Pier Giorgio Frassati : Vers le haut !
Un héritier « imbécile ». C’est ainsi que son père, directeur du journal italien La Stampa, le traite. Né à Turin, au cœur du Piémont en 1901, aîné de deux enfants, Giorgio possède tout pour succéder à la direction du quotidien, mais il choisit plutôt des études d’ingénieur. Sa mère le juge d’une intelligence médiocre, d’un esprit confus et distrait. Son père lui reproche de vivre au jour le jour avec l’insouciance d’un écervelé quelconque qui perd son temps ! Mais Pier Giorgio ne s’effarouche ni devant les humiliations de ses parents, ni face aux comparaisons à sa sœur Luciana.
Cette dernière écrit : « Ce jeune garçon est davantage porté à la fantaisie qu’aux études et il ne cesse d’être rabroué par son père, Alfredo, un notable qui ne voit en lui que le successeur tout désigné à prendre sa suite comme directeur de ce prestigieux journal libéral turinois qu’il a fondé, La Stampa. Il le tient pour un enfant incapable de tout même tout simplement de ranger ses livres et d’écrire avec ordre, coupable par surcroît d’être avec sa sœur bien aimée, sans cesse recalé aux examens scolaires ».
Ses parents lui mènent la vie dure : alors qu’il éprouve un amour pour Laura Hidalgo, il doit y renoncer, non sans douleur. Ses parents s’opposent au mariage, car elle est infortunée, d’un milieu trop simple par rapport à la famille Frassati. Commentant la douleur ressentie, il écrit à un de ses amis : « Les douleurs humaines peuvent nous atteindre, mais pour peu qu’on les considère à la lumière de la religion et qu’on les accepte, elles ne sont plus nocives, mais salutaires, car elles purifient l’âme des inévitables souillures que, du fait de notre nature viciée, il nous arrive parfois de contracter. »
L’ange des pauvres
Mais son jardin secret, c’est de venir en aide aux pauvres de Turin, sans même que sa famille ne s’en aperçoive. Et Pier Giorgio ne se contente pas de les aider en leur offrant de l’argent ou une aide matérielle. Il donne de sa personne.
Ainsi, il tient un carnet dans lequel il inscrit les personnes dans le besoin qu’il rencontre, avec ce qu’il peut faire pour leur venir en aide. Il entraîne avec lui des amis et ensemble ils partent à la recherche de lits d’hôpital, de logements, de places à l’école, pour subvenir aux besoins des marginaux. Un journaliste allemand qui l’a observé le décrit : « Un soir à Berlin, avec une température de -12°C, il a donné son manteau à un vieil homme pauvre frigorifié. Son père l’a réprimandé, mais lui a répondu simplement : “Mais tu vois Papa, il faisait froid” ».
Comprenant que tout leur argent allait aux pauvres, ses parents ne lui donnent plus que les subsides nécessaires pour aller en bus à l’université. Là encore, Pier Giorgio trouve le moyen d’y aller à pied et de donner cet argent aux pauvres.
Il décrit ses visites aux pauvres comme de « nouvelles conquêtes », et déclare ensuite à ses amis : « Autour des malades, autour des malheureux, je vois une lumière que nous n’avons pas ». Alors qu’on lui demande comment il fait pour entrer sans dégoût et avec joie dans certaines maisons où la puanteur emplit la pièce, il répond : « N’oubliez jamais que, la maison a beau être sordide, en approchant un malheureux, vous vous approchez du Christ. »
Il s’investit dans des mouvements catholiques, comme les conférences Saint-Vincent-de-Paul, avec lesquelles il parcourt la ville de Turin. Il fait aussi partie de la Fuci, la Fédération universitaire des catholiques italiens. Lorsque le fascisme se développe en Italie, Pier Giorgio s’y oppose et s’engage en 1920 dans le Parti populaire italien, dont il devient militant. Deux ans plus tard, il choisit une autre forme d’engagement, plus spirituel : il rejoint les milices de Marie, un cercle de jeunes catholiques qui se confient à Marie. Au même moment, il s’engage dans le Tiers-Ordre dominicain.
L’Eucharistie, son pilier
À 17 ans, Pier Giorgio a obtenu la possibilité de communier chaque jour, alors que sa mère s’y oppose farouchement et prend cela pour de la bigoterie. C’est une grande joie et une victoire pour lui, car l’Eucharistie et la Vierge Marie sont les deux points d’appui de sa vie spirituelle. Au sujet de l’Eucharistie, il souligne : « Jésus me rend visite chaque jour pour la communion et moi je la lui rends bien modestement en visitant les pauvres ».
Durant toute sa courte vie, il participe à des processions au Saint-Sacrement ou à des adorations nocturnes, pour lesquelles il aime passer de nombreuses heures. Dans une lettre du 29 juillet 1923 aux membres de la jeunesse catholique de Pollone, un village au nord de Turin, il déclare : « Je vous exhorte avec toute la force de mon âme à vous approcher de la Table eucharistique aussi souvent que possible. Nourris de ce pain des anges duquel vous tirerez la force de vaincre dans les luttes contre les passions et contre toutes adversités, parce que Jésus Christ a promis à ceux qui se nourrissent de la très sainte Eucharistie, la vie éternelle et les grâces nécessaires pour l’obtenir. »
En 1925, alors qu’il fait une promenade en barque avec ses amis, Giorgio se plaint d’une douleur dans les muscles et de maux de tête, sans que l’on connaisse la cause de son mal. Puis, le diagnostic tombe : il s’agit d’une poliomyélite aiguë qu’il aurait contractée auprès d’une famille pauvre. En six jours, la maladie l’emporte.
Le jour de son enterrement, une foule de pauvres se précipitent pour veiller et prier autour de celui qui a été tout pour eux. Ses parents découvrent alors cette quantité d’inconnus, de pauvres, de malades, en larmes, et se rendent compte qu’ils ont vécu auprès d’un saint.
En 1981, son corps est exhumé et retrouvé intact. Sa dépouille est alors transférée à la cathédrale de Turin où il est encore possible de la vénérer.
L’homme des huit béatitudes
Pier Giorgio Frassati a été béatifié et déclaré patron des montagnards, des sportifs et des confréries par Jean-Paul II en 1990. Ce pape l’a décrit dans son homélie comme « l’homme des huit Béatitudes » : « Par son exemple, il proclame qu’une vie vécue dans l’Esprit du Christ, l’Esprit des Béatitudes, est bénie, et que seul celui qui devient un homme ou une femme des Béatitudes réussit à communiquer l’amour et la paix aux autres. Il répète qu’il faut vraiment renoncer à tout pour servir le Seigneur. Il témoigne que la sainteté est possible pour tous, et que seule la révolution de la charité peut susciter l’espoir d’un avenir meilleur dans le cœur des hommes. Il a quitté ce monde plutôt jeune, mais il a laissé une marque sur tout notre siècle, et pas seulement sur notre siècle. » En visite à Turin le 21 juin 2015, le pape François décrit Pier Giorgio comme un « modèle de confiance et d’audace évangélique pour les jeunes générations d’Italie et du monde ». C’est sans doute aussi en pensant à lui que le document de travail des évêques pour le synode se conclut par une invitation à la sainteté pour les jeunes.