Metteur en mots

16 Juin 2006 | par

Juif de nom arabe et de confession catholique, Fabrice Hadjadj est marié et père de trois filles. à 35 ans, il enseigne la philosophie et la littérature en lycée, en faculté et au séminaire de Toulon. Anti-portrait d’un dramaturge, auteur d’à quoi sert de gagner le monde, une vie de saint François Xavier.

A ses mots pesés dits avec pudeur et douceur, on l’imagine aisément moine bénédictin. Sans doute est-ce dû à sa proximité avec l’abbaye de Solesmes. C’est là qu’à 27 ans, le jeune professeur élevé dans une famille juive tunisienne de gauche, reçoit le baptême. Mais Fabrice Hadjadj ne raconte pas sa conversion. « Les témoignages glissent trop facilement vers le sentimental et le spectaculaire, confie-t-il, au détriment d’une nourriture de l’intelligence. Dans un portrait, on fait des choix, souvent on dit ce qu’il y a de bien, de lisse. Ma conversion n’est pas un élément passé. Tout ce qui vient de Dieu nous conduit à Dieu. La question c’est plutôt : comment je n’étais pas croyant ? »
Alors contre la volonté de l’écrivain, on se risque à l’image d’Epinal : à 5 ans, le futur auteur écrit ses premiers poèmes ; à 14, il lit Platon et Descartes ; à 18, il est passionné de philosophie et de littérature. « J’ai très vite aimé des auteurs durs et violents. J’étais un fils de mon temps marqué par la télévision, par une culture profondément athée. J’avais le sentiment très aigu – chez moi cela avait atteint la conscience – que l’espèce humaine était une espèce finie. » Derrière la noirceur de ces écrivains, le diplômé de Sciences Po, qui côtoie Michel Houellebecq, trouve la jubilation. « Il y avait chez moi un désir de radicalité, avec Nietzsche, de ne pas se contenter de facilité, de petits systèmes de pensée, avec Bataille, la recherche d’une expérience mystique. Chez Céline, c’est le contact avec la réalité nue. » Ont-ils servi de transition ?
A 35 ans, Fabrice Hadjadj cumule les succès. Il vient d’être récompensé du Grand Prix de littérature catholique pour son dernier ouvrage, Réussir sa mort, édité aux Presses de la Renaissance.
Les communautés ignatiennes désirent commémorer le 450e anniversaire de la mort de saint François Xavier par un spectacle ? Fabrice leur répond par A quoi sert de gagner le monde, une pièce en trois actes. La vie de ce jeune étudiant navarrais du XVIe siècle qui fut l’un des premiers compagnons d’Ignace de Loyola, y est retracée dans un style mêlant gravité et humour. Faut-il chercher des similitudes entre l’expérience de Fabrice et celle de François Xavier ? Fabrice s’en défend : « C’est un saint, je suis un pécheur. Mais je suis un faiseur, donc je peux très bien parler des saints. Je crois que j’ai reçu curieusement de François Xavier, la mission de faire aujourd’hui un théâtre chrétien. Cette œuvre est un peu la matrice de mes autres textes théâtraux. »
En 2007, il montera Massacre des In-
nocents, sa cinquième pièce. Fabrice Hadjadj est un dramaturge à suivre.


C’est vous, mon Dieu
Autant de proues de votre mystère, ces visages par lesquels vous venez à moi, mon Dieu, avec cette route que vous glissez sous ma foulée, avec les pavés de Paris et les prairies de Montmartre, avec les canaux de Venise et les lagons de l’Île du More, avec les rues de Rome, les déserts du Cap Comorin, les neiges devant Miyako, c’est vous qui venez à moi, mon Dieu. Et maintenant cette brise qui me souffle de la Chine et de plus loin encore, c’est vous, mon Dieu, qui venez à moi. Car je sais à présent. Je sais et les gens qui parleront beaucoup ne sauront pas. Ils croiront que je partais gagner le monde alors que c’est vous qui partiez gagner mon âme. Ils croiront que j’allais porter le Christ aux Chinois alors que c’est vous, vous avant tout, qui le portiez à moi à travers eux. Et c’était à moi d’entrer d’abord par la porte du prochain, pour que nous sortions ensemble par la porte de Dieu, par votre porte. 

A quoi sert de gagner le monde, Les Provinciales, 2005.


 

Updated on 06 Octobre 2016