Quand l’esprit d’Assise souffle sur Ciboure

Magistralement restauré et récemment ouvert au public, le couvent des récollets de Ciboure illustre à merveille la vocation pacificatrice des Franciscains.
11 Février 2024 | par

« Que le Seigneur vous donne la paix ! » À peine converti, François se met à prêcher et il débute chacune de ses prises de parole par cette salutation de paix avant de transmettre à l’assistance la Parole de Dieu. Et Thomas de Celano, son biographe, de poursuivre : « Aux hommes et aux femmes, aux passants et à ceux qui le croisent, c’est toujours la paix qu’il annonce avec la plus grande dévotion ».
François, homme pacifié et désapproprié de lui-même, ne se contente pas de proclamations, il est lui-même artisan de paix et de réconciliation. De passage près d’Arezzo, en Toscane, il apprend qu’une guerre civile gangrène la cité, « jour et nuit, du fait de deux factions qui se haïssent l’une l’autre depuis longtemps. Voyant cela et entendant une si grande clameur, le bienheureux François a l’impression que les démons exultent de la situation et incitent tous les gens à détruire la cité par le feu et d’autres fléaux. Aussi, ému de compassion envers cette cité, il dit à Frère Sylvestre : “Va devant la porte de la cité et, à voix haute, ordonne à tous les démons de sortir de cette cité.” Alors Sylvestre se rend devant la porte de la cité et s’écrie d’une voix forte : “Loué et béni soit le Seigneur Jésus Christ. De la part de Dieu tout-puissant et en vertu de la sainte obéissance à notre très saint père François, j’ordonne à tous les démons de sortir de cette cité !” Et par la divine miséricorde et la prière du bienheureux François, il advint que les habitants revinrent peu après à la paix et à l’unité. » (Compilation d’Assise, 108)
Après François, nombreux sont les frères et les sœurs à s’être engagés dans une telle « mission de paix », comme l’écrit Celano.

Notre-Dame de la Paix, à Ciboure
Parmi les exemples les plus parlants de ce ministère de pacification exercé par les Franciscains tout au long des siècles, figure le couvent des récollets de Ciboure, en Pays Basque français. Imaginez l’estuaire formant l’embouchure d’un petit fleuve côtier, la Nivelle. De chaque côté de l’estuaire, deux villes, deux sœurs jumelles s’épiant l’une l’autre, Saint-Jean-de-Luz, la station balnéaire plutôt chic, et Ciboure, davantage populaire. Au milieu de l’estuaire s’enfonce une langue de terre ; c’est ici que, dans les années 60, on a construit des entrepôts frigorifiques. Maintenant faisons l’effort de nous transporter quatre siècles en arrière. À cette époque, la langue de terre est un petit îlot au milieu de la Nivelle, mais un îlot que convoitent les deux communautés villageoises. « Les habitants étaient de tout temps jaloux les uns des autres, rapporte une ancienne chronique franciscaine. La plus petite occasion allumait leur haine réciproque ; on en venait aux voies de fait ; souvent ils dressaient des canons les uns contre les autres ». Au début du XVIIe siècle, la situation empire, car il se mêle à ses disputes des accusations de sorcellerie. Pour remédier à tous ces désordres, un conseiller au Parlement de Bordeaux fait venir à Saint-Jean-de-Luz six franciscains réformés, ceux que l’on commence à appeler des « récollets ». Ceux-ci demandent à s’installer sur le fameux îlot. « Cet emplacement leur parut commode, reprend la chronique, et les habitants de Saint-Jean-de-Luz y plantèrent une croix. Pendant la cérémonie, ceux de Ciboure étaient assemblés dans leur église paroissiale, où l’on faisait les obsèques de l’un de leurs prêtres. Ils trouvèrent mauvais qu’on eut planté la croix sans leur participation. Ils vinrent en foule et l’arrachèrent en grand tumulte, prétendant avoir des droits sur l’île aussi bien que ceux de Saint-Jean-de-Luz ». L’affaire était mal engagée ! Heureusement, et cette fois-ci d’un consentement unanime, la croix fut plantée pour la seconde fois le 21 février 1611. Le 14 avril suivant, le parlementaire bordelais posa la première pierre du couvent en présence des habitants des deux communautés. « On bâtit ensuite l’église, reprend la chronique, qui fut dédiée à Notre-Dame de la Paix, en mémoire du motif qui avait occasionné cet établissement. Le succès répondit à l’espérance que l’on avait conçue : les deux bourgs ont toujours conservé la paix, et les récollets y ont toujours conservé l’affection des habitants ».

Une paix durable
Les historiens confirment que les frères mineurs ont vraiment réussi dans leur tâche de réconciliation. Ainsi les habitants des deux cités prennent l’habitude de se réunir au couvent lorsqu’il s’agit de régler un différend. Des salles « hors-clôture », décorées de fresques, sont prévues à cet effet. De plus, les frères récollets se mettent au service des populations des deux ports. Un religieux dénommé Léonard Duliris (1588-1656), mathématicien et géographe, se rend à plusieurs reprises à Ciboure pour apprendre aux marins à calculer une longitude en pleine mer. Il écrit dans l’un de ses livres : « Je fus prié par les Basques, grands Navigateurs, grands Catholiques, et très fidèles serviteurs du Roy, d’aller demeurer en notre couvent de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure, sur la frontière d’Espagne, pour continuer à leur enseigner mes Pratiques de la Navigation. » Les frères assurent également les prédications d’Avent et de Carême dans les églises alentour. Parfois, ils prennent fait et cause pour leurs ouailles face à l’administration royale.
 
Un passé franciscain valorisé

Fermé à la Révolution, et récemment encore occupé par les douanes, le couvent a miraculeusement survécu, et il est presque intact. Son église de quarante mètres de long a fière allure. Devenu « centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine », le complexe conventuel a été minutieusement restauré par Rémi Desalbres et l’agence Arc&Sites architectes. Les deux siècles de vie franciscaine y sont racontés avec rigueur et pédagogie. Lors de l’inauguration, en septembre dernier, les premiers visiteurs ont plusieurs fois souligné que l’action pacificatrice des récollets continuait manifestement à produire son effet puisque les deux municipalités avaient réussi… à s’entendre sur ce projet. Le mot Bakea (la paix, en basque) figure d'ailleurs en grandes lettres au fond du chœur liturgique.

Pour en savoir davantage :
https://www.saint-jean-de-luz.com/visite/ciap-les-recollets-errekoletoak/

Updated on 11 Février 2024
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