement que nous allons y renoncer. Je n’ai jamais entendu semblable question posée à mes sœurs lorsqu’elles étaient fiancées !

N’y aurait-il rien à dire ? L’ouverture, l’acceptation d’autres cultures seraient-elles complètes dans notre société, dans nos familles ? Ou bien faudrait-il encore se protéger de jugements, d’étonnements, vécues comme autant de blessures ?

C’est ce qu’exprime avec force une jeune femme chanteuse franco-congolaise, Sandra Nkake de la Compagnie Les Z’Acoustiques, dans un beau spectacle musical Zig Zag : Trois femmes, trois voix, trois origines que le chant rassemble . Elle explique : Dans mon village d’Afrique, je suis la blanche ; dans les rues de Paris, je suis une noire. Quand je me promène avec mon mari, si le regard des passants se pose sur moi, je lis dans leurs yeux : tiens, une Noire, qu’est-ce qu’elle fait avec un Blanc ? Quand leur regard se pose d’abord sur lui : qu’est-ce qu’il fait avec cette Noire ?

Ce n’est pas l’expérience intime qui pose problème. Comme tous les couples contemporains, les couples mixtes estiment que leur amour est de l’ordre du privé. Ce qui pèse, c’est le social, quand cette mixité est rendue visible par la couleur de la peau, nous dit cette jeune femme. Ce qui fait problème, ce qui fait souffrance, c’est le regard de l’autre, regard réellement rejetant, évitant ou ressenti comme tel après de douloureuses expériences.

Mariages à risques ?

La communication à l’intérieur du couple est aussi importante que difficile pour tous les couples. En fait, écrit Augustin Barbara (1), il est demandé à chaque conjoint d’apprendre l’univers de l’autre, d’apprendre éventuellement sa langue, s’il veut percevoir encore plus sa personnalité. Le dialogue régulier est un acte qui réclame beaucoup de volonté réciproque. Traducteur de l’autre, chacun est aussi son interprète. Ces propos concernent ici les couples mixtes. Il est clair qu’au sens figuré, tous les couples peuvent s’y retrouver.

L’avantage des couples mixtes, c’est que les questions se posent d’emblée. Difficile de les éluder. Elles s’imposent et il faut les prendre à bras le corps pour les résoudre. La force des couples mixtes est dans cette obligation de parole. La différence de culture, explique Augustin Barbara, agit comme une loupe qui grossit les difficultés et les espérances de tout couple. Les unions mixtes ont souvent un temps d’avance. Les crises arrivent plus vite. Mais la volonté de réussir est aussi très grande.

La transmission

Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris... , écrivait Victor Hugo. L’arrivée de l’enfant, dans les couples mixtes, convoque autour du berceau, les familles émues qui oublient leur réticence à un mariage qui les déroutait... Parfois les kilomètres empêchent une proximité souhaitée dans ce moment si particulier : Ma famille me manque, ma mère particulièrement m’a manqué quand j’étais enceinte et que ma fille est née... , soupire Kyoto, jeune femme japonaise mariée à un Français.

La présence des familles se fait aussi plus symbolique : comment se prénommera l’enfant ? A quelle nationalité, à quelle tradition se rattachera son prénom ? Chaque couple cherche sa réponse. Fleurissent les doubles prénoms, un pour la culture paternelle, un pour la culture maternelle. D’autres, consensuels, choisissent un prénom originel comme les petits Adam ou Abraham.

Et puis viendront les questions concernant le choix religieux. Rachid, très désireux d’intégration mais aussi soucieux de faire plaisir à tout le monde, opterait bien pour son fils, pour le baptême qui comblerait sa belle-famille et la circoncision pour la paix du cœur de son père... Difficile de choisir, mais il faudra se décider : quelle tradition culturelle transmettre ? La langue du parent non francophone quand c’est le cas sera-t-elle pratiquée ? Oubliée ? Vécue comme une seconde langue à la maison et au collège ? Et la religion, laquelle sera enseignée à l’enfant ? Laquelle pratiquera-t-il ? Et avec qui ?

Que de questions à résoudre, de concessions à la culture de l’autre (du registre alimentaire aux relations avec la belle famille...), d’apprentissage de la négociation... Pas étonnant que les couples mixtes sachent l’importance vitale du dialogue !

(1) Mariages sans frontières, par Augustin Barbara, éd. Le Centurion.

Mariages  mixtes  et célébration religieuse

Dans la législation de l’Eglise, l’expression mariage mixte désigne à proprement parler un mariage entre un baptisé catholique et un baptisé non catholique, orthodoxe, protestant, anglican, etc. (différence de confession chrétienne). Le mariage entre un baptisé catholique et un non-baptisé, juif, musulman, bouddhiste, etc. est désigné par l’expression mariage avec disparité de culte (différence de religion).

En principe, l’Eglise les déconseille, en raison des problèmes que peut poser la différence de convictions ou de traditions à la pleine communion spirituelle et du risque, pour le catholique, de mettre en péril sa foi. Elle les permet, toutefois, lorsqu’existe une cause raisonnable et sous certaines conditions.

Pour obtenir cette dispense, sont requises les conditions suivantes :

- la partie catholique doit déclarer qu’elle est préparée pour sauvegarder sa foi et qu’elle fera tout son possible pour que les enfants soient baptisés et éduqués dans la religion catholique ;

- la partie non-catholique doit être informée des responsabilités qu’assume la partie catholique ;

- les deux parties doivent être instruites des propriétés essentielles du mariage : unité et indissolubilité.

Il est en effet de première importance que les futurs conjoints soient au fait des problèmes que peut poser leur différence de convictions religieuses et d’appartenance sociale à la réussite de leur vie de couple et à l’avenir de leurs enfants.

Updated on 06 Octobre 2016