Rencontre avec... Alain Decaux

18 Février 2009 | par

En cette année Saint-Paul, l’historien et académicien Alain Decaux, rendu célèbre par l’émission La Tribune de l’Histoire, est l’un des orateurs des Conférences de Carême à Notre-dame de Paris1. Une fois n’est pas coutume, cette fois-ci c’est lui qui se raconte… Pour notre plus grand bonheur.





Quelle a été votre réaction quand on vous a demandé de prêcher une Conférence de Carême ?



Cela a été une immense surprise. Quand le cardinal Vingt-Trois

m’a contacté pour m’en parler, je me suis senti très honoré. Et d’autant plus que la seule conférence de Carême à laquelle j’ai assisté a été prononcée par l’homme que j’ai le plus aimé et admiré : il s’agit du P. Ambroise-Marie Carré, un dominicain, immense orateur, aimé de tous à l’Académie Française… Alors que je mette mes pas dans les siens…



Je pense aussi à Lacordaire (dominicain du XIXe siècle, ndlr). C’est le premier à avoir prêché une conférence de Carême. Il rameutait les foules par son talent. Et quand il sentait qu’il avait eu un trop grand succès, il se faisait flageller dans la sacristie…



Prêcher une conférence, c’est quelque chose d’important dans

ma vie. Parler de Paul, évoquer ma foi devant des gens qui, comme moi, essaient de croire malgré les accidents de la vie… c’est une occasion rare…





Le thème de votre conférence pose une question étonnante : « Saint Paul fondateur du christianisme ? »… On aurait plutôt pensé à Jésus…



Bien sûr… Mais depuis le XVIIIe siècle, des gens ont commencé à émettre l’hypothèse que si Jésus avait annoncé sa parole et donné des principes, il n’avait pas pour autant créé une religion. Ce mouvement de pensée, relayé plus tard par Nietzsche, Renan ou encore Loisy, prétend que le premier à avoir sorti des règles de ces principes est Paul.





Et vous, qu’en pensez-vous ?



Moi je dis que dans “christianisme”, il y a “Christ”. Le christianisme n’est pas né d’un autre que le Christ. C’est la réponse que j’essaie de donner dans ma conférence… sans pour autant minimiser le rôle de Paul, qui, bien sûr, a été très important dans la diffusion du christianisme.





D’où vous vient cet intérêt pour saint Paul2 ?



J’avais 17 ans, j’étais à la JEC (Jeunesse Etudiante Chrétienne). Un jour, un ami m’a dit : « Sais-tu que Paul n’a jamais connu Jésus ? » Pour moi, ce fut un choc. Je n’avais jamais imaginé qu’effectivement, cet homme si fougueux dans ses épîtres lorsqu’il parle du Christ, ne l’avait jamais rencontré. A partir de là, je n’ai jamais cessé de m’intéresser à lui et de collecter des informations sur sa vie…





Qu’est-ce que vous aimez chez saint Paul ?



Il a une personnalité extraordinaire ! D’ailleurs, quand on voit le nombre de pages que Luc lui consacre, on sent comme il l’a impressionné. Paul n’était pas très modeste, il faut bien le reconnaître… Mais est-on obligé d’être modeste ? Il avait peut-être ses raisons… Moi, sa conversion me passionne ! J’aime son parcours terrestre. Voir ce Paul, profondément juif et donc furieux de voir des juifs quitter la religion pour devenir chrétiens, les persécuter

avec une telle fureur, changer du tout au tout quand Jésus lui parle sur le chemin de Damas, c’est extraordinaire ! Cela nous montre à quel point Dieu se montre vigilant dans des cas importants...





Est-ce l’historien ou le chrétien qui est fasciné par cette figure du christianisme ?



Au début c’était le chrétien. Puis tout cela s’est fondu. Paul est pour moi un personnage historique. Pour écrire mon livre sur lui, j’ai d’ailleurs procédé comme à mon habitude : en allant aux sources. De même que je me suis rendu au Mont-Saint-Michel pour voir ce que Louis-Auguste Blanqui (révolutionnaire du XIXe, ndlr) voyait de sa cellule, de même que j’ai dormi une nuit dans la maison de Victor Hugo à Guernesey, j’ai mis mes pas dans ceux de saint Paul, entre Tarse et Rome, pour écrire sa biographie. Les villes ont changé mais les paysages sont restés les mêmes… Ainsi ai-je aperçu ce que Paul a vu en arrivant de Chypre, avant de remonter vers la Turquie…





Les livres à sujet religieux arrivent assez tard dans votre bibliographie…

Souvent mes proches m’ont demandé pourquoi j’avais attendu autant avant d’écrire sur Paul… Je ne devais pas être assez mûr, il me fallait peut-être une certaine expérience de la vie…



Quant aux deux autres livres3 auxquels vous faites allusion, ils datent tous de même de 1991 et 1996, il y en a eu beaucoup d’autres depuis ! Je les ai écrits dans un contexte particulier : après m’être vivement engagé en faveur du maintien de l’apprentissage de l’Histoire aux élèves de l’Elémentaire, j’ai écrit deux livres pour enfants : l’un sur l’Histoire de France en général, l’autre sur la Révolution. Après cela, comment pouvais-je ne rien écrire qui aille dans le sens de ma foi ? J’en ai ressenti non seulement le désir, mais aussi le devoir.





Cette foi qui vous anime, l’avez-vous depuis toujours ?

Ma foi, je l’ai reçue enfant. Mais ce n’est pas de ma famille qu’elle me vient : mon père n’avait pas la foi – il me l’a dit quand j’ai été en âge de comprendre – et ma mère croyait juste en l’existence d’un Dieu, sans aller beaucoup plus loin.



C’est un prêtre, l’abbé Lherminez, qui a été déterminant. C’était au moment de ma communion solennelle. Il arrivait à moto pour nous faire le caté. Pour des gosses de 10 ans, c’était formidable ! Je vois encore sa soutane flotter au vent. Il avait une façon de raconter la vie de Jésus et de faire vivre tous les lieux par lesquels il était passé qui nous enthousiasmait. Avec lui, Jésus était à notre portée.



A partir de là, je me suis mis à croire avec une force qui ne m’a jamais quitté. J’allais communier tôt le matin pendant que tout le reste de ma famille dormait… J’ai même eu le désir de devenir prêtre… Tout cela grâce à l’abbé Lherminez…





Savez-vous ce qu’il est devenu ?

Eh bien figurez-vous que je l’ai retrouvé dans mon âge mûr ! Je venais d’être élu à l’Académie Française. Au cours d’une émission de radio qui avait lieu dans mon ancienne école de Lille, on m’a demandé quelle était la personne de mon enfance que je souhaitais revoir. J’ai bien sûr donné son nom.

Il a entendu l’émission et m’a contacté. Le soir même, nous avons dîné ensemble. J’étais fou de joie ! Je l’ai même invité à venir assister à mon entrée

à l’Académie.





Vous citez souvent cette phrase de Tolstoï : « La foi est la force de la vie »… Qu’en est-il pour vous ?

Ah… J’ai besoin de croire, besoin de prier. J’ai besoin de parler avec Jésus. Besoin d’aller à la messe, même si je souffre de ne plus pouvoir communier. C’est simple, si je ne croyais plus, je n’existerais plus.







1Conférence le 1er mars 2009, de 16h30 à 17h15.



2Alain Decaux est notamment l’auteur de L’Avorton de Dieu. Une vie de saint Paul, Perrin, 2002.



3Alain Decaux raconte Jésus aux enfants, Perrin, 1991 et Alain Decaux raconte la Bible aux enfants, Perrin, 1996.





QUESTIONNAIRE DE SAINT-ANTOINE



Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?

J’en ai l’image traditionnelle du saint auquel on fait appel dans certaines occasions… Mais sur sa vie elle-même, je n’ai que très peu de lumières. Je suis plus proche de sainte Thérèse d’Avila. Je l’admire notamment pour son esprit brillant. A un moment où les femmes n’étaient pas prises au sérieux, elle a réussi à affirmer sa personnalité et à infléchir quelque peu ce jugement.





Etes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?



Non, j’ai fait plusieurs voyages en Italie, mais je ne crois pas que je sois passé à Padoue, désolé !





Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?

Je ne me sens jamais proche de Dieu. Le croire me semblerait terriblement orgueilleux ! Ce qui est certain, en revanche, c’est que je m’adresse à Lui, dans la prière. Mais je lui demande le moins de choses possibles… Dieu est tellement incommensurable… C’est pour cette raison que je me sens plus proche de Jésus. Car il est un homme ! Mes prières s’adressent davantage à lui qu’à son père.





Comment priez-vous ?

Je prie le soir avant de m’endormir. Je prononce le Notre Père, le Je vous salue Marie, et termine par un acte de contrition. Ensuite je parle des gens qui me sont chers. Fatalement certains sont morts : mes parents, mes grands-parents, ma première femme. Je prie pour les vivants également : ma femme actuelle, mes enfants et petits-enfants.



Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?



L’élection de Barack Obama bien sûr ! Qu’un peuple qui a connu encore si récemment l’esclavage puisse revenir sur ses erreurs, est un événement extraordinaire !





 

Updated on 06 Octobre 2016